LA SOCIÉTÉ LOCAFRIQUE EST DANS SON DROIT MAIS…
Poursuivie pour abus de minorité par la Sar et Petrosen

Pour avoir seulement demandé une gestion rigoureuse et transparente à la SAR (Société africaine de raffinage) et avoir réclamé une plus grande implication de l’Assemblée générale des actionnaires dans la prise de décisions majeures, la société Locafrique, qui possède pourtant 34 % des actions de cette société, a été attraite à la barre du tribunal du commerce pour « abus de minorité ».
Une procédure très curieuse qui fera jurisprudence. Selon un avocat que Le Témoin a interrogé, c’est la première fois en trente ans de barreau qu’il voit une société poursuivie par d’autres actionnaires pour « abus de minorité ».
Il s’agit pourtant d’une procédure légale mais ici, cela ressemble plutôt à un « abus de procédure » ou à tout le moins un « abus de majorité » de la part de la SAR et de Petrosen qui souhaitent une recapitalisation de la société de raffinage.
Les deux entités, qui appartiennent en majorité à l’Etat du Sénégal, ont voulu tordre la main aux actionnaires privés en leur imposant une recapitalisation sans leur donner des explications claires et satisfaisantes. Sur ce, Locafrique a exigé que cette question soit examinée par l’Assemblée générale des actionnaires alors que la SAR et Petrosen avaient entrepris de prendre une décision unilatérale qui serait imposée aux actionnaires privés. Locafrique a finalement obtenu gain de cause car, le 1er décembre 2021, l’Assemblée générale extraordinaire s’est réunie pour statuer et prendre une décision collective sur les modalités de la recapitalisation.
Lors de cette rencontre, Locafrique a souhaité un débat sur un procédé plus rapide et plus efficace, selon elle, en tout cas dans l’intérêt de la SAR. Ses représentants ont expliqué les avantages de procéder à une réévaluation libre des actifs, le tout en relation avec des éléments nouveaux portés à sa connaissance. Ce débat n’a pas pu avoir lieu et les arguments de Locafrique SA n’ont pas pu être expliqués à l’Assemblée générale de ce 1er décembre 2021, parce que ses représentants ont été priés, à leur grande surprise, de voter pour ou contre la résolution suite à l’intervention du représentant de l’État.
La démarche de Locafrique visait à instaurer un débat exhaustif sur les avantages de la réévaluation libre des actifs et, à en croire ses responsables, il ne s’agissait nullement d’entraver les intérêts de la SAR. L’essentiel pour Locafrique était d’obtenir le maximum d’informations à fournir aux actionnaires, à la société et aux autorités étatiques dans le cadre d’une Assemblée générale extraordinaire où les questions relatives à la Sar devaient être débattues librement entre actionnaires.
N’ayant pas pu exposer librement et plus amplement ses positions tout en étant sommée de voter sans débats la résolution proposée à l’ordre du jour, Locafrique a exprimé son opposition par un vote négatif. Ce qui a attiré les foudres des représentants de l’Etat, par le biais de la direction générale de la SAR et de Petrosen, qui ont décidé de porter l’affaire devant les juges.
Pourtant, avec un déficit de 59 milliards et des pertes commerciales — surtout dues à des frais financiers — de quelque 36 milliards, la SAR a bel et bien besoin de trouver de l’argent frais. Cela, aucun actionnaire ne le conteste. Mais doit-elle imposer à ses actionnaires de mettre la main à la poche pour combler ce déficit, poursuivre ses activités sans risque et procéder à de nouveaux investissements ?
Selon certains actionnaires, une des solutions consisterait à hypothéquer auprès des banques (ou à revendre à des tiers) un terrain de 92 ha qui est la propriété de la SAR et d’autres propriétés de l’entreprise qui ne génèrent pas de profit. Une vente ou une hypothèque qui supposent, auparavant, une réévaluation le terrain en question et des autres possessions de la SAR.
A ce sujet, Le Témoin est allé à la rencontre d’un spécialiste des questions pétrolières qui connaît parfaitement les problèmes de la SAR mais qui, comme de bien entendu, a requis l’anonymat. Voici en gros ce qu’il en dit : « La SAR a besoin d’argent frais (cash) pour financer ses investissements et son activité.
Réévaluer le terrain de 92 ha n’apportera pas de cash à l’entreprise. La réévaluation des actifs obéit à des règles précises. Une réévaluation des actifs des entreprises a été mise en œuvre par les entreprises au lendemain de la dévaluation du franc CFA en 1994. Cette réévaluation des actifs a été organisée en relation avec les administrations concernées (ministère de l’Economie et des Finances) et des coefficients avaient été définis et appliqués qui tenaient compte de la nature des actifs. Bien sûr cela remonte à loin (27 ans…) mais il est vital que les entreprises industrielles et commerciales aient une politique d’archivage rigoureuse et scientifique.
Les archives constituent la mémoire des entreprises et une mémoire doit être protégée. Lorsque les historiens écriront « l’histoire des entreprises stratégiques » ils devront consulter les archives de ces entreprises et interroger ainsi leur mémoire ». Cela tombe sous le sens mais cela donne aussi de la crédibilité aux arguments de Locafrique qui propose une réévaluation de tous les actifs de la SAR. Naturellement cela prendra beaucoup de temps car les procédures ne sont pas simples, mais cela aura au moins l’avantage de se faire une idée sur la valeur du patrimoine de la SAR et de trouver les solutions les plus adaptées.
Et notre interlocuteur de rappeler qu’une loi existe en matière d’archivage et que notre pays dispose d’hommes bien formés dans ce domaine par l’EBAD (Ecole nationale des bibliothécaires et archivistes de Dakar) qui est un institut universitaire. L’EBAD n’a pas été créée seulement pour l’administration mais aussi pour servir les entreprises et la recherche.
Pour finir, notre interlocuteur ajoute cependant ceci : « Pour hypothéquer le terrain de la SAR auprès d’une banque et obtenir le cash, il y aura d’autres garanties exigées par les banques et le processus sera d’autant plus long ». Surtout, ajoute notre interlocuteur, il faudra avant tout connaître le statut juridique du terrain et tenir compte de la fiscalité à appliquer en cas de réévaluation des actifs. Ce qui ne sera pas une mince affaire en l’absence de données archivées. Autant dire que ce n’est pas demain la veille que la SAR va sortir de l’auberge.
En fait, Manar Sall, le patron de Petrosen Holding, et Mme Mariama Ndoye Decraene, la directrice générale de la Société Africaine de Raffinage (SAR) ont dû penser à juste titre que Khadim Ba, le propriétaire de Locafrique, faisait du dilatoire et se moquait de leur gueule en proposant de procéder à une réévaluation des actifs (notamment fonciers) de l’entreprise — un processus qui peut prendre des mois voire des années — alors que la SAR a un besoin vital et urgent d’argent frais. Une injection massive de capitaux sans laquelle l’entreprise risque de couler. Ou, à tout le moins, de ne plus pouvoir procéder à des importations de pétrole brut et de gaz butane. Pour moins que ça, des émeutes ont éclaté dans le pays !