«LES GRANDES RÉFORMES DU SECTEUR DE L’ENERGIE VONT RENFORCER LA SOUVERAINETÉ DE L’ETAT»
Ibrahima A. Sarr, président de la Crse, explique les nouveaux contours de la régulation

En marge d’un atelier organisé par la Commission de régulation du secteur de l’énergie (CRSE), en janvier dernier, au profit du Collectif des journalistes économiques du Sénégal (COJES), Ibrahima Amadou Sarr, Président de ladite Commission a décliné les importantes mutations de la régulation du secteur énergétique à l’orée des premiers barils de pétrole et de gaz attendus en 2023. Jusqu’ici la CRSE ne prenait en charge que le secteur de l’électricité, tandis que la régulation du secteur des hydrocarbures était gérée par le Conseil national des hydrocarbures (CNH). Le président Macky Sall a décidé dès 2014 de procéder à la fusion des deux structures pour en faire une seule entité chargée de la régulation de l’électricité et de l’énergie. Ce qui fait que, depuis lors, la CRSE a comme attribution les secteurs énergétiques et de l’électricité. De 2014 à nos jours, le processus était en cours. En juillet 2021, la nouvelle CRSE a été créée. Il ne reste plus que les décrets d’application pour que la nouvelle structure commence à fonctionner.
Le Témoin - La Commission de régulation du secteur de l’électricité sera transformée en Commission nationale pour l’énergie. Qu’est-ce qui explique une telle mutation décidée par les autorités ?
Ibrahima Amadou Sarr - Avec les découvertes du pétrole et du gaz, et même bien avant, il y avait deux structures de régulation. La Commission de régulation du secteur de l’électricité (CRSE) et le Conseil national des hydrocarbures (CNH). Le président de la République, dès 2014, avait pris la décision, en lieu et place de ces deux organes de régulation, de faire une fusion pour arriver à avoir une Commission de régulation du secteur de l’énergie. Cette option politique a été accentuée par les découvertes de pétrole et de gaz. On a considéré le bien-fondé de la réforme. Depuis lors des discussions étaient en cours pour rendre opérationnel un organe de régulation qui s’occuperait de l’électricité, mais également des secteurs intermédiaires et aval des hydrocarbures. C’est ce qui a été fait depuis juillet 2021 où on a créé la Commission de régulation du secteur de l’énergie (CSRE) qui sera élargie aux personnels du CNH. La nouveauté principale, c’est que cela a coïncidé avec la mise en œuvre du second Compact Millénium challenge account dédié spécialement au secteur de l’énergie qui prend en compte cette préoccupation. Ce qui fait que nous avons un nouveau Code de l’Electricité qui rassemble tous les textes épars qui régissaient le secteur. Il y a une nouvelle loi qui consacre la nouvelle Commission de régulation du secteur de l’énergie avec ses nouvelles attributions aussi bien dans le domaine de l’électricité que dans celui des hydrocarbures notamment le secteur intermédiaire aval gazier et pétrolier.
Cette grande réforme va surtout créer un dégroupage de la Senelec qui va être structurée en filiales. Comment cela peut-il s’articuler avec la nouvelle mission de la CSRE ?
Le dégroupage de la Senelec intervient dans le cadre de la création d’un marché de l’électricité au Sénégal. Senelec était une entreprise verticalement intégrée et s’occupait de la production, du transport et de la distribution de l’énergie électrique. On a ouvert à la concurrence un premier segment qu’est le secteur de la production. La Senelec ne pouvait plus continuer à assurer seule le secteur de la production. On a fait appel à des producteurs indépendants avec qui la Senelec signe des contrats d’achat d’énergie pour augmenter sa capacité de production. Après cette première ouverture à la concurrence, on doit à présent aller vers une seconde phase marquée par davantage d’ouverture au marché notamment pour la distribution de l’énergie électrique dans les zones où Sénélec n’était pas jusqu’à présent présente. Ce pour pouvoir davantage assurer une concurrence. En effet, quand l’activité de la Senelec est intégrée comme c’est le cas aujourd’hui, la concurrence ne peut pas véritablement jouer. C’est pourquoi, on dégroupe les activités pour arriver à une filiale autonome qui ne va s’occuper que de la production. Il y aura maintenant une filiale distribution et transport pour pouvoir compétir dans les mêmes conditions avec les distributeurs vendeurs qui sont sur le marché pour éviter qu’il y ait des subventions croisées entre les différentes entités de Senelec. Nous allons avoir maintenant une Senelec Holding plus les trois filiales (Production Transport et Distribution et vente). Tout cela entre dans le cadre de la mise en œuvre opérationnelle du marché de l’électricité dans notre pays.
Ces grandes mutations sonnent comme un retrait de l’Etat d’un secteur aussi stratégique que l’électricité. Que restera-t-il de souveraineté à l’Etat dans ce secteur ?
Je pense au contraire que ces grandes réformes vont renforcer la souveraineté de l’Etat. Parce que cette organisation est de nature à permettre à ce que les grands déterminants concernant l’approvisionnement correct du pays en énergie, ce sont les bases qu’on est en train de jeter aujourd’hui à savoir la multiplication et une concurrence entre les acteurs. Cela va permettre à termes une diminution des prix, il n’y aura plus une situation de monopole d’un quelconque opérateur à commencer par l’opérateur public Senelec. Comme vous le savez, jusqu’ici Senelec a le monopole de l’achat en gros et dans un délai normalement de 30 mois, tous les producteurs qui souscrivent une puissance égale ou supérieure à 5 mégawatts pourront se ravitailler auprès de leurs producteurs de choix. On doit s’attendre à deux ans au maximum à l’intervention de plusieurs acteurs qui vont venir utiliser le réseau de transport de Senelec pour ravitailler certains consommateurs qui utilisent certaines puissances. Un tel dispositif est fait de manière graduelle parce que, si on le fait d’un seul coup, Senelec risque de perdre tous ses gros clients. Cela dit, sur les questions de souveraineté énergétique, il est évident que l’Etat a pris toutes les dispositions nécessaires. C’est le régime juridique des biens et services qui sont destinés à l’exploitation du service de l’électricité. Il y a certains biens qui, même s’ils sont réalisés par des investisseurs privés, vont demeurer la propriété de l’Etat du Sénégal. Les fondamentaux notamment pour le transport que ce soit pour le gaz à travers les gazoducs, ou les lignes de transport d’électricité, tout cela est censé être la propriété de l’Etat du Sénégal. Personne ne peut les aliéner. Sur toutes les questions de souveraineté, à proprement parler comme dans tous les pays du monde, ce sont des choses standardisées. Un opérateur privé ne peut pas prendre en otage un Etat surtout sur des questions aussi stratégiques.
La nouvelle CSRE va intégrer, en son sein, un Comité de règlement des différends à l’’image de l’ARMP. Quelles seront les missions de CRD ?
Le rôle du Comité de règlement des différends, c’est d’apaiser davantage les contentieux qu’il peut y avoir entre les opérateurs et leurs clients. Mais aussi les contentieux qui ne peuvent pas manquer entre les opérateurs du secteur. La mission essentielle de l’organe de régulation, bien avant même le CRD, c’est de pacifier le secteur, de définir un certain nombre de règles, de mener de manière périodique des concertations. Et s’il y a des contestations, celles-ci sont transférées au niveau du CRD pour être tranchées. L’avantage, c’est, étant donné que c’est un organe constitué d’experts qui connaissent bien le secteur, cela pourrait faciliter le règlement des litiges en parlant le même langage que les opérateurs. C’est cela qui permet un peu de gagner en temps puisque si ces contentieux étaient transférés au niveau des tribunaux, cela risquerait de prendre beaucoup de temps.
Le Sénégal a réglé les problèmes de production et de transport mais le coût de l’électricité y est encore très cher. Avec les découvertes de gaz et de pétrole et l’exploitation prévue en 2023, les Sénégalais peuvent-ils espérer une baisse prochaine du coût de l’électricité ?
Effectivement le prix de l’électricité reste encore élevé au Sénégal. Le secteur électrique reste confronté à trois défis. Le défi de la disponibilité, celui de l’accès et le défi du coût du produit. Vous ne pouvez pas régler, surtout pour un pays sous-développé, ces trois défis en même temps. Si vous vous souvenez de 2011 avec les émeutes de l’électricité qui était rationnée, on donnait de l’électricité aux quartiers par rotations. Il a fallu faire de gros investissements pour rendre le service disponible. Depuis 2012, des efforts ont été faits et au moment où je vous parle, le Sénégal a une puissance installée de 1400 mégawatts, cela veut dire qu’aujourd’hui le produit est disponible. Mais il ne faut pas oublier que ce sont des investissements lourds et sur le long terme. On n’a pas encore amorti ces investissements et les autres défis ne sont pas laissés en rade. L’Etat a continué à mener des efforts considérables pour relever aussi le défi de l’accès surtout avec tout ce qui a été déployé au niveau du monde rural en termes d’électrification. Aujourd’hui, on a un taux très honorable en matière d’électrification dans le monde rural. Pour ce qui est du défi du coût, depuis 2 à 3 ans, des efforts importants ont été menés par l’Etat à travers la Senelec pour la conversion de toutes les centrales de Senelec en dual fuel pour que ces dernières puissent fonctionner au gaz avec les nouvelles découvertes de gaz et de pétrole. Normalement, si on part du principe que les charges de combustible importé représentent 80 % des charges de Senelec, cela veut dire qu’avec l’avènement du gaz, il devrait y avoir une diminution très importante de ses charges d’exploitation. Le principe de régulation étant que toute diminution de charges de l’opérateur est répercutée sur les tarifs, cela devrait alors se traduire par la baisse des prix de l’électricité. Ce qu’il faut aussi prendre en compte c’est que la baisse du prix de l’électricité n’est pas automatique comme on pourrait le penser. Parce que tous les investissements réalisés dans le secteur l’ont été faits sur une longue période. Ce qui veut dire qu’il y aura un temps d’amortissement nécessaire. Mais quel que soit alpha, l’exploitation du gaz est de nature à avoir de l’impact tendant à la diminution des tarifs de l’électricité.