« L’INFORMEL DOIT NOUS FAIRE CONFIANCE »
Entretien avec Blaise Diadhiou de l’Onecca
Pour faire faire valoir la profession comptable auprès des opérateurs économiques et des autorités gouvernementales du Sénégal et des autres pays membres de l’Uemoa, les experts-comptables ouest-africains se réuniront à Dakar les 20 et 21 septembre 2018. D’après le Délégué général à l’organisation de ce 2e Congrès régional, différents thèmes seront abordés durant ces deux jours. L’expert-comptable souligne, entre autres thèmes «L’expert-comptable, acteur majeur de l’économie» ; «L’expert-comptable et performance durable de l’entreprise» ; «Le rôle de l’expert-comptable dans la prévention des conflits et la sauvegarde des entreprises». Entretien.
«L’expert-comptable, créateur de valeur», tel est le thème du deuxième Congrès régional des experts-comptables de l’Uemoa. Qu’est-ce qui justifie le choix de ce thème ?
L’expert-comptable est vu sous un angle très circonscrit. Aux yeux du commun des mortels, nous sommes des censeurs, des empêcheurs de tourner en rond, alors qu’en réalité, nous sommes là pour être à côté de l’entreprise au quotidien (…).
Nous faisons partie des acteurs privilégiés qui permettent aux entreprises de vivre, et non des empêcheurs de tourner en rond.
Qui dit création de projet, dit développement et même quand on aura dans le développement des problèmes, l’expert-comptable sera là pour essayer de solutionner ces difficultés. Il suffit qu’on lui pose les problèmes pour qu’il puisse apporter des solutions. Ainsi, à tous les niveaux, nous créons de la valeur. Rendre un projet bancable, c’est créer de la valeur. La valeur, ce n’est pas forcément pécuniaire, mais tout ce qui permet de voir que l’économie pourra tirer profit d’un projet qui venait de germer et qui était vague. Donc, on est là pour accompagner l’économie, en essayant de créer de la valeur à tout instant.
Qu’est-ce qui fait que l’expert-comptable est vu comme un empêcheur de tourner en rond ?
Dans l’informel, par exemple, la personne ne paie pas d’impôt. Si vous lui demandez si elle a besoin d’expert-comptable, elle vous dira que l’expert-comptable va me formaliser, et je vais payer l’impôt, alors que je n’en payais pas. Elle ne voit que l’aspect taxe, ce qui n’est pas négatif d’ailleurs. Elle ne voit pas le côté rentabilité. Peut-être, nous avons failli de ce côté-là, puisque quand vous ne dites pas ce que vous êtes, les gens ont le droit de vous juger comme ils le ressentent.
Dans le monde de l’expert-comptable, on parle souvent de l’audit. On voit l’auditeur comme une personne qui fouine, alors que ce n’est pas ça l’audit. L’audit est là pour permettre d’améliorer le rendement, la gestion, la gouvernance d’une entreprise, pas pour venir épingler. L’auditeur vient juste pour s’assurer si tout se fait selon les règles de l’art, les bonnes pratiques. C’est un peu l’image galvaudée que les gens ont de notre profession.
Est-ce que l’image de la profession n’est pas écornée ?
Non. L’image de la profession, en Afrique de l’Ouest, commence maintenant à s’améliorer, parce que nous avons fait beaucoup d’efforts. Les Onecca sont maintenant affiliés aux plus grandes instances internationales, notamment l’Ifac (la Fédération internationale des comptables), entre autres.
Pourquoi avez-vous choisi de placer ce deuxième congrès sous le signe du renouveau de la profession ?
Le renouveau, c’est parce que la profession évolue. Vous avez entendu parler de Rse (Responsabilité sociétale d’entreprise). Il faut donc mettre la Rse dans l’information comptable qu’on donne. Quand on parle du renouveau de la profession, on pense à son évolution par rapport à tout ce qui se passe aujourd’hui. Les choses sont tellement complexes, et évoluent tellement vite. On est dans l’ère du numérique, on traite les informations autrement. Donc, il faudra qu’on s’adapte à tout cela…
Avec les découvertes pétrolières et gazières, le Sénégal devrait être doté d’une nouvelle industrie. Pour en tirer le maximum de profits, tous les acteurs économiques sont aujourd’hui, appelés à se préparer à cette nouvelle ère. L’Onecca est-il prêt ?
Bien sûr. Car, le savoir n’a plus de frontière. L’expertise, même si on ne l’a pas intra-muros, on a la possibilité d’avoir la collaboration avec des experts qui sont déjà outillés pour cela. Ce qui serait dommage, c’est que ce soient les grands groupes mondiaux qui font plus de 80% de chiffre d’affaires de la profession, qui monopolisent cette activité-là. Mais, il y a l’expertise sénégalaise à travers ces grands groupes mondiaux-là qui existent. Donc, il n’y aura aucun problème pour rassurer les populations sur la bonne gouvernance ou non de la gestion de cette manne qui se profile à l’horizon.
La profession comptable ne peut pas se faire sans l’Onecca. L’onecca a le monopole, nous sommes un démembrement du ministère des Finances. Rien ne pourra se faire sans la profession comptable au Sénégal. Bien entendu, ça n’empêchera pas qu’il y ait des partenariats. Mais rien ne pourra se faire sans la profession comptable. L’expert-comptable qui est un acteur transversal pourra s’appuyer sur d’autres expertises pour pouvoir mener à bien sa mission. Rassurez-vous, l’économie sénégalaise sera maîtrisée à travers notre profession.
Aujourd’hui, le tissu industriel sénégalais est essentiellement constitué de Petites et moyennes entreprises (Pme). Quelle analyse faites-vous de l’évolution de ce segment de l’économie sénégalaise ?
Ce segment est le cœur du tissu industriel, parce que le tissu est surtout animé par l’informel. Nous allons rassurer ces acteurs cruciaux de l’économie sénégalaise. Pour quitter le stade embryonnaire et devenir des entités plus fortes, il faudrait qu’ils nous fassent confiance…Nous sommes là pour tout le monde. De la grande structure au petit boutiquier du coin, nous pouvons aider et souhaitons aider ces gens pour améliorer leur performance économique.
Lors de la 8e conférence africaine de la finance et de la comptabilité, le ministre du Budget, Birima Mangara, avait demandé aux experts-comptables de développer des mécanismes et dispositifs de lutte contre la corruption. Quel commentaire cela vous inspire ?
(…) Pour lutter contre la corruption, il faudrait que les experts encouragent les entreprises à se mettre aux normes, en ayant des procédures efficaces, qui favorisent la compétition et non le copinage.
Le ministre disait que la majeure partie des solutions viennent de l’extérieur. Etes-vous prêts à décliner des propositions ?
On en propose tous les jours. On a les mêmes formations. On côtoie les confrères tout le temps, on a des réunions régulières, on utilise les normes internationales. Ce n’est pas des normes africaines ou autres. On est affilié à l’Ifac. On fait exactement le même métier. Quand un expert africain donne son avis quelque part, en utilisant les mêmes process, quand les autres arrivent, ils n’ont rien à redire. Et aujourd’hui, on fait de plus en plus appelle à nous. Je parle de l’extérieur.
Où se situe donc le problème ? On ne vous entend pas souvent.
C’est parce qu’on ne communique pas assez. Mais on est tout le temps sur le terrain et dans tous les combats. L’économie, elle est maîtrisée par qui ? Elle est maîtrisée par les multinationales. En deuxième position, vous avez l’Etat. Troisième position, les bailleurs de fonds et quatrième, le secteur des Petites et moyennes entreprises (Pme) informelles. Qui sont les gens qui travaillent avec les multinationales ? Ce sont les experts qui sont là, même s’ils appartiennent aux cabinets internationaux. Mais ce sont les experts-comptables sénégalais qui sont associés à ces cabinets-là, qui font le job. Les bailleurs de fonds font appel de plus en plus à des cabinets nationaux pour regarder tout ce qui se passe. L’Etat idem. C’est l’informel qui est encore un peu réticent, mais avec l’aide des médias, ils feront appel à nous. Donc, on est vraiment dans le processus au même titre que les autres.
On va organiser des campagnes de sensibilisation pour montrer aux gens que l’expert-comptable n’est pas pour embêter les gens, mais pour les accompagner.
Quels seront les différents points qui seront abordés au cours de ce congrès ?
Après la cérémonie d’ouverture prévue le jeudi 20 septembre 2018, il y aura un panel sur le thème «L’expert-comptable, acteur majeur de l’économie». Dans l’après-midi, deux ateliers sont tenus. Le premier aura pour thème «L’expert-comptable et performance durable de l’entreprise (de la création à la transformation)» ; quant au deuxième, le thème retenu est : «Le rôle de l’expert-comptable dans la prévention des conflits et la sauvegarde des entreprises.» Pour le deuxième jour, c’est-à-dire le vendredi 21 septembre, il est également prévu des ateliers. Un sur «L’expert-comptable dans l’évolution de son environnement» et un autre sur «L’expert-comptable socialement responsable». Dans l’après-midi, il est prévu une conférence sur le thème «Quelle proposition pour la croissance et le développement de la Tpe et de la Pme-Pmi en zone Uemoa».
Quels sont les objectifs visés à travers ce deuxième congrès ?
Nous voulons rassembler et renforcer la coopération entre les différents ordres des experts-comptables de l’Union autour d’un évènement économique commun ; faire valoir la profession comptable auprès des opérateurs économiques et des autorités gouvernementales du Sénégal et des autres pays membres de l’Union. Notre ambition, c’est aussi de réunir dans un même espace les experts-comptables, les professionnels du chiffre, les acteurs économiques ainsi que les autorités administratives dans un cadre d’échange et de travail ; positionner, promouvoir et entériner un évènement institutionnalisé et d’envergure pour la profession comptable ; et enfin positionner le Sénégal comme acteur économique de la zone Uemoa.