CES GOULOTS D'ÉTRANGLEMENT DES CORPS DE CONTRÔLE
IGE, OFANC... : un fonctionnement entravé ? L'ancien patron de la Cour des comptes, Abdou Bame Guèye, dresse un constat sévère des difficultés structurelles qui minent l'efficacité des missions de ces organes régaliens
Le président honoraire de la Cour des comptes, Abdou Bame Guèye, a exposé plusieurs goulots qui limitent l’efficacité des institutions et corps de contrôle des finances publiques. L’ancien payeur général du trésor animait hier, à l’Ecole nationale d’administration (Ena), une conférence publique sur le thème : «La gouvernance économique et financière au Sénégal : rôle et place des institutions et corps de contrôle».
C’est un exposé sans langue de bois. L’ancien premier président de la Cour des comptes semble prendre sa revanche sur son « devoir de réserve » pour relever les goulots qui étranglent les institutions et corps de contrôle des finances publiques. En tout cas, devant les élèves de l’Ena, à l’occasion des «grandes conférences de l’Ena», Abdou Bame Guèye a livré un exposé sans complaisance sur les menaces qui plombent l’efficacité des institutions et des corps de contrôle.
Selon le président honoraire de la Cour des comptes, les institutions et services de contrôle des finances publiques souffrent de manque de considération dans l'exercice de leurs fonctions par les autorités. Ce, relève-t-il, malgré leur rattachement institutionnel. En effet, la Cour des comptes est une institution de la République. L’Inspection générale d’Etat est placée sous la tutelle de la Présidence de la République et l’inspection générale des finances est rattachée au ministère des Finances. Mieux, la plupart des services de contrôle interne sont rattachés aux cabinets du ministre, a souligné l’ancien payeur général du Trésor pour qui, du point de vue institutionnel, le problème ne se pose pas.
Le problème, dira-t-il, c'est un sous-effectif notoire qui caractérise les corps de contrôle, qui est toujours une inéquation. Il y a aussi le refus de l'autorité de tutelle des institutions concernées de contrôler certaines structures. L’ancien premier président de la Cour des comptes regrette aussi le classement sans suite des rapports. «Ce qui n'est pas reluisant pour le vérificateur», s’époumone Abdou Bame Guèye. Il a aussi relevé les attaques contre les institutions de contrôle après la publication de rapports. « Ces menaces extérieures témoignent de la volonté des autorités de fragiliser les institutions et corps de contrôle», dénonce le président honoraire de la Cour des comptes non sans ajouter : «La gouvernance économique et financière au Sénégal ne peut s'exonérer de contrôle, de la responsabilité et de la transparence pour garantir une gestion budgétaire sans opacité.»
A ces menaces, à en croire Abdou Bame Guèye, viennent s’ajouter d’autres d’ordre interne dans les institutions et corps de contrôle. Il cite, entre autres, la démission dans la gestion des missions au prétexte d'un manque de moyens, la médiocrité des rapports, la non-publication de rapports. L’ancien premier président de la Cour des comptes a aussi dénoncé le retard dans la publication des rapports.
C’est pourquoi, afin de renforcer les institutions et corps de contrôle dans leur travail, il a recommandé leur ouverture à l'expertise extérieure en recrutant des agents en dehors même des fonctionnaires. Il a en outre invité les autorités à faire des rapports des institutions et corps de contrôle des mines d'informations et de recommandations pour le gouvernement. Il a aussi milité pour l'indépendance des membres des institutions et corps de contrôle des finances publiques. Dans la perspective, il a invité les institutions et corps de contrôle à évoluer de leur rôle de contrôle de dépenses publiques vers un rôle d'éclairage des pouvoirs publics sur ce qui fonctionne ou pas en matière de gouvernance publique.
LANCEURS D’ALERTE : Abdou Bame Guèye se méfie
«Quand c'est des gens qui se lèvent un jour, se décrètent lanceurs d'alerte, personnellement, il faudrait se méfier. Car le rôle de lanceur d'alerte doit servir à donner des informations utiles et exploitables. Il faut faire attention. Les services de contrôle ont les moyens de fonctionner. S'il fournit de bonnes informations et utiles, le lanceur d’alerte peut aider les institutions et services de contrôle des finances publiques dans leur travail. Certains pensent maintenant qu'ils doivent se pousser des ailes avec l'annonce des nouvelles autorités de protéger les lanceurs d'alerte. Il ne faut pas tomber dans le piège des gens qui font des ragots.»