POLEMIQUE SUR LE FRANC CFA
Les experts ne parlent pas la même langue
DEMBA MOUSSA DEMBELE A MACRON SUR LE FRANC CFA : «Le Franc CFA est bel et bien une monnaie coloniale»
Alors en visite officielle au Burkina Faso, en novembre dernier, le Président Français, Emmanuel Macron, suite à une interpellation sur le franc CFA disait ceci: «Le franc CFA n'est pas une monnaie coloniale en dépit de ce qu'en pensent les Africains, et la France ne force aucun pays qui ne le souhaite pas à y rester, les pays africains qui veulent se retirer et battre leur propre monnaie sont libres de le faire, c'est aussi simple que ça.» Aujourd’hui, profitant de sa toute première visite officielle de trois jours au Sénégal depuis hier, Demba Moussa Dembélé rétorque en soutenant que «le franc CFA est bel et bien une monnaie coloniale».
A ce propos, l’économiste plus que jamais convaincu convoque l’histoire en déclarant ceci: «Je persiste à dire que le franc CFA est bien une monnaie coloniale. Quand, le 26 décembre 1945, le gouvernement du général de Gaulle créa les ‘’francs des colonies françaises d’Afrique’’ (CFA), c’était pour rétablir le contrôle de la France sur ses possessions africaines, contrôle qui avait été mis à mal pendant l’occupation allemande durant la Deuxième Guerre mondiale. Le franc CFA ainsi que les autres accords commerciaux et militaires étaient, dit-il, des instruments du Pacte colonial, dans lequel «la colonie devient un moyen d’enrichir la métropole ainsi qu’un atout pour lui donner poids et prestige dans le concert des pays les plus forts».
Il poursuit: «Après les indépendances formelles des années 1960, le Pacte colonial s’est transformé en Pacte néocolonial. Et le franc CFA et les autres accords ont tout simplement continué à jouer leur rôle au service des intérêts économiques et géopolitiques de la France».
L’économiste rafraîchit la mémoire de Macron en ces termes: «Monsieur le président, vous n’êtes pas sans savoir qu’en 1994, c’est la France, avec le Fonds monétaire international (FMI), alors dirigé par un Français, ancien directeur du Trésor, Michel Camdessus, qui a décidé de la dévaluation de 50% du franc CFA. Et pour comble de mépris, la France envoya à Dakar un ministre chargé de la Coopération pour informer des chefs d’Etat et de Gouvernement ! » Le Premier ministre français de l’époque, Monsieur Edouard Balladur, disait que la France avait pris cette décision parce qu’elle pensait qu’elle «était dans l’intérêt de ces pays… ».Si un tel comportement de la France ne relève pas du néocolonialisme, c’est que les mots n’ont plus aucun sens!, relève l’économiste. Et depuis l’avènement de l’Euro, le franc CFA est soumis à une double tutelle française et européenne. Donc, son sort se décide à Paris, Bruxelles et Francfort plutôt qu’à Dakar ou Yaoundé, sièges des Banques centrales des pays africains utilisant le CFA. «Tous ces faits montrent bien, Monsieur le président, que le franc CFA n’est pas une monnaie africaine », soutient M. Dembélé. Et d’ajouter : «C’est bel et bien une monnaie coloniale, quoique vous en pensiez!».
L’INTERET DE LA FRANCE AU MAINTIEN DU FRANC CFA
Ainsi, en dépit des discours des dirigeants français et de leurs marionnettes africaines, c’est un fait indéniable que la France trouve son intérêt au maintien du franc CFA. Et l’économiste d’étayer avant de s’interroger: «Les accords monétaires avec les pays africains permettent aux entreprises françaises de jouir d’un statut privilégié dans ces pays, dans lesquels elles occupent les secteurs-clés de l’économie, y compris au Sénégal. Alors quand certains disent que «la France ne gagne rien avec le CFA», on entend la voix des défenseurs de la servitude monétaire, qui cherchent à faire perpétuer celle-ci. Depuis quand a-t-on vu un Etat occidental soutenir une action qui ne soit pas dans ses intérêts?»
FACILITER LA SORTIE DES PAYS AFRICAINS DU FRANC CFA?
Sur les voies et moyens à mettre en œuvre pour accompagner ou alors faciliter la sortie, Demba Moussa Dembélé préconise: «Pour lever les doutes et montrer que votre position sur le CFA était sincère, alors, vous pourriez ‘’faciliter’’ la tâche aux pays africains, en prenant les initiatives suivantes à savoir: Retirer unilatéralement et immédiatement vos représentants au sein des Conseils d’Administration et des Comités de politique monétaire des Banques centrales africaines; Ramener le montant des réserves déposées au Trésor français au niveau statutaire de 20%, comme étape transitoire vers la fin des Conventions des Comptes d’Opérations. Avec ces initiatives, envisageables immédiatement, vous montrerez que vous êtes sincère et prêt à accompagner «les pays africains qui veulent se retirer et battre leurs propres monnaies… » Et ils ont déjà «une alternative, avec la monnaie unique de la CEDEAO», soutient-il. « Alors, la balle est donc dans votre camp, Monsieur le Président», a-t-il conclu.
AHMADOU AL AMINOU LO, DIRECTEUR NATIONAL DE LA BCEAO AUX POURFENDEURS DU FRANC CFA : «Ceux qui combattent le Franc CFA n’ont pas la bonne information»
Le directeur national de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’ouest (Bceao) Ahmadou Al Aminou Lo, en novembre dernier dans l’émission «Grand Jury» clamait fort à qui voulait l’entendre: «Ceux qui combattent le Franc CFA, n’ont pas la bonne information». Sur le principe, à savoir le supposé droit de véto dans le fonctionnement de l’union, sur le compte d’opération, et les réserves du Franc Cfa, le directeur national de la Bceao précisait: «Ils disent que la France a un droit de véto dans le fonctionnement de l’Union. Ce qui est archi-faux», soutenait-il. Avant d’ajouter: « Moi, j’ai eu à participer à plusieurs réunions du conseil d’administration, du comité de politique monétaire, du conseil des ministres. Mais dans les réunions du conseil d’administration, le représentant de la France est un représentant simple comme les autres. Il est dans une économie développée, il vient dans ces réunions avec des informations de première main qu’il partage et qui nous permet de prendre la bonne décision. Donc, pas de droit de véto»
Ainsi, pour le directeur national de la Bceao et ancien directeur des opérations de marché, les réserves de change de l’Uemoa qui sont à peu près égales à 12 milliards d’euros, soit près de 7 658 milliards de francs CFA. «Toute réserve excédentaire d’une banque centrale ne peut pas être monétisée et ne peut qu’être placée. Parce que c’est cela qui sert à régler vos importations futures» explique-t-il.
A l’en croire,«le débat sur la parité fixe et la parité flexible est un faux débat». Car, disait-il: «Le régime de change flottant n’est pas la panacée». Au sujet de la fabrication des billets de banque en France, M Lô rejetait tout discrédit sur l’ancienne puissance coloniale. « … C’est la banque de France qui dispose d’une usine de fabrication, qui propose des prix, qui a un partenariat privilégié avec la Bceao, qui permet d’avoir un prix de revient très bon, qui permet d’avoir des délais de réponse très bons» a-t-il expliqué au micro de Rfm.
Se voulant convainquant, il dira: «Imaginez qu’on ait une usine, peut être que nous aurons des coûts de fabrication moindres, mais dans l’amortissement du bien, peut-être qu’on pourrait se retrouver avec 60 milliards à amortir chaque année», avait-t-il étayé, tout en occultant savamment que l’impression des billets de banque coûte annuellement entre 25 et 35 milliards de Francs CFA.