LA SOUVERAINETÉ ÉCONOMIQUE ET MONÉTAIRE EST LA VOIE DU SALUT POUR L’AFRIQUE
La 2e édition de la conférence sur la souveraineté économique et monétaire de l’Afrique a abordé les questions prioritaires du continent
La souveraineté économique et monétaire de l’Afrique a fait l’objet d’échanges à Dakar. La 2e édition de la conférence sur la souveraineté économique et monétaire de l’Afrique a abordé les questions prioritaires du continent. Ce qui s’est traduit par un grand rendez-vous du donner et du recevoir entre intellectuels africains, européens, américains et asiatiques.
Après les critères et indicateurs exogènes et néo libéraux du Doing Business, de la Banque Mondiale et du FMI, les multiples débats très fructueux et instructifs de cette rencontre annoncent le renversement idéologique et épistémologique des analyses sur le continent. Mais aussi, l’approfondissement et la diversification des enjeux africains par rapport à la conquête des souverainetés dans les secteurs économique, énergétique, pharmaceutique, monétaire entre autres.
Ces idées, portées par de grands scientifiques venus d’ici et d’ailleurs, ont été d’un grand apport au niveau de l’Afrique face aux multiples inflations mondiales. Ainsi, l’initiative de la Rasa, en collaboration avec la Fondation Rosa Luxemburg, dessine réellement la sensibilité d’une nouvelle réflexion des intellectuels africains par rapport aux sensibilités économiques mondiales.
D’après le professeur d’économie Demba Moussa Dembélé, l’Afrique doit chercher sa propre voie après cinq siècles de domination. Il a insisté sur la nécessité d’une déconnexion. « Le problème de la déconnexion est lié au fait que, pendant des siècles et depuis l’aube du capitalisme, l’Afrique est victime du système qui domine le monde. L’Afrique doit faire une demande légitime de réparation globale par rapport à l’esclavage, à la colonisation et au pillage de ses ressources naturelles et la gestion du changement climatique. Elle doit reconquérir ses souverainetés dont celles monétaire, alimentaire et pharmaceutique notamment », a plaidé Pr Demba Moussa Dembélé.
L’économiste a évoqué dans son plaidoyer la pandémie de Covid 19 qui a fait apparaître une vraie nécessité de retrouver l’indépendance pharmaceutique du continent afin de ne plus être dépendant de l’extérieur. Selon Pr Demba Moussa Dembélé, la souveraineté énergétique et la reconstruction des Etats africains sont une nécessité. Revendiquant le renforcement de la solidarité Sud-Sud, fondamental aux relations internationales, il indique qu’il serait impossible d’avoir un développement sans des Etats solides. « Beaucoup de pays commencent aujourd’hui à plus traiter avec le Sud qu’avec les pays du Nord. L’Afrique doit pouvoir financer son propre développement. Trop de rapports montrent des sorties nettes de capitaux hors Afrique. Chaque année, ce sont des dizaines de milliards qui sortent de l’Afrique, comparés aux rentrées », regrette-t-il.
Pr Demba Moussa Dembélé a évoqué le contenu d’un rapport de la CNUCED montrant que si l’Afrique s’organisait mieux, avec une meilleure collaboration entre pays africains, plus de 90 milliards de dollars pourraient être sauvés annuellement des flux financiers illicites. « Nous avons les ressources nécessaires. Mais, il y a un problème de leadership des dirigeants africains pour diligenter cette volonté politique », a constaté avec désolation l’économiste.
Partage des rapports avec les chefs d’Etat
Les experts ayant pris part à la rencontre, venus de différents continents, comptent partager les rapports issus de ces débats sur la souveraineté économique et monétaire de l’Afrique avec l’ensemble des institutions africaines, régionales, continentales, les chefs d’Etat ainsi que le président de la Commission de l’Union africaine. « C’est avec les médias que l’opinion publique peut pousser les chefs d’Etat à changer de politique. Des ateliers de formation seront tenus en ce sens avec les parlements et les membres des gouvernements. Et il y aura, peut-être, des leaders beaucoup plus panafricains qui voudront un changement. Alors, nous leur servirons toutes ces idées sorties de ces débats », promet Pr Moussa Dembélé.
L’économiste Dr Samba Ndongo Sylla, abondant dans le même sens que son prédécesseur à la tribune, a apprécié les questions orales du député Guy Marius Sagna sur la souveraineté monétaire. Il espère que la portée de ces débats va constituer une réelle alternative de changement économique pour l’Afrique.
C’est aussi l’avis du Professeur Dembélé qui pense que Guy Marius Sagna ne fait que répercuter les combats menés ensemble depuis des années. « Nous avons travaillé ensemble dans ces mouvements de lutte contre le franc CFA. Peut-être, ça sera un grand progrès s’il arrive à poser ce débat à l’Assemblée nationale. Il n’est pas possible de nous développer avec ce franc CFA qui est un instrument fondamental de la domination. Le franc CFA est la répercussion de la suprématie blanche à notre niveau. Et tant que cette suprématie blanche sera là, il n’y aura point de développement en Afrique », tranche-t-il.
« Le Mali va sortir du FCFA et va changer de monnaie »
Pr Demba Moussa Dembélé n’a pas pris de gants pour aborder la situation économique du Mali qui projette de sortir du FCFA pour créer sa propre monnaie. D’après l’économiste, ce pays en guerre contre les terroristes a subi un embargo illégal et inhumain. Ce alors qu’aucun texte de la Cedeao n’a prévu d’embargo contre un pays membre. Hélas, regrette-t-il, c’est la France et l’Union européenne qui ont imposé cet embargo. Macron, accuse-t-il, a utilisé Ouattara et Macky Sall pour imposer « illégalement » cet embargo afin de geler les avoirs du Mali.
Pr Demba Moussa Dembélé regrette l’absence de solidarité entre pays africains. Certains chefs d’Etat, estime-t-il, sont à la solde de l’Union européenne et la France. Et ils n’hésitent point à affaiblir un pays frère alors qu’ils auraient dû s’opposer à ces injonctions des Occidentaux. Sinon, persiste-t-il, personne ne comprend comment d’autres pays peuvent violer les textes de la Cedeao et de l’Uemoa pour imposer un embargo illégal. L’économiste s’inquiète de savoir si les institutions africaines ont une utilité. Dans tous les cas, selon lui, « Si le Mali sort et que nous restons dans le FCFA, ça va amener des difficultés dans le commerce entre nos deux pays », prévient-il.
Annulation collective de la dette
Le Sénégal était le premier pays à demander l’annulation de la dette de l’Afrique pendant la Covid 19 afin que les ressources économisées dans le remboursement de la dette puissent servir à lutter contre la pandémie et ses conséquences. Mais cette annulation n’a pas été acceptée par les créanciers. Selon Pr Demba Moussa Dembélé, la majeure partie de la dette de l’Afrique, n’ayant pas servi aux populations africaines, est illégitime. L’économiste estime que la meilleure façon d’aller vers l’annulation de la dette, c’est de l’exiger de manière collective avec une pression collaborative de plus de dix pays africains.
Il soutient avec d’autant plus de force l’annulation de la dette des pays africains qu’il considère qu’elle a plus servi aux créanciers qu’aux populations du continent. Avec de mauvaises politiques, les pays africains se sont surendettés. L’économiste donne l’exemple du gouvernement sénégalais avec ses 40 ministres, ses Institutions, dont le HCCT et le CESE. Il reste d’avis que c’est des milliards de FCFA ne servant à rien qui sont dépensés. Ce qui accroit les dépenses publiques et les rendent trop élevées sur le plan interne. S’agissant de la collecte d’impôts, les directeurs des Impôts disent qu’il n’y a que 10 % des contribuables qui s’acquittent de leur devoir fiscal. « S’il n’y a que 10 % qui payent les impôts et vous avez des dépenses publiques abyssales, alors, il faut aller chercher l’argent ailleurs. C’est ce qui explique le surendettement », d’après l’économiste Demba Moussa Dembélé.
Exploitation du pétrole et du gaz, Pr Dembélé met en garde contre le syndrome hollandais
L’exploitation du pétrole et le gaz occupe la centralité des débats au Sénégal. Des idées et des opinions controversées s’installent dans l’espace public. Mais des craintes de déstabilisation du pays avec une incrustation des occidentaux, véritables opportunistes des situations conflictuelles, subsistent.
Pr Demba Moussa Dembélé a évoqué à ce propos la situation de la Hollande après la découverte de son pétrole. Toute son économie a été dirigée vers ce secteur. Ce pays avait délaissé tous les autres secteurs de son économie de sorte qu’il y avait eu une déconnexion. Conséquence : il avait aussitôt subi une autre crise. « J’ai l’impression que le syndrome hollandais risque de nous arriver. Ce n’est pas nous qui contrôlons mais des sociétés multinationales qui contrôlent l’exploitation de ce pétrole. Donc, tous les chiffres donnés, c’est des projections, loin de la réalité qui peut être différente », a averti Pr Demba Moussa Dembélé.
Le groupe d’universitaires, de décideurs et de militants d’Afrique, d’Asie, d’Europe et d’Amérique du Nord a servi une déclaration aux gouvernements, aux institutions africaines et hors d’Afrique sur la souveraineté économique et monétaire du continent. Ce parterre d’intellectuels est revenu sur le nouvel ordre économique international qui est au cœur de la crise contemporaine. Le débat sur la souveraineté économique et monétaire africaine a attiré l’attention. L’incorporation défavorable de l’Afrique dans l’ordre capitaliste qui domine le monde est le problème. « Nous faisons partie intégrante du système qui ne pourrait prospérer sans notre exploitation. Notre crise mondiale est une crise climatique, une crise de la biodiversité, de la pollution, de la finance spéculative, de la guerre et des inégalités. Il y a une crise générale de l’ordre capitaliste néolibéral », ont soutenu les économistes et intellectuels dans leur déclaration à l’issue des travaux sur la souveraineté économique et monétaire africaine.
Cette rencontre a permis d’aborder l’agitation géopolitique qui reste un symptôme dangereux. Les spécialistes refusent d’accepter les multiples crises qui agitent le monde et ont décidé de les affronter. La Déclaration de Dakar est ainsi faite dans le but d’initier une coopération durable et confiante avec les initiatives et les mouvements partageant l’esprit de la rencontre.
D’après Demba Moussa Dembélé, Ndongo Samba Sylla et Compagnie, les objectifs stratégiques dégagés vont servir d’étalon pour l’action. A travers cette déclaration, ils se disent convaincus que la plupart des gouvernements ne mettront pas en œuvre les transformations attendues. Ils expriment le besoin d’États forts, démocratiques et responsables mais aussi de peuples plus forts pour défendre ces Etats et les pousser à des performances économiques. « Avec un monde qui se divise en blocs commerciaux plus régionaux, la construction d’alliances régionales devient nécessaire et possible. La réaffirmation de notre souveraineté et la soumission des intérêts étrangers à nos besoins et intérêts internes deviennent plus faciles. Cette croissance de la souveraineté politique pour transformer structurellement nos économies et nos sociétés peut nous permettre de nous attaquer fondamentalement aux problèmes de longue date que sont la pauvreté, le développement social et la démocratisation », estiment les participants.
Poursuivant, ils disent que les inégalités mondiales face à la dégradation du climat, la volatilité de la finance et des prix des matières premières placent le Sud dans une situation particulièrement défavorable à surmonter. Ils réclament la fin de la crise récurrente de la dette. « Nous devons développer une institution financière mondiale qui surmonte la dette infâme et souvent odieuse dont souffrent les populations africaines. Nous devons mettre un terme au vol permanent commis par les sociétés transnationales qui affluent vers le Nord lorsqu’elles transfèrent leurs bénéfices, les stockent dans des paradis fiscaux et les investissent sur les marchés financiers. Tout cela, sous le couvert du langage inoffensif de l’investissement direct étranger». »
La rencontre de Dakar a permis d’insister sur le développement adéquat des services publics et l’adaptation à la crise climatique. « Nous avons besoin d’un programme mondial de réparations et chercher à l’élaborer techniquement, à le légitimer, à le défendre et à le mettre en œuvre. Le militarisme et l’impérialisme ne peuvent continuer à modeler politiquement le système mondial. Nous défendons un neutralisme positif à l’égard du bloc historique colonial-impérial, et la non-coopération avec leur ingérence dans les affaires africaines », proclament-ils dans le document final. Ces experts cherchent à construire un mouvement durable et à acquérir une influence réelle sur les processus politiques. Ils appellent à la coopération panafricaine, Sud-Sud et à la solidarité mondiale pour une cause collective.