«C’EST UN BUDGET DE CAMPAGNE PRESIDENTIELLE»
Alla KANE, inspecteur des impots et domaines a la retraite sur le budget 2018
Le pouvoir en place fait beaucoup de bruit autour du budget 2018 qualifié de «budget social». Ce qui est en porte en faux avec les réalités sociales marquées par le soulèvement du front social l’obligeant à contracter et à alourdir la dette. C’est la lecture de Alla Kane, ancien inspecteur des impôts et domaines à la retraite qui s’exprimait samedi dernier, à Dakar dans le cadre des activités mensuelles de l’Arcade appelées «Samedi de l’économie» portant sur : «Le budget 2018, budget «social» ou budget de campagne?»
Attendre la septième année de la fin de son mandat présidentielle pour se faire valoir le ‘’messie’’ des laissés pour compte de la société en déclarant le budget 2018, de «budget social» aux fins d’engranger l’estime et la confiance de ces derniers au profit de son deuxième mandat, relève de l’endoctrinement. Et pourtant, la déstructuration sociale était bien connue de lui-même avant et pendant son mandat. Mais, pour des intérêts crypto-personnels, on déclare urbi et orbi que le budget adopté en 2017 est purement social. C’est ainsi que Alla Kane, inspecteur des impôts et domaines à la retraite a qualifié l’action du gouvernement en direction des travailleurs et des couches les plus vulnérables qui supportent l’ardoise fiscale.
Il animait samedi dernier, à Dakar une conférence publique portant sur la thématique suivante : «Le budget 2018; budget «social» ou budget de campagne?» Une rencontre mensuelle dénommée «Samedi de l’économie» à l’initiative de l’Africaine de recherche et de coopération pour l’appui au développement endogène (Arcade) en collaboration la Fondation Rosa Luxembourg.
L’Etat vit sur les pauvres
Pour s’en convaincre, ce diplômé de l’Ecole nationale d’administration et de magistrature (Enam) dissèque le présent budget en indiquant que sur les 3709 milliards de francs, comparé à 3360 milliards en 2017, soit une hausse de 349 milliards, les ressources du budget général proviennent des recettes fiscales, estimées à 2211 milliards, soit 59,6% du total; des recettes non fiscales à hauteur de 117 milliards; des recettes exceptionnelles projetées à 64,8 milliards; des dons budgétaires d’un montant de 47 milliards; des emprunts projetés à 641 milliards et de la coopération internationale projetée à 517 milliards. Et ceci selon lui, montre «comme les années précédentes, que les impôts payés par les travailleurs et les citoyens (recettes fiscales) constituent la principale source de recettes budgétaires (59,6%). Tout le contraire des incitations faites aux investisseurs étrangers qui ne contribuent que très peu au budget de l’Etat, alors qu’ils bénéficient largement de nos biens».
Un budget social déséquilibré : Dakar se taille la part du lion
A son analyse, «l’un des paradoxes du budget dit «social» est que l’essentiel des investissements est réservé à la région de Dakar, au détriment des régions où se concentre la pauvreté extrême. Ainsi, tandis que Dakar reçoit 22% du PTIP, Kaffrine en reçoit 2,4%, Kolda, 7%, Kaolack 2,8%, Ziguinchor 3,4%. Seuls Saint-Louis et Thiès reçoivent plus de 5%, avec respectivement 5,9% et 6,5%.
Dérégulation fiscale
Pour lui: «Dans bien des quartiers de ce pays on trouve des immeubles à des centaines de millions, voire des milliards et des voitures de luxe à plus de 50 millions des nantis qui ne payent rien du tout et au même moment on coupe la source des impôts aux travailleurs et autres gorgorlous».
Ainsi, dira-t-il, «Prétendre se faire le devoir de corriger les inégalités sociales qui ne cessent de se creuser, passant de 300 mille familles en 2017 à 400 mille familles en 2018. C’est dire qu’il y’a rien à faire, la pauvreté s’accentue jour après jour, année après année». «Donc, mathématiquement parlant, si l’on se fie à l’Agence nationale de statistique et de démographie (Ansd) dans chaque famille, on trouve en moyenne 10 membres. C’est dire que, c’est plus 4 millions de personnes concernées, inclus les non-déclarés…», a-t-il confié.
Poursuivant M. Kane de s’interroger: «Aujourd’hui, à quelques mois de la présidentielle, le président Sall parle d’un fonds à l’entreprenariat rapide des femmes et jeunes de 30 milliards. Concrètement qu’est-ce qu’on peut faire de sérieux en termes de projets bancables efficients pour ces laissés pour compte?» Avant de soutenir que «c’est la trahison pour se faire réélire».
SUR LA DETTE : Plus de 839 milliards à payer, exclus 221 milliards d’intérêts en 2018
Se joignant aux sceptiques et spécialistes des questions budgétaires qui trouvent que le niveau d’endettement du Sénégal est inquiétant, Mr Kane, un féru des questions foncières indique que le Sénégal devra payer cette année 839 milliards 800 millions dont les intérêts font 221 milliards. C’est dire que la situation actuelle est grave. Pour preuve; «aujourd’hui même l’emprunt ne peut pas payer la dette ou honorer les charges».
Pour lui: «Il y a un réel manque de volonté politique pour éponger cette dette sans avoir à appauvrir les travailleurs et autres gorgorlous. Il suffit tout simplement de revoir les mécanismes fiscaux en place, et faire payer les riches à la hauteur de leurs avoirs. Et éviter d’aggraver le niveau et le nombre de pauvres». Précisant sa pensée, il dit ceci: «Nous avons des immeubles de grandes standing partout à Dakar et des voitures de luxes à coût de millions qui roulent sans avoir à débourser le franc symbolique. Tout ceci taxés, peut permettre à l’Etat de faire face à sa dette qui se cumule et se rallonge d’année après année. Et par ricochet augmenter le potentiel fiscal et ainsi diminuer les dettes
La fraude fiscale, les remises répétitives asphyxient l’Etat
Un véritable Etat doit avoir un contrôle sur les retombées des entreprises étrangères, tout comme nationales aux fins de les amener à s’acquitter correctement de leurs impôts et autres. Les gens viennent faire de faussent déclarations alors qu’ils ont gagné plus», s’indigne l’ancien membre du Parti africain de l’indépendance (Pai). Ainsi selon: «On rapatrie illégalement des ressources sans une bonne rétribution de celles-ci à l’Etat, soit par connivence ou alors de façon délibérée». Donc, «si nos gouvernants veulent prendre à bras le corps cette question, il faut nécessairement que la loi sévisse particulièrement pour les exportateurs de capitaux (investisseurs étrangers) et les pilleurs des deniers publics (voleurs de la République)», a orienté Mr Kane.