«IL FAUT QU’ON DECLASSIFIE LES RAPPORTS POUR UNE MEILLEURE GESTION TRANSPARENTE»
Babacar BA, président du forum du justiciable sur les faiblesses des organes de contrôle de l’Etat
Le Forum du justiciable cloue au pilori les organes de contrôle de l’Etat, notamment l’Inspection générale d’Etat (Ige), la Cour des comptes, la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei), ou encore l’Autorité de régulation des marchés publics (Armp), etc. C’est le moins que l’on puisse dire, au vu de la perception qu’en a son président, Babacar Ba. Dans cet entretien, ce membre de la société civile déplore la «dépendance» de ces corps de contrôle vis-à-vis du chef de l’Etat, ainsi que le retard ou la classification de certains de leurs rapports. Il n’a pas manqué de préconiser une «déclassification» de ces rapports, pour une gestion transparente des ressources.
M. Ba, vous êtes le président du Forum du Justiciable. Quelle appréciation faites-vous des organes de contrôle mis en place par l’Etat du Sénégal, notamment l’Ige, la Crei, l’Ofnac, l’Armp, la Centif, la Cour des Comptes, etc, pour une gestion efficiente des ressources du pays?
J’avoue que la mise en place des organes de contrôle était d’une importance capitale pour notre pays engagé dans la gestion transparente des deniers publics. Mais, aujourd’hui, force est de constater que ces organes de contrôle ont failli à leur mission. Ils sont dépourvus de toute leur pertinence, mais également de toute leur crédibilité. Les rapports qu’ils fournissent sont exploités à la seule volonté de l’autorité politique qui décide souverainement de leur sort. Conséquence, seuls les rapports qui ne les incriminent pas sont exploités, ce qui est une démarche incohérente à leur politique de bonne gouvernance. Interrogeons-nous sur le sort du rapport de l’Ofnac de 2015 qui avait épinglé le Directeur du Coud et de la poste et dont l’Ofnac avait fait des recommandations allant dans le sens de poursuites judiciaires à leurs égards. Jusqu’au moment où je vous parle aucune suite n’a été donné à ces recommandations. Il en est ainsi avec les recommandations sur l’annulation des contrats pétroliers portant sur l’attribution du bloc pétrolier Cayar offshore faites par l’Ofnac. Pire encore l’Ofnac n’a toujours pas publié son rapport d’activités de 2016 alors que la loi lui fait obligation de publier chaque année son rapport d’activités. Il semble que c’est le président de la République qui aurait interdit la publication des rapports des organes de contrôle. Alors vous en conviendrez avec moi qu’aujourd’hui les organes de contrôle sont déviés de leur sens originel. A la limite ils sont devenus des instruments de lutte contre des adversaires politiques.
Selon vous, quelles sont les faiblesses de ces corps de contrôle ?
La principale faiblesse des organes de contrôle est liée à leur dépendance au palais présidentiel. Ils sont tous rattachés à la Présidence, ce qui compromet gravement leur totale indépendance vis-à-vis de l’exécutif. Et pourtant dans les textes, ils sont censés être des autorités indépendantes. Aujourd’hui, le président de la République reste le seul destinataire des rapports produits par les organes de contrôle qu’il apprécie souverainement. Ce qui n’est pas normal. Mais également l’on se rend compte que la majorité des membres qui siègent dans ces différents organes de contrôle sont nommés par le président de la République. Ce qui risque de faire prévaloir plutôt un sentiment de redevabilité. L’autre faiblesse que je veux souligner est liée à un défaut de suivi concernant les recommandations souvent faites par ces organes de contrôle.
Que préconisez-vous pour un contrôle efficace de la gestion des ressources du pays, dès lors que la question du manque se pose au Sénégal ?
Alors si nous voulons vraiment avoir des organes de contrôle forts capables de veiller à la bonne gestion de nos deniers publics, commençons d’abord par les retirer de la tutelle du Président de la République. Aujourd’hui les organes de contrôle ne doivent plus être sous la coupole de la présidence de la République afin qu’ils puissent jouir de leur totale indépendance. Mais également, il faudrait que le peuple soit vraiment associé au processus de contrôle. Je ne parle pas de simple présence symbolique comme on a l’habitude de le voir souvent : comptez une ou deux personnes de la société dont la présence est purement symbolique. Non, je ne parle pas de ça. Je parle d’une présence large et inclusive avec des représentants intègres, renouvelés au besoin. Ensuite, il faudrait que les organes de contrôle soient contraints de mettre à la disposition du public leur rapport d’activité. Il faut qu’on déclassifie les rapports pour une meilleure gestion transparente.