NOUS VOULONS DES ORGANISATIONS FORTES ET EFFICIENTES
Alioune Sarr, ministre du commerce
Dans cet entretien, le ministre Alioune Sarr explique la portée et le sens de la réforme des Chambres de commerce. A l’en croire, cette mutation vise à doter le Sénégal d’institutions consulaires fortes, efficientes et capables de fédérer les efforts des entreprises des secteurs d’activités représentatifs pour un développement économique et social du pays.
Vous allez défendre, aujourd’hui, le Projet de Loi portant création de la Chambre nationale de Commerce, d’Industrie et de Services du Sénégal (Cci-Sn) et des chambres régionales de commerce, d’Industrie et de Services (Cci-R). Pourquoi le gouvernement a-t-il décidé d’engager cette réforme d'envergure si l'on sait que l’architecture actuelle des chambres consulaires date des indépendances ?
En vérité, l’histoire des chambres de Commerce au Sénégal est même antérieure à l’indépendance. Elles trouvent leur origine au sein des comités de commerce de Dakar, créés depuis 1842, en passant par les Chambres de Commerce de Gorée et de Saint Louis en 1869, la Chambre de Commerce de Dakar en 1888, celles de Kaolack et de Ziguinchor respectivement créées en 1911 et en 1914. Malgré les nombreuses refontes de textes entreprises en vue de permettre une prise en charge efficiente de leurs missions, les Chambres de Commerce, d’industrie et d’agriculture traversent de nombreuses difficultés institutionnelles, financières et techniques qui rejaillissent négativement sur leur performance.
En effet, le rôle dévolu, jadis, aux Chambres de Commerce en termes de promotion et de développement du secteur privé, d’encadrement et de promotion commerciale des entreprises est, aujourd’hui, partagé avec d’autres structures de l’Etat et agences d’exécution.
De même, le manque d’implication réelle des Chambres de Commerce, d’Industrie et d’Agriculture dans la mise en œuvre des politiques publiques, mais surtout la dispersion des ressources allouées à leurs activités de promotion plombent, en partie, la prise en charge correcte des missions des institutions consulaires.
En outre, elles sont confrontées à des difficultés financières pour couvrir leurs charges de fonctionnement et d’investissements. Ce qui impacte négativement la réalisation correcte de leurs missions et l’atteinte de leurs objectifs. Aussi, doivent-elles aujourd’hui repenser leurs missions, se redéfinir en changeant de modèle économique et en se remettant en cause, sous peine de disparaître surtout dans un contexte marqué par une volonté manifeste des autorités de faire la promotion de la viabilité des territoires et des pôles de développement.
C’est dans ce cadre que M. le Premier ministre a instruit mon département, chargé de la tutelle technique des Chambres de Commerce, d’Industrie et d’Agriculture, d’examiner les voies et moyens d’une réforme en profondeur des institutions consulaires en vue de doter le Sénégal d’institutions consulaires fortes, efficientes et capables de fédérer les efforts des entreprises des secteurs d’activités représentatifs pour un développement économique et social du pays.
La réforme consacre la séparation des Chambres d’Agriculture, des Chambres de Commerce, instaure une Chambre nationale et des Chambres régionales, mais aussi et surtout elle met un accent particulier sur les services. Qu’est-ce qui explique ce focus sur les services?
Cette option n’est guère fortuite car bien que les services soient, dans le passé, supposés compris dans la section industrie en tant que sous- section « services », force est de reconnaître aujourd’hui qu’ils occupent une place primordiale dans l’économie nationale, notamment en termes de contribution au Pib (avec 53 ,3% contre 19% pour le secondaire et 15,7% pour le secteur primaire) et d’acteurs intervenant dans ce secteur ; ce qui en fait un des secteurs phares du Pse.
En outre, le gouvernement a entrepris la réalisation d’importantes infrastructures dans différents domaines : le parc numérique, l’Aibd, le Marché d’Intérêt national, la Gare des Gros Porteurs, etc. Autant de secteurs d’activités qui gravitent autour des services sans oublier l’exploitation prochaine des ressources pétrolières et gazières qui va impacter nécessairement le secteur des services avec de nouvelles activités et de nouveaux métiers que la Chambre nationale devra intégrer.
Cette réforme a-t-elle fait l’objet d’une large concertation avec les acteurs, si l’on sait que certains opérateurs économiques ont déclaré qu’ils n’ont pas été associés au processus ?
Cette réforme a été portée par un Comité de réflexion, présidé par mon département qui a regroupé toutes les parties prenantes, notamment l’Union Nationale des Chambres de Commerce, d’Industrie et d’Agriculture du Sénégal (Unccias), tous les présidents de Chambres, les Organisations patronale et professionnelles (Ges, Unacoi Jappo, Cnp, Cnes, Mdes, Ufce, Cdes, etc.), la Primature, l’Apix, et certains ministères techniques (Agriculture, Industrie, Economie et Finances, Aménagement du Territoire et Gouvernance Locale).
Au terme des travaux du comité, les options qui se sont dégagées ont présidé à l’élaboration du nouveau dispositif législatif et règlementaire, conformément aussi aux orientations du gouvernement et en lien avec la perspective de création d’une ou des Chambres d’Agriculture, pour mieux prendre en charge le développement des sous-secteurs de l’Agriculture, de la Pêche, de l’Elevage et de la Foresterie, les propositions formulées.
C’est dire que la création de la Chambre nationale de Commerce, d’Industrie et de Services et des Chambres Consulaires régionales de commerce, d’industrie et de services a été faite suivant un processus inclusif et participatif.
A cet égard, il me plaît de vous signaler que j’ai procédé, le 27 décembre 2016, à la validation du projet de texte avec l’Union nationale des chambres de commerce, d’Industrie et d’Agriculture du Sénégal (Unccias), les présidents de chambres et les organisations patronales après prise en compte de deux seules observations sur le projet de texte portant sur l’appellation de la chambre nationale et des chambres consulaires régionales.
Les Chambres régionales seront-elles des filiales de la Chambre nationale comme l’a dit un Collectif d’opérateurs économiques ? Quels types de relations entretiendront la Chambre nationale et les Chambres régionales?
Les Chambres régionales seront les représentantes de la Chambre nationale dans les régions. Les Chambres consulaires régionales constitueront donc des entités locales destinées à favoriser l’expression territoriale. Elles auront désormais un contenu plus économique qu’administratif et devront contribuer à la construction de territoires économiquement viables, compétitifs et porteurs de développement durable, conformément aux objectifs de l’Acte 3 de la décentralisation.
A l’échelon local, les Chambres régionales devront impulser une nouvelle dynamique de partenariat Etat-collectivités locales-secteur privé dans les domaines de la création de richesses et d’emplois, du développement des infrastructures, du financement local, de la sous-traitance locale, de l’aménagement du territoire, de l’assainissement, des transports, de la formation professionnelle, de la réduction des inégalités territoriales.
Elles devront donc, en rapport avec la Chambre nationale, assurer l’implication des professionnels des secteurs économiques concernés, notamment les grandes entreprises et les Pme dans les décisions de l’institution consulaire.
D’autres opérateurs économiques ont vite assimilé l’article 18 qui stipule que « tout candidat à la présidence de la Chambre de Commerce doit savoir écrire, lire et parler couramment la langue officielle à savoir le français », comme une tentative de les écarter. Qu’en dites-vous ?
Cette disposition n’est pas dans le projet de loi. Elle pourrait néanmoins figurer dans le décret si celui-ci était validé avec cette disposition, mais il faut savoir qu’elle ne vise point à écarter un quelconque choix du secteur privé.
Faut-il le rappeler, cette disposition n’est pas nouvelle, elle est tirée de l’article 4, alinéa 5 du décret n° 2002-516 du 16 mai 2002 portant règles d’organisation et de fonctionnement de l’Union nationale des Chambres de Commerce d’Industrie et d’Agriculture qui stipule que « le président de l’Union doit savoir lire, écrire, et parler couramment le français ».
On sait que des élections sont prévues après l’adoption de ce projet de loi. Qu’elles sont les dispositions qui ont déjà été prises pour la limitation des mandats et pour la tenue des élections libres et transparentes ?
Les dispositions seront d’abord relatives à la validation du projet de décret déjà élaboré et soumis à l’appréciation de tous acteurs du secteur privé. Une fois que le projet de décret est adopté, nous allons vers l’organisation de nouvelles élections sur la base du nouveau dispositif juridique qui prévoit toutes les conditions de la tenue d’élections consulaires libre et transparentes.
Comment les nouvelles chambres seront-elles financées ?
La Chambre nationale de Commerce, d’Industrie et des Services du Sénégal bénéficiera des ressources instituées par les lois et règlements en vigueur au Sénégal au profit des établissements publics consulaires et de toutes autres ressources (taxes spécifiques, contribution des entreprises, subvention étatique, cotisations des membres, autres sources).
D’où l’intérêt pour la Chambre nationale d’intégrer, dans ses instances, les grandes entreprises (les banques et établissements financiers, les Tic, les télécoms, énergie et mines, les Btp, le secteur cimentier, les secteurs portuaires et aéroportuaires, le secteur hôtelier, etc.), les Pme-Pmi qui représentent 90% du tissu économique.
La réflexion doit aussi se poursuivre pour rejoindre certains pays de l’Uemoa où la gestion de certaines infrastructures structurantes telles que les secteurs portuaires, aéroportuaires, autoroutières est concédée à la Chambre nationale qui en tire d’importantes ressources financières pour financer les activités consulaires au bénéfice du secteur privé.