«A PROPOS DE LA CSS, ALIOUNE SARR EST EN TRAIN DE MANIPULER GRAVEMENT L’OPINION…»
Louis Lamotte répond au ministre du commerce sur les importations sauvages de sucre

«Le ministre du Commerce n’a pas une posture d’un homme d’Etat» selon le directeur à la Css.
Les différentes déclarations sur le dossier du sucre faites par le ministre du Commerce, Alioune Sarr, au Cices d’abord puis à la tribune de l’Assemblée nationale lors du vote du budget de son département, répugnent au niveau de la Compagnie sucrière sénégalaise (Css). Si Alioune Sarr est allé jusqu’à dire que les menaces de fermeture à cause de l’importation sauvage du sucre brandies par les dirigeants et travailleurs de la CSS sont « irresponsables » et que l’usine aurait fait en 2017 un bénéfice de …120 milliards de francs, c’est parce que, selon Louis Lamotte, directeur à la CSS, le ministre se livre à une manipulation grave de l’opinion publique. Un exercice jugé acceptable et indigeste au niveau des dirigeants de la CSS qui demandent des explications plausibles et crédibles à Alioune Sarr sur les DIPA (déclarations d’importations de produits alimentaires) sur le sucre qui ont mis l’usine chère à Jean Claude Mimran et Mamadou Diagna Ndiaye ai bord de la banqueroute. A en croire Louis Lamotte, les postures affichées par le ministre du Commerce dans ce dossier montrent qu’il n’est pas un homme d’Etat. Pis, que M. Alioune Sarr ne connaît rien à l’Etat. Entretien.
Le Témoin – Monsieur Lamotte, vous êtes directeur à la Css. Récemment, le ministre du Commerce a fait des déclarations au Cices et devant les députés pour rejeter vos déclarations sur les menaces de fermeture de la CSS du fait d’importations massives et frauduleuses de sucre. Que pensez-vous de ces déclarations ?
Louis LAMOTTE - Dans ce débat, il va falloir faire la part des choses. Quand les travailleurs de la Compagnie sucrière sénégalaise se mobilisent pour exprimer leurs craintes de perdre leurs emplois face aux difficultés de leur société, je crois que la meilleure posture à avoir, c’est de les écouter. La posture n’est pas non plus de manipuler l’information pour se tirer d’affaire. Je veux juste reformuler les questions simples que les travailleurs, et les Sénégalais se posent : Pourquoi, le ministre du Commerce, à la veille de l’ouverture de la campagne de production de la CSS, faisant fi des stocks disponibles dont il est régulièrement informé, prend-il sur lui la décision de déclencher des importations totalement inopportunes dont il refuse de préciser les quantités et les bénéficiaires ? Quelle en est la justification économique ? La question a tout son sens si on se rappelle qu’il avait procédé de la même manière en juillet 2017 en inondant le marché de sucre importé, ce qui avait plongé la CSS dans la plus grande financière de son existence et dont elle peine encore à se relever.
Monsieur le directeur, CSS a-t-elle fait des bénéfices de 120 milliards de francs en 2017 ? Que répondez-vous à M. Alioune Sarr sur ce point précis ?
Nous avons beau vouloir être indulgents avec M Alioune Sarr, par rapport à quelqu’un qui ne sait pas de quoi il parle, mais il ne nous en donne vraiment pas l’occasion ! Quand on entend le ministre Alioune Sarr déclarer, du haut de la tribune de l’Assemblée nationale, face à la représentation nationale, que la CSS en 2017 a réalisé un bénéfice de 120 milliards de frs, on s’est posé légitimement la question de savoir s’il se trompe ou s’il cherche à manipuler. La CSS a réalisé en 2017 un chiffre d’affaires de 87 milliards de frs, alors que M. Sarr nous démontre comment on peut tirer un bénéfice de 120 milliards de frs d’un chiffre d’affaires de 87 milliards de frs ? J’ai beau consulter les meilleurs experts en gestion de la place, j’ai dû mal à trouver quelqu’un qui puisse donner un sens à cette déclaration. Le ministre du Commerce manipule, il détient nos statistiques annuelles de vente de 2017 et connait le prix de vente de la tonne de sucre, sortie usine, pour l’avoir fixé et homologué par arrêté ! Il lui aurait suffi de multiplier le tonnage vendu par le prix à la tonne pour se faire une idée de notre chiffre d’affaires ! Simple opération arithmétique de CM1 largement à la portée de ce brillant bachelier scientifique ! M. Sarr manipule la représentation nationale par de fausses informations distillées dans le but de brouiller la perception des députés du peuple ! Nous espérons que ce ne sont pas les mêmes informations erronées qu’il sert au Gouvernement pour obtenir sa caution sur ce dossier des importations de sucre. C’est lui-même qui fixe le prix de la tonne de sucre sortie usine, il lui aurait suffi de multiplier les volumes sortis par le prix de vente, il aurait déjà une idée du chiffre d’affaires. Sices déclarations visent à embrouiller les députés, c’est grave, c’est très grave. Si aussi ce sont ces informations qu’il donne aux autorités et sur la base desquelles des décisions sont prises, c’est de la manipulation. Je suis désolé mais nous attendons toujours les réponses aux questions suivantes. Combien de tonnes de sucre M. Alioune Sarr a-t-il mises sur le marché ? A qui a-t-il accordé ces quotas ? Pourquoi de 2013- 2016, il s’est attaché, lui le ministre du Commerce, à faire de sorte que les importations puissent être gérées de façon transparente en associant les organisations de commerçants, la CSS mais aussi la presse non seulement à la définition mais aussi à la distribution du gap ? Un exercice de transparence que nous avons tous loué en son temps. Qu’est-ce que qui fait qu’en 2017, comme en 2018, il ait subitement renoncé à ce devoir de transparence en gérant et en évaluant tout seul le gap et surtout en diffusant des DIPA tous azimuts pour des quantités que personne ne peut déterminer. Que nous, en tout cas, à notre niveau, nous n’avons pas pu déterminer. Notre droit est de savoir combien de tonnes de sucre ont été déversées sur le marché. Même la Douane qui avait naguère la liste des attributaires de DIPA pour pouvoir suivre la régularité des opérations de dédouanement ne peut plus accéder à la liste des personnes bénéficiaires des DIPA. On se pose des questions sur les intentions qui sont à la base de ce changement de méthode passant de la transparence la pluscristalline à cette forme de gestion la plus opaque qui soit. Quand le ministre Alioune Sarr aura répondu à ces trois questions, il aura fini de rassurer les travailleurs de la CSS et, au-delà de ces derniers, les Sénégalais.
Oui mais, comment se fait-il que, justement, on n’entende parler de Dipa qu’à propos du sucre ?
Le problème de DIPA ne se pose pas que sur le sucre. Comment expliquer que l’Etat se soit engagé dans un vaste programme d’autosuffisance en riz et que, malgré la tendance à la hausse de la production locale de riz, les importations de cette même céréale e suivent la même courbe en augmentant d’année en année ? On se trouve dans une situation où on poursuit une autosuffisance qu’on n’attrapera jamais puisque les importations ne font qu’augmenter. Cela veut dire qu’on perd de l’argent dans des projets qui n’arriveront jamais à terme parce que tout simplement contrecarrés par les importations ! Quand on voit actuellement la situation de la Sonacos, on est obligé de fermer un certain nombre de circuits d’importation de l’huile pour permettre à cette société nationale de pouvoir vivre, survivre j’allais dire. C’est la conséquence de la pagaille qui a régné en 2017 dans la distribution des DIPA et même des exonérations à tout vent. Cette société, la Sonacos, est en assistance respiratoire parce qu’elle a été rudement malmenée. Dans tous les secteurs que vous visitez, je suis assez bien placé pour le savoir puisque je suis membre des organisations syndicales patronales, ces mêmes difficultés sont endurées. Il faut impérativement corriger la façon dont le ministre du Commerce pense devoir régenter l’économie du Sénégal. Ce n’est pas son rôle. La régulation dont Alioune Sarr prétend être le responsable n’est pas la mise sous le coude de l’industrie au profit du commerce. Voilà les situations qui sont en train de tuer les velléités de la production locale au bénéfice des importations.
Il reste que vous n’avez pas répondu au ministre Alioune Sarr lorsqu’il soutient que les postures des dirigeants de la CSS sont irresponsables…
M. Alioune Sarr n’a pas la posture d’un homme d’Etat dans ce dossier. Je peux le comprendre parce qu’il n’a pas appris l’Etat. C’est un produit du privé qui s’est retrouvé subitement à la tête d’un département ministériel et qui cherche à apprendre ce qu’est la posture d’un homme d’Etat. Comme disait l’autre, un homme d’Etat doit avoir le cœur dans la tête. Je peux bien comprendre qu’il soit agacé par les interpellations fort légitimes des travailleurs de la CSS sur sa façon de gérer les Dipa mais ce qui est attendu de lui, c’est la sérénité et des réponses objectives à des questions factuelles. Les attaques crypto-personnelles n’ont pas de place dans ce débat qui est strictement technique. En ce qui me concerne, je n’ai pas le même plan de carrière que lui. Il aspire à être un bon politicien, moi j’aspire à être un bon citoyen. Je connais ce que doit être la posture des uns et des autres. J’ai appris ce qu’est un Etat puisque je suis Enarque, je veillerai à toujours à le respecter dans l’usage de mes droits de citoyen libre. Les hommes politiques devraient s’attacher, eux, à en lustrer tous les jours le mythe par l’exemplarité.