DES PROCHES DE MACKY EN SURSIS
EXCLUSIF SENEPLUS – Un projet de proposition de loi sur la prévention des conflits d’intérêts sur la table du président de l’Assemblée nationale – Le texte déposé depuis près de deux ans en même temps que celui sur le financement des partis politiques
Un "projet de proposition de loi sur la prévention des conflits d’intérêts" est depuis près de deux ans sur la table du président de l’Assemblée nationale, Moustapha Niasse. Initiative d’un groupe de députés de tous bords, le texte établit la frontière entre l’intérêt public et les intérêts personnels des agents publics (élus ou nommés), renforce les pouvoirs de l’Office national de lutte contre la fraude et la corruption, élargit le groupe des personnes assujetties à la déclaration de patrimoine et fixe les sanctions contre les contrevenants. En exclusivité, SenePlus vous propose le document.
Un vieux cliché qui tombe, enfin ? Peut-être. De l’avis de Mouhamadou Mbodji, le coordonnateur du Forum civil, qui s’est confié à SenePlus, "c’est faux de croire que les députés ne travaillent pas. Ils travaillent ; le problème c’est qu’on n’en parle pas beaucoup". Mbodji en veut pour preuve les "innombrables initiatives parlementaires pertinentes prises et dont un bon paquet est à ce jour resté sans suite". Parmi celles-ci, il cite deux qu’il juge "révolutionnaires". Il s’agit du projet de proposition de loi sur le financement des partis politiques et celui sur la prévention des conflits d’intérêts.
Les deux textes dorment depuis près de deux ans sur la table du président de l’Assemblée nationale, Moustapha Niasse. Au grand dam des initiateurs des lois, un groupe d’une cinquantaine de députés issus de la Majorité, des non-inscrits et de l’opposition. À la faveur de l’actualité marquée par les affaires Lamine Diack et de corruption dans laquelle le nom du président de l’Assemblée nationale est cité, ces parlementaires sont revenus à la charge. Ils s’emploient à dépoussiérer les deux lois avec l’espoir que, cette fois, leur initiative connaîtra une suite favorable. Dans leur démarche, ils bénéficient de l’appui du Forum civil qui, en collaboration avec des spécialistes, avait produit les deux documents.
Définition du conflit d’intérêts
Après vous avoir présenté le projet de proposition de loi sur le financement des partis politiques, SenePlus, qui possède une copie du document, vous livre, en exclusivité également, celui sur la prévention des conflits d’intérêts. Le texte comporte 27 articles, répartis dans 8 chapitres et contenus dans 4 titres. "Il faut de plus en plus faire en sorte que les hommes politiques et les agents publics n’usent pas de leurs pouvoirs et/ou de leur influence pour bénéficier eux-mêmes, ou faire bénéficier, d’avantages indus", prévient-on dans l’exposé des motifs de la loi.
Celle-ci vise 7 objectifs parmi lesquels : "préserver et accroître la confiance du public dans l’intégrité des agents publics ainsi que le respect et la confiance de la société envers l’administration"; "s'assurer que dans les situations de conflit d'intérêts réel, apparent ou potentiel, et dans les situations de conflit de responsabilités, les décisions soient prises en faveur de l'intérêt public"; "d’établir des mesures pour aider les agents publics à prévenir, à gérer et à résoudre les situations relatives aux conflits d'intérêts et à l'après-mandat, situations susceptibles de porter atteinte à l'intégrité de la fonction publique ou à la perception de son intégrité par le public".
Avant de plonger en profondeur dans ses dispositions, le projet tel que présenté il y a près de deux ans commence par répondre à une question simple mais utile : c’est quoi un conflit d’intérêts ? Réponse dans l’article 1 du texte : "Tout conflit nait d'une situation dans laquelle un agent public a un intérêt personnel de nature à inclure ou paraitre influer sur l’exercice impartial et objectif de ses fonctions officielles. L’intérêt personnel de l’agent public englobe tout avantage pour lui-même ou en faveur de sa famille, de parents, d’amis, de personnes proches ou de personnes ou organisations avec lesquelles il ou elle a ou a eu des relations d’affaires ou politiques. Il englobe également toute obligation financière ou civile à laquelle l’agent public est assujetti."
Cette loi désigne comme "agent public" "toute personne qui détient un mandat législatif, exécutif, judiciaire ou administratif, qu’elle ait été nommée ou élue, à titre permanent ou temporaire, qu’elle soit rémunérée ou non rémunérée et quel que soit son niveau hiérarchique".
L’article 2 du texte distingue trois types de conflits d’intérêts : "Le conflit potentiel désigne la situation dans laquelle, compte tenu des intérêts privés de la personne dépositaire de la puissance publique, l’exercice de telle ou telle fonction placerait celle-ci en situation de conflit d’intérêts ; le conflit apparent est la situation dans laquelle les intérêts privés de l’agent sont susceptibles d’être considérés comme de nature à influencer indûment sa manière de servir, sans que ce soit le cas effectivement ; le conflit réel désigne la situation dans laquelle il est avéré qu’un intérêt personnel a influencé le comportement de la personne exerçant ses fonctions professionnelles."
Baba Diaw, Diagna Ndiaye, Youssou Ndour…
Si cette loi est adoptée sans modification, le Président Macky Sall risque de devoir se séparer de certains de ses conseillers ou ministres conseillers, qui détiennent, directement ou indirectement, des intérêts privés. C'est le cas de Baba Diaw (ITOC), Diagna Ndiaye (Groupe Mimran), Youssou Ndour (Groupe Futurs Médias)… La liste est loin d'être exhaustive.
Aussi, le directeur général de la Lonase, Amadou Samba Kane, ne pourra plus, comme il l’a fait, financer sur les fonds de l’entreprise publique qu’il dirige l’acquisition d’un appartement, l’achat de plus de 20 000 tickets pour les restaurants universitaires et d’autres largesses au profit des étudiants de la commune d’Hamady Ounaré, localité dont il est le maire (APR). Non plus, une autre société d’État, que nous ne citerons pas- nous n’avons pas encore la preuve matérielle de l’acte-, ne devra plus sponsoriser, comme elle l’a visiblement fait, les activités culturelles de l’école, sise à Ngor-Almadies, de la fille de son directeur général.
Plus spécifiquement, le projet de proposition de loi sur la prévention des conflits d’intérêts vise tout avocat inscrit au barreau et investit d’un mandat de député. Il lui est interdit "d'accomplir directement ou indirectement, par l'intermédiaire d'association, d'un collaborateur ou d'un secrétaire, sauf devant la Haute Cour de Justice, un acte de sa profession dans les affaires à l'occasion desquelles des poursuites pénales sont engagées devant les juridictions répressives pour crimes ou délits contre la chose publique, en matière de presse ou d'atteinte au crédit et à l'épargne ; de plaider ou de consulter contre l'Etat, les collectivités ou établissements publics et les sociétés placées sous le contrôle de l'Etat" (article 13).
Du coup, si des années en arrière cette loi avait été adoptée et cette disposition de l'article 13 retenue, les avocats-députés qui en ont fait l’expérience n’auraient pas le droit de se constituer dans l’affaire de la traque des biens mal acquis, impliquant notamment l’ancien ministre Karim Wade, condamné à six ans d’emprisonnement. Dans le même esprit, tous ces ministres qui, immédiatement après leur départ du gouvernement, montent des cabinets intervenant dans les domaines dont ils assuraient la tutelle (Mines, Énergies, Micro Finance…) seraient sûrement en porte à faux avec la loi. En effet, l’article 14 du projet de proposition de loi dispose : "Il est interdit à tout ex-titulaire de charge publique principal de conclure un contrat de travail ou d’accepter une nomination au conseil d’administration d’une entité avec laquelle il a eu des rapports officiels directs et importants pour une période de deux (2) ans après la fin de son mandat, ou d’accepter un emploi au sein d’une telle entité."
Déclaration de patrimoine tous azimuts
Le texte ne prévoit de sanctionner que le conflit d’intérêt réel. Les contrevenants à ses dispositions sont punis d’un an à trois ans d’emprisonnement et de 15 millions à 30 millions de francs Cfa d’amende (article 16). C’est le cas lorsque l’agent public se sert "de sa charge pour influencer la décision d’une autre personne de façon à favoriser ses intérêts personnels ou ceux d’un membre de sa famille ou encore, d’une façon indue, ceux de toute autre personne ou entité"; utilise "les renseignements qu’il obtient dans le cadre de sa charge et qui ne sont généralement pas à la disposition du public pour favoriser ses intérêts personnels ou ceux d’un membre de sa famille ou encore, d’une façon indue, ceux de toute autre personne ou entité" et communique "des renseignements s’il sait ou devrait raisonnablement savoir que ceux-ci peuvent servir à favoriser ses intérêts personnels ou ceux d’un membre de sa famille ou encore, d’une façon indue, ceux de toute autre personne ou entité" (articles 6, 7 et 8).
Le projet revisite en profondeur les conditions de la déclaration de patrimoine. Selon la loi actuelle (article 2), les autorités assujetties sont : le président de l'Assemblée nationale, le Premier Questeur de l'Assemblée nationale, le Premier ministre, les ministres, le président du Conseil économique, social et environnemental, tous les administrateurs de crédits, les ordonnateurs de recettes et de dépenses, les comptables publics, effectuant des opérations portant sur un total annuel supérieur ou égal à un milliard de francs Cfa. Le texte sur la prévention de conflits d’intérêts (article 17) étend la disposition aux membres du cabinet du président de la République, aux membres du bureau du Conseil économique, social et environnemental, aux membres des cabinets ministériels et au secrétaire général du gouvernement, aux titulaires des emplois supérieurs pour lesquels les nominations sont laissées à la discrétion du chef de l’État, aux membres du Conseil constitutionnel, aux présidents et directeurs d’agences, aux directeurs adjoints des entreprises publiques, aux directeurs généraux des centres hospitaliers, universitaires…
Le document va plus loin en matière de déclaration de patrimoine. Il stipule (article 18) : "La déclaration d’intérêt concerne non seulement le déclarant lui-même, mais aussi son conjoint et ses enfants à charge. La prise en compte des proches peut toutefois être évitée lorsque trois conditions sont remplies : -le bien en cause est sous la seule responsabilité du proche et le déclarant n'a pas d'informations sur la question ; -le bien ne découle pas d'un bien détenu par le déclarant ; -le déclarant ne tire pas profit ou ne s'attend pas à tirer profit du bien détenu par le proche. Les déclarations d'intérêts doivent notamment retracer les revenus du déclarant, le déclarant devant en indiquer la provenance, le type et le montant exact."
Davantage de pouvoirs à l’OFNAC
Autre révolution : le texte confère davantage de responsabilités et de pouvoirs à l'Office national de lutte contre la fraude et la corruption (OFNAC). Dans au moins 9 articles du document, il est fait référence à la structure dirigée par Nafi Ngom Keïta. Elle "a pour mission de suivre l’application des dispositions de la présente loi dans son domaine de compétence" (article 21). "À ce titre, (elle) est chargé(e) (entre autres dispositions) de rendre des décisions sur les questions d’ordre déontologique qu’il rencontre dans l’établissement de leur déclaration d’intérêts ou dans la prévention des conflits d’intérêts concernant les titulaires de charges publiques; apprécie la compatibilité de toute activité lucrative, salariée ou non, du titulaire de charge publique, dans une entreprise ou un organisme privé ou de toute activité libérale ou indépendante, avec ses fonctions effectivement exercées; d’examiner en outre, si cette activité risque de compromettre ou de mettre en cause le fonctionnement normal, l’indépendance ou la neutralité du service; d’examiner la compatibilité du projet de création ou de reprise d’une entreprise par tout titulaire de charge publique. Elle examine aussi la compatibilité entre la poursuite de son activité privée par le dirigeant d’une société ou association, de donner son avis, en application sur les autorisations demandées par les personnels de la recherche, en vue de participer à la création d’entreprises et aux activités des entreprises existantes."
"L’OFNAC peut demander des informations à toute personne soumise à son contrôle. Il peut entendre toute personne dont le concours lui parait utile", stipule la loi en son article 24. Et d’ajouter que l’Office peut être saisi par un agent public ou par l’administration dont il relève, préalablement à l’exercice de l’activité envisagée, par un tiers, par auto-saisine, par une association agréé de lutte contre la corruption et par son président, dans un délai de quinze (15) jours à compter de la survenance du conflit d’intérêt réel concernant un agent public. "Dans ce cas, précise le texte, l’OFNAC prend une décision dans un délai de quinze (15) jours, pour faire cesser la situation."
Depuis près de deux ans, ce texte "révolutionnaire" dort dans les tiroirs du président de l’Assemblée nationale, Moustapha Niasse. Après avoir ravalé pendant longtemps leur déception devant ce "statu quo", les initiateurs de la loi repartent à l’abordage. Ils espèrent être entendus cette fois, c’est-à-dire que leur projet de proposition de loi sur la prévention des conflits d’intérêts suscite le débat à l’hémicycle en vue de son adoption. Une initiative que soutient le Forum civil dont le coordonnateur, Mouhamadou Mbodji assure : "On ne peut pas combattre l’impunité et garder les risques de conflits d’intérêts au sommet de l’État."