INÉGALITÉS, FUITES, ABSENCE D’INFORMATION, … LES FAIBLESSES DU SYSTÈME SÉNÉGALAIS
L’exposé des 6 indicateurs de mesure du baromètre de la fiscalité équitable laissent les acteurs de la gouvernance fiscale perplexes
Le baromètre de la fiscalité équitable au Sénégal est un outil qui évalue la fiscalité. Sur la base de six indicateurs de mesure liés à «la structure du système fiscal», à «la progressivité de l’impôt», à «l’état des fuites fiscales», à «l’efficacité de l’Administration fiscale», à «la masse des dépenses publiques» et à «la transparence et la responsabilité», cette étude a révélé un système fiscal sénégalais qui parfois rompt avec le principe d’égalité, une fiscalité pas toujours suffisante, avec des secteurs qui échappent au contrôle de l’Etat et aussi une gestion peu transparente des recettes collectées.
L’exposé des 6 indicateurs de mesure du baromètre de la fiscalité équitable laissent les acteurs de la gouvernance fiscale perplexes. A la question de savoir est-ce que le système fiscal sénégalais est équitable, les experts donnent des réponses mitigées. «Le principe d’égalité est sapé dans l’affectation des ressources collectées», souligne Abdou Aziz Kébé, enseignant chercheur à l’Université de Dakar.
De l’avis de M. Kébé, l’utilisation des ressources est disparate. Le premier poste de dépense du budget est la dette avec (839 milliards de francs Cfa de dette, payée chaque année). Viennent ensuite les dépenses de personnelle (630 milliards par an), la masse salariale (800 milliards de francs Cfa). L’éducation, les infrastructures et la santé suivent. Parmi les limites d’une fiscalité équitable, Abdou Aziz Kébé y ajoute la pression fiscale beaucoup plus forte chez les ménages. Il donne l’exemple de l’Impôt sur le revenu (Ir) physique compris entre 17 et 19%, alors que l’Impôt sur les sociétés (Is) est évalué à seulement 10%. Le maître de conférences qui considère cette différence comme une inégalité suggère à l’Etat d’élargir l’assiette fiscale aux secteurs qui échappent à son contrôle, notamment le secteur commercial et informel.
L’autre indicateur sujet à problème est relatif à celui de «suffisance des recettes et fuites fiscales», c’est-à-dire la capacité à mobiliser les impôts. L’universitaire trouve l’assiette approximative, car constatant toujours un écart entre les prévisions et la somme recouvrée. Certes le taux de pression fiscale (19,5% du Pib) est conforme aux critères de convergence de l’Uemoa qui est de 19% du Pib, mais il reste faible, de l’avis de M Kébé, qui reconnaît tout de même les efforts consentis ces dernières années. Il désigne l’insuffisance de moyens humains. «A la date du 31 mars 2018, il n’y a que 183 inspecteurs et 187 contrôleurs. Or, nous sommes dans une transition fiscale», renseigne-t-il. L’enseignant chercheur touche du doigt les exonérations fiscales. «Est-ce que les renonciations fiscales profitent au pays ? En 2009, elles étaient à 300 milliards de francs Cfa, soit 27% des recettes. En 2011, on avait 262 milliards, soit 21% des recettes collectées.»
Absence d’informations sur les exonérations fiscales depuis 5 ans
Plus grave, ajoute M. Kébé, «depuis 5 ans, l’Etat n’a pas publié le montant des exonérations fiscales. On n’a pas de chiffres ni de statistiques. Or, c’est une obligation de l’Uemoa qui dit dans son Code de transparence qu’on doit publier les informations».
Un manque de transparence relevé par le dernier indicateur du baromètre de fiscalité équitable de transparence intitulé «Transparence et responsabilité». Il révèle que l’information financière n’est pas toujours disponible dans ce pays. En outre, pour certaines informations disponibles, l’enseignant chercheur les trouve inaccessibles et complexes. Ce qui, selon lui, ne favorise pas la compréhension pour le citoyen lambda. Le rapport s’est également attardé sur «l’utilisation douteuse» de certaines recettes non fiscales de l’Etat qui lui échappent, notamment dans les agences, les entreprises publiques, etc. Il a aussi noté que l’engagement et la participation des citoyens dans l’élaboration des politiques publiques est très relatif.
Elimane Kane, responsable du Programme gouvernance à Oxfam, coordonnateur du Baromètre de l’équité fiscale pour le Sénégal, salue ce rapport. Il estime que ce baromètre est un outil sur lequel les acteurs de la gouvernance doivent travailler pour relever le défi, surtout dans un contexte marqué par de nouveaux enjeux gaziers et pétroliers.
Félix Sow, coordonnateur général du Forum civil, pour sa part, invite l’Etat à travailler davantage dans la lutte contre la fraude fiscale.
Ce rapport sur le baromètre de la fiscalité équitable est la deuxième édition mise en œuvre par Oxfam et le Forum civil. C’est un outil de gouvernance fiscale qui évalue la fiscalité et qui permet aux pays membres d’améliorer leur gouvernance fiscale. Il a plaidé pour son appropriation par les hautes autorités.