CHRONIQUE D’UNE VASTE MASCARADE
L’obscurité continue de s’abattre sur 40 villages qui auraient dû être électrifiés, depuis 5 ans - Impatientes, les populations déplorent un travail bâclé de l’Aser et d’Ecree - Elles réclament l’électricité pour laquelle elles ont déjà payé
A la tombée de chaque nuit, l’obscurité continue de s’abattre sur 40 villages qui auraient dû être électrifiés, depuis 5 ans. Impatientes, les populations déplorent un travail bâclé de l’Aser et d’Ecree. Elles réclament l’électricité pour laquelle elles ont déjà payée.
Mardi 26 mars, 18 h 50 mn. Le soleil vient de se coucher. La nuit s’annonce sur le village de Thiédély. Les rues sont désertes. Les rideaux tombent déjà. Les habitants et les passants se pressent pour regagner leurs domiciles. Les boutiques, les salons de coiffures, entre autres, fermés. Peu à peu, le village devient silencieux. Dans les rues qui traversent la localité, de jeunes adolescents devisent, à voix basse, dans différents coins. Ce village, à l’instar de Thiéwal Lao, Bassoum, Timidala, CoumbaDiouma, Boyguel, Awataba, Ngocky, Sara Doro Thiam etc., est plongé dans le noir comme à l’accoutumée. Pendant quatre jours, “EnQuête’’ les a parcourus pour s’enquérir de l’état d’avancement des travaux du projet d’électrification rurale dont 40 villages des régions de Kolda, Sédhiou et Ziguinchor sont bénéficiaires. Les sentiments de désolation, de désespoir, de découragement et de colère sont les mieux partagés dans ces localités qui peinent à sortir de l’obscurité.
Et pourtant, tout est là pour éclairer les villages
Paradoxalement, depuis belle lurette, tout le matériel électrique nécessaire pour avoir l’électricité est en place. Plusieurs poteaux électriques bien plantés sont visibles le long des artères des villages visités. Des dizaines d’autres sont entassés dans plusieurs endroits de ces localités. Certains câbles et poteaux électriques sont par terre. Certains commencent à se détériorer. Tous les témoignages recueillis dans ces villages parcourus ont en commun une certaine incompréhension. Puisque ces localités auraient dû bénéficier de l’électricité, depuis belle lurette (5 ans). Après le dépôt de ce matériel dans leurs villages, les populations voyaient déjà la lumière. Mais, au fil des mois et des années, leur espoir s’est réduit comme peau de chagrin
2018, une année d’espoir transformée en désespoir
Le 18 novembre 2018, le chef du projet Energie-Renouvelable, Malick Ngom, à l’Agence sénégalaise d’électrification rurale (Aser), en compagnie de Cheikh Yade, chargé de la supervision et du contrôle des travaux, au nom de l’Ecree, avait clamé haut et fort que les 27 localités des régions de Kolda et Sédhiou allaient sortir de l’obscurité dès la mi-décembre 2018. C’était à l’occasion d’une visite pour constater l’état d’avancement des travaux. “On est à 60 % des travaux sur le terrain et le reste, c’est le volet solaire qui reste à être réalisé et les installations intérieures. Vingt centrales solaires sont arrivées à Kolda. Le matériel solaire est stocké à Kolda-commune. Les équipes seront là, dès la semaine prochaine, pour convoyer 20 minicentrales dans les villages où les travaux sont déjà terminés. Quatre entreprises seront sélectionnées pour faire les travaux’’, disait-il. Les populations attendent toujours… Boubacar Sabaly, technicien local d’électricité à Energie-R, vit dans le village de Thiéwal Lao, de la commune de Dialambéré, dans le département de Kolda. Il renseigne qu’au début de ce mois de mars, un agent de l’Aser, du nom de Mendy, était de passage dans leur bourgade. “Il nous a dit que les centrales seront effectives avant fin mars 2019. Voilà que le mois de mars est fini, les villages ne sont pas sortis des ténèbres’’, se désole-t-il. Ces populations se demandent si elles vont, un jour, voir de leurs yeux la matérialisation de ce projet. “En réalité, ce n’est que du saupoudrage, aux yeux des bénéficiaires’’, fulminet-on. Car ces promesses non tenues dépriment les populations, qui voient comment l’énergie s’affirme comme un facteur et un vecteur incontournable de développement et de la croissance, ailleurs.
La lenteur des travaux sème le doute sur la finition du projet
Dans certains villages, l’installation des mini-centrales a vu le jour en mai 2018 et les poteaux électriques ont été installés en août de la même année. Mais le doute taraude l’esprit des bénéficiaires. Car, à ce jour, “les installations dans les maisons ne sont pas encore terminées. Ensuite, les travaux de certains poteaux électriques sont mal faits. Les poteaux ne sont pas bien dressés, les fils électriques ne sont pas bien tendus et d’autres concessions ne disposent d’aucune installation. Ceux qui dressent les poteaux électriques, parfois sans terminer leur travail, s’en vont. C’est le même cirque avec ceux qui viennent faire les installations internes’’, dénonce Boubacar Sabaly. “Ils commencent le travail puis s’en vont, à la grande déception du chef de maison qui, parfois, a même versé une caution pour obtenir 10 lampes. Ce dernier se retrouve avec 5 lampes sur les 10 commandées. C’est pourquoi EnergieR doit descendre sur le terrain pour savoir exactement qu’est-ce qui se passe’’, poursuit le technicien. “Nous avons beaucoup attendu. Au bout du compte, nous sommes désespérés. Parce que nous sommes sûrs que ce projet va échouer. C’est pourquoi nous voudrions qu’EnergieR puisse prendre cette préoccupation des populations en main, pour sauver ce projet. Car nous populations avons un grand espoir sur ce projet. Parce que nous sommes fatigués des promesses non tenues par l’Aser et l’Ecree qui ne font que nous servir des alibis pour justifier leurs manœuvres’’, s’indigne-t-il. Ailleurs au village de Thiédély, commune de Coumbacara, c’est le même sentiment de dépit qui prédomine. “Chaque jour, les missions ou des prestataires viennent faire quelques travaux et puis s’en vont. Ils nous ont tellement fixé de rendez-vous que le contrat est arrivé à son terme. Ils l’ont prolongé d’un an. Ils nous avaient dit qu’au mois d’avril 2018, l’électricité serait effective dans notre village. Ensuite, ils nous ont parlé de décembre 2019. Finalement, que ça soit les populations, les maires et les techniciens locaux, nous n’avons pas compris ce jeu de l’Aser et d’Ecree’’, pilonne Mamadou Bilaly Baldé, Président du comité de gestion de ladite contrée.
Frustration autour des cautions versées pour obtenir des lampes à domicile
Frustration et colère sont les maitres mots qui animent le quotidien des habitants des villages bénéficiaires. Et tout est parti de la dotation de 3 à 5 lampes par famille. Ce qui a soulevé une vague d’indignation de la part des populations qui ne savent plus à quel saint se vouer. C’est pourquoi les populations exigent le respect des termes du projet, notamment les souscriptions de niveau 1 à 4 déjà effectuées en toute connaissance de cause et volontairement auprès d’Energie-R. “Nous sommes découragés par la manière dont les choses se passent. Car chaque concession n’a bénéficié que de 5 lampes. Certains qui ont versé leur caution n’ont que 5 lampes au même titre que ceux n’ont pas versé de caution. Ce qui n’est pas normal’’, a déploré Boubacar Sabaly, technicien local d’électricité à Energie-R domicilié au village de Thiéwal Lao, commune de Dialambéré, département de Kolda. Mamadou Bilaly Baldé, le président du comité de gestion des minicentrales dans la commune de Coumbacara, précise qu’à “Thidély, il y a des gens qui n’étaient pas inscrits. Les prestataires sont venus leur installer 5 lampes. Tandis que certains de ceux qui ont payé la caution de 100 mille francs se sont retrouvés avec 4 lampes. A cela s’ajoute que dans tout le village, les prestataires ont installé 2, 3 à 4 lampes dans les différentes maisons. Cette manière d’installer les lampes dans les maisons a fâché certaines personnes contre l’Aser et Ecree’’. Et pourtant, précise le maire de Bourouco, Oumar Cissé, par ailleurs chef du village de Médina Dinguiraye, localité située dans le département de Médina Yoro Foula, “les cautions versées à l’entreprise sont destinées à l’obtention des installations à domicile et vont de 20 à 100 mille francs Cfa. “Ils nous avaient dit qu’il y a quatre niveaux. Pour le niveau 1, les bénéficiaires ont payé la somme de 20 mille francs chacun pour 4 lampes et une prise par maison. Et à la fin de chaque mois, ils devraient honorer une facture de 3 500 F Cfa’’, a-t-il dit. Et de poursuivre : “Ceux du niveau 2 ont payé 40 mille francs et devraient avoir 7 lampes et pour une facture mensuelle de 6 000 F Cfa. Les autres bénéficiaires du niveau 3, quant à eux, ont déboursé 70 mille francs chacun et devraient avoir 10 lampes et 2 prises. A la fin du mois, ils devraient payer une facture de 10 900 F Cfa. Tandis que ceux du niveau 4 ont réglé 100 mille francs pour bénéficier de 14 lampes et trois prises pour une mensualité de 16 000 F Cfa.’’ Dans ces localités, “la lenteur des travaux, leur mauvaise qualité et la mauvaise coordination entre les partenaires de ce programme d’électrification rurale’’ sautent à l’œil. Les populations de dire que ces problèmes font aujourd’hui que leurs villages tardent à sortir de l’obscurité, malgré des promesses de l’Aser et l’Ecree. Les habitants souhaitent une diligence des travaux pour le respect des termes du projet, notamment les souscriptions effectuées.
Ecree accusé par Energie-R d’être la cause du retard des travaux
Interrogée à l’occasion d’une rencontre tenue à Kolda le 22 mars dernier avec les maires, les sous-préfets et les techniciens locaux, entre autres, la directrice générale de la société Energie-R, Yvonne Faye, s’est expliquée sur les retards. “Ce qui justifie la lenteur des travaux, c’est bel et bien la coordination entre Aser, Ecree et Energie-R. Car, dans le projet, chaque société a son rôle bien défini. Mais le coordonnateur, Ecree, n’a pas respecté les documents de base, ni les accords de base, malgré des rappels à l’ordre de l’Union européenne. Malgré une décision ministérielle de l’Etat du Sénégal, il continue à outrepasser ces directives’’. Elle a aussi été interpellée sur les droits de connexion. Yvonne Faye : “Les droits de connexion rentrent en droite ligne de la politique de l’Etat. Nous n’avons rien inventé. L’Aser, la Crse, la Commission de régulation, le ministre de l’Energie, c’est eux qui fixent la politique de l’Etat et qui donnent des directives. Maintenant, s’il y a changement par le ministère qui en a plein droit, il faut le notifier aux gens. Pour le moment, nous n’avons reçu aucune notification, les sous-préfets non plus. Donc, ces droits de connexion ne sont que des rumeurs, pour le moment. Ce que l’Etat du Sénégal nous dira, nous l’appliquerons. Mais, pour le moment, nous sommes sur le même processus de niveau 1 à niveau 4, avec des droits de connexion par rapport à chaque niveau et qui ont été fixés par la Commission de régulation du secteur de l’électricité (Crse)’