« HAWALA EST UN DISPOSITIF QUI ECHAPPE AU CONTROLE DES ETATS »
Dans un entretien avec ‘’EnQuête’’, le secrétaire exécutif de l’Observatoire de la qualité des services financiers, Habib Ndao, a indiqué que ce dispositif échappe au contrôle des Etats et entraine des pertes sur le plan fiscal
Pratiqué par les acteurs informels, et particulièrement par les commerçants, le Hawala est un système de transactions financières qui permet d’envoyer du cash sans se rapprocher des circuits financiers classiques. Dans un entretien avec ‘’EnQuête’’, le secrétaire exécutif de l’Observatoire de la qualité des services financiers, Habib Ndao, a indiqué que ce dispositif échappe au contrôle des Etats et entraine des pertes sur le plan fiscal.
Pouvez-vous nous expliquez à quoi consiste le système de transactions financières Hawala ?
Le dispositif Hawala vient de l’Inde, un pays où il y a beaucoup d’émigrés qui sont dans les pays du Golfe arabo-persique. Le Hawala, c’est un système informel de transfert d’argent qui se fait par cash. Malheureusement, il y a eu une utilisation par des gens qui sont dans des activités criminelles qui utilisent le Hawala pour plus ou moins financer des actes terroristes. C’est pourquoi cela crée une certaine inquiétude de la part des Etats, des gouvernements et c’est très répandu entre le Moyen-Orient et une partie de l’Asie.
Au Sénégal, nous avons ce même type de transfert. A Sandaga, on a la possibilité d’envoyer de l’argent à New York ou à Dubaï, ou même en Mauritanie, en passant par les ‘’hawalards’’. C’est un dispositif qui échappe au contrôle des Etats et qui crée un manque à gagner fiscal. Parce que c’est un processus qui n’est pas fiscalisé, ni dans le pays émetteur ni dans celui d’accueil.
Quel est le lien entre la pratique du Hawala et le blanchiment d’argent ?
La criminalité financière utilise le Hawala pour faire circuler de l’argent. Par exemple, si on est en Occident et qu’on veut blanchir de l’argent, on peut aller à la rue Mira, si c’est à Paris, ou à Harlem, si c’est à New York, remettre de l’argent à un émigré qui fait le transfert sur le Sénégal et ici, localement, on achète du poisson dans les plages auprès des mareyeurs et faire un conteneur de poissons et on est payé avec de l’argent qui est déjà dans le circuit par chèque bancaire, etc.
Pour le financement du terrorisme aussi, le risque est trop grand. Parce que celui qui fait le transfert ne sait pas à quelle fin il sera utilisé. Ce qu’il maitrise, c’est qu’on lui a donné un tel montant en devise qu’il doit donner en monnaie locale, mais il ne maitrise pas à quoi il va servir. Or, si c’est dans le circuit bancaire, il faut des justificatifs qui permettent la traçabilité des opérations financières internationales. Alors, il y a naturellement le blanchiment qui consiste à cacher des fonds d’origine criminelle pour le mettre dans le circuit formel pour les blanchir. Il y a de la même manière, le ‘’noircissement’’. C’est ce que font les terroristes qui ont des ressources comme des dons, des contributions de l’argent légal, mais qu’ils utilisent pour des activités illégales, notamment pour créer des actes de violence, recruter, financer ces actes. Là, cette similarité dans le procédé utilisé fait qu’à chaque fois qu’on parle de blanchiment d’argent, on parle de lutte contre le financement du terrorisme.
Comment le Hawala impacte l’économie d’un pays de manière concrète ?
Toutes les économies du monde vont vers une société sans circulation de cash, d’espaces, sans circulation fiduciaire. Une société où toutes les transactions sont faites à partir d’un dispositif structural, c’est-à-dire par des écritures. Ne serait-ce que par des cartes de crédit, les virements bancaires, etc., qu’on utilise beaucoup plus : les émetteurs de monnaie électronique. Qu’on utilise de moins en moins de cash, pour faire face à ses dépenses. C’est ce qui fait que le Hawala, qui est basé sur du cash qui ne bouge pas, est une pratique qui peut déstabiliser une économie. Les Etats ne reçoivent pas une fiscalité nécessaire et en plus, cela détruit le système financier. Parce que de moins en moins de personnes seront incluses dans le secteur formel. Les Etats, à défaut de régler le secteur informel, ont choisi de régler, formaliser les transactions financières. C’est pourquoi on fait tout pour aller vers l’inclusion financière. Parce qu’on fait tout avec le secteur informel, mais c’est très difficile. Les Etats ont choisi d’accélérer la formalisation de l’économie, en formalisant les transactions financières.
Est-il possible d’arriver à la formalisation de la pratique du Hawala ?
Non ! Parce que les acteurs du Hawala sont tous de l’informel. Ils ne veulent pas faire de déclaration. Ils ne veulent pas de traçabilité. Le Hawala arrange certes les émigrés, mais pas les Etats pour deux raisons : au-delà du manque à gagner fiscal, il y a aussi le contrôle des flux financiers. L’Etat ne parvient pas à contrôler le Hawala. Dès que les hawalards se lancent dans le mobile-banking, ils seront obligés d’avoir un agrément, de se formaliser. Auquel cas, ils vont être exposés à la traçabilité des opérations. Ce qui est une bonne chose, car ils vont être exposés à la fiscalité.
Pourtant, c’est une pratique légale au Sénégal…
Pour certains pays comme le nôtre, c’est au vu et au su de tout le monde que les transferts sont faits ici, sous forme de Hawala. En Inde, c’est pareil, de même que dans les pays en voie de développement. Même dans certains pays émergents, le Hawala est toléré. Mais dans les pays occidentaux, tant qu’il n’y a pas de problème majeur, ils peuvent tenir leurs activités, même si c’est illégal. Tout le monde sait que si on va à Harlem à la 125e avenue, on va voir des Sénégalais qui font de l’Hawala. Tant que ce n’est pas utilisé à leur niveau par des terroristes ou activités criminelles, l’Etat ne dit rien. C’est toléré, surveillé et encadré. Mais il faut avoir normalement un agrément. Parce que l’activité bancaire dans tous les pays du monde est réglementée et encadrée. Pour faire du transfert ou du change, il faut avoir un agrément ou avoir une autorisation d’une institution qui a un agrément.
Pourquoi donc les Etats et la Banque centrale laissent cette pratique proliférer tout en sachant qu’il a y a un véritable manque à gagner pour l’économie, la fiscalité ?
La Banque centrale s’occupe plus de l’application de la réglementation bancaire. Donc, toute activité en dehors de la réglementation, la Banque centrale peut être au courant, mais ne s’y attèle pas. Seulement, elle avertit toutes les institutions financières que même pour déléguer l’activité de change ou de transfert d’argent, il faut au préalable en informer la Banque centrale.
Comment se fait la rémunération dans le système Hawala ?
D’habitude, le Hawala est sans frais. Le commerçant de Sandaga qui veut aller à Dubaï ou en Chine acheter de la marchandise, n’a pas besoin d’y aller avec de l’argent. S’il veut faire une commande de 100 millions de francs CFA, il peut déposer l’argent ici, dans les boutiques Hawala, récupérer la contrevaleur en devise dans le pays où il va pour acheter sa marchandise. C’est cela l’avantage pour certains commerçants de pouvoir transférer de l’argent sans autorisation de change. Parce que c’est informel.
Quel est l’avantage pour la personne qui pratique le Hawala ?
D’abord, il n’y a pas de tracasseries bureaucratiques, douanières. Il n’y a pas de blocage des papiers justificatifs à fournir. L’autre aspect, c’est qu’il arrive que les taux de change pratiqués par ceux qui font le Hawala soit plus compétitifs que ceux du système financier classique. Donc, il y a un gain à ce niveau. Mais il y a aussi le risque de recevoir du faux monnayage de part et d’autre.
Est-ce que le Hawala concerne uniquement les transactions financières ou y a-t-il d’autres produits qui entrent en jeu ?
Le Hawala essaie de s’adapter. Au-delà des transferts financiers, les hawalards utilisent les denrées. Il arrive qu’on mette à la disposition du hawalard local une somme d’argent pour que notre famille vienne s’approvisionner dans sa boutique en marchandises, en denrées, riz, huile, sans que cela ne soit du cash.