AU CŒUR D’UNE UNIVERSITÉ DEVASTÉE PAR LA MORT DE FALLOU SÈNE
Longtemps distinguée en matière d’insertion professionnelle de ses étudiants, de recherche, de transmission des savoirs, l’université Gaston Berger de Saint Louis peut-elle toujours prétendre, sans complexe, à l’excellence ?
Longtemps distinguée en matière d’insertion professionnelle de ses étudiants, de recherche, de transmission des savoirs, de résultats dans les concours nationaux, l’université Gaston Berger de Saint Louis peut-elle toujours prétendre, sans complexe, à l’excellence ? Le défi s’annonce périlleux et parsemé d’embuches à la considération de l’état de dégradation d’une université qui ne s’attendait pas à une rare violence. Le rectorat réduit en cendre. 27 ans d’archives physique et numérique sont partis en fumée. Retour au cœur d’une université dévastée par la mort de Fallou Sène.
Au début des années 2010, l’université Gaston Berger de Saint Louis figurait au registre des meilleures universités d’Afrique subsaharienne. Une université d’excellence où le taux d’insertion et de distinction de ses étudiants avaient fini de confirmer son statut du meilleur établissement d’enseignement supérieur devant l’université Cheikh Anta Diop de Dakar qui était en décadence. En atteste le dernier indicateur de performance qui est le Concours des internes des hôpitaux du Sénégal où quatre étudiants de l’UFR des Sciences de la Santé (UFR 2S) de l’Université Gaston Berger (UGB) de Saint-Louis sont sortis majors de l’édition 2018.
A part quelques difficultés relevées depuis l’orientation des 3000 nouveaux bacheliers en 2013 et les grèves du syndicat autonome de l’Enseignement supérieur (Saes) et les étudiants, surgissait une petite bombe à l’université de Sanar : l’étudiant Fallou Sène a été tué par balle, le 15 mai 2018. La mort du jeune étudiant en licence 2 à l’unité de formation et de recherche (Ufr) des Lettres et Sciences humaines (Lsh) a porté un coup fatal inattendu des sénégalais et à la communauté universitaire. Mais si la mort du jeune de Patar, région de Diourbel, est resté dans les esprits, c’est aussi pour sa tournure inédite d’un même motif qui avait emporté Balla Gaye, le 31 janvier 2001 et Bassirou Faye, 13 ans après, précisément le 14 août 2014. Ces martyrs sont tombés suite à des mouvements pour réclamer le paiement des bourses. Ce qui frappe d’abord sur la mort de Fallou Sène, c’est le niveau d’une violence exécrable. C’était l’horreur quelques heures après l’annonce de la mort de Fallou Sène. L’université était livrée d’abord aux étudiants furax qui ont fini par réduire le rectorat et le centre des œuvres universitaires de Saint Louis (Crous) en cendre et ensuite aux bandits qui ont rien laissé au hasard : les imprimantes, les ordinateurs, les disques durs et autre matériel de travail ont été emportés. « Le décor était macabre. Un campus dégradé », nous confie David Celestin Faye, chargé des revendications du bureau national du Saes. Avant de poursuivre : « la fumée échappait dans le bâtiment du rectorat après quelques jours du drame. Personne n’est venue constater les dégâts. Les sapeurs-pompiers, non plus, pour éteindre le feu.
RETOUR SUR LES LIEUX DU CRIME
Entre une crispation brutale où l’université, à la traine, doit sortir de son état de dégradation en ces temps troublés – l’un des objectifs d’ailleurs du nouveau recteur, Ousmane Thiaré -, le calme apparent est revenu après la suspension du mot d’ordre de grève illimitée décrété depuis le 15 mai, tout en décrétant auparavant 96 heures de journée sans ticket «Jst » pour « manque de respect notoire ». Cette décision intervient alors que les étudiants restés au campus mangeaient déjà gratuitement dans les restos, et ceci depuis le meurtre de l’étudiant Fallou SENE. Aujourd’hui encore, vendredi 30 juin 2018, il reste quelques bribes de violence qui y était exercée dans l’antre de cette institution. Il est 10 heures à l’université de Sanar. La reprise des activités pédagogiques est timide comme en atteste le nombre limité d’étudiants en ce période qui grouillait de monde. Pendant que les instances pédagogiques des unités de formation et de recherche se réunissaient pour statuer la conduite à tenir sur le calendrier académique, les étudiants, de retour après quelques moments de répits, sont dans l’expectative. A quand la reprise normale des cours ? La question est sur toute les lèvres. « Je suis là depuis dimanche dernier mais nous notons que les cours n’ont pas encore repris. Nous attendons la décision des responsables académiques », précise Ousmane, étudiant, dit-il, à l’Ufr Sciences économiques et de Gestion (Seg). C’est le cas aussi pour son camarade de l’Ufr des Sciences juridiques et Politiques, Mouhamed qui nous confie que « c’est compliqué d’avoir une information claire sur le déroulement de l’année. ça va se compliquer davantage si les cours ne reprennent pas. Nous avons accusé beaucoup de retards ».
Très prompts à répondre sur le déroulement de l’année, les étudiants souvent interpellés ignorent, pour le moment, l’endroit exact où leur camarade Fallou Sène est tombé. « Je sais que c’est vers le village N. Je vous y conduis », nous propose deux étudiants qui avaient apparemment fini de faire cours. Arrivés sur les lieux, c’est l’ignorance totale. Un, deux et trois étudiants rencontrés, tous ne connaissent pas exactement l’endroit où Fallou Sène tué, à plus forte raison les ouvriers trouvés sur place qui observaient une pause devant les grands chantiers des constructions de nouveaux bâtiments non loin du Crous. Sous un arbre pour atténuer la chaleur car le soleil dardait ses rayons les plus brûlants, les ouvriers en pleins discussions, ignorent qu’ils sont assis à quelques mètres d’un endroit où est parti l’augmentation des bourses en portant la demi-bourse de 18.000 à 20.000 Fcfa, la bourse entière de 36.000 à 40.000 Fcfa et la bourse de 3e cycle de 60.000 à 65.000 Fcfa et la réduction du prix du ticket de restauration de 75 F Cfa à 50 F Cfa pour le petit déjeuner ; le déjeuner et le dîner de 150F Cfa à 100F Cfa. Ils sont à quelques encablures d’une histoire qui marquera à jamais l’histoire de l’enseignement supérieur.
La mort de Fallou est désormais inscrite dans les annales des universités publiques sénégalaises. « C’est ici qu’il a été tué », nous montre un jeune étudiant en master 1 à l’Ufr Lettres et Sciences humaines, section Géographie. C’est lui-même qui nous montra enfin ce lieu. « J’ai été ce jour ici quand il a été tué. Les groupements d’intervention mobile étaient venus des deux côtés (la route vers la sortie et du côté de la bibliothèque) », nous confie Ismaila. Avant d’ajouter que : « Fallou est tombé ici. C’était la débandade ce jours là ».
L’endroit est marqué : place FS, le 24 juin 2018. Pas besoin de demander ce que signifie FS. Evidemment, c’est une abréviation de Fallou Sène. La date mentionnée sur la dalle est celle, peut-être, du jour de construction. S’y ajoutent des brigues superposées ; en attendant un monument à la mémoire de l’étudiant, comme Bassirou Faye et Balla Gaye en ont aujourd’hui. L’endroit plein de symbole est anodin, loin des scènes de crime où tout objet peut constituer un indice et/ou barrière ou de bande pour entourer la zone. Les motifs de cette mort tragique sont clairement établis par le procureur près du tribunal de grande instance de Saint Louis : une plaie pelvienne avec des lésions viscérales, une rupture des vaisseaux iliaques primitifs gauches et une hémorragie à grande abondance avec une arme à feu.
27 ANS D’ARCHIVES PHYSIQUE ET NUMÉRIQUE PARTENT EN FUMÉE
Si l’endroit est marqué d’empreinte de la trace laissée par Fallou, c’est ici aussi que les étudiants ont pris pour cible les locaux des instances académiques. Le rectorat a été réduit au néant. Il a changé de visage. La façade a été détruite. Les traces sont toujours visibles. Les fers commencent se détacher des murs ; ne vous étonnez pas si le bâtiment s’effondre un jour. A l’intérieur, les flammes ont tout emportées. Les images sont particulièrement impressionnantes d’un bâtiment qui peinera à reprendre vie, à moins qu’un réel accompagnement de l’Etat soit de mise. Le feu a consumé les bureaux situés à l’arrière, notamment le local de la direction des ressources humaines. 27 ans d’archives physique et numérique partent en fumée. « Aucun document administratif concernant le personnel », explique David Celestin Faye, chargé des revendications du bureau national du Saes. Une situation qui oblige les autorités rectorales à sortir une note pour la reconstruction des dossiers du personnel. Pour faciliter une restauration optimale des archives, il a été demandé au personnel d’anticiper la collecte des éléments constitutifs d’un dossier, notamment le curriculum vitae, attestations, diplômes, correspondances administratives, actes de recrutement de nomination, de formation, de reclassement. « Tout document susceptible de retracer les différentes étapes de la carrière d’un agent », lit-on dans la note n°000204 du 27 juin 2018. « Si on perd à la fois les archives numériques et les archives physiques, ça va être beaucoup plus compliqué. Nous avons un projet de numérisation. Des instructions ont été données dans ce sens au centre de calcul qui a même anticipé et qui est en train de travailler sur ce plan », avait souligné le nouveau recteur, Ousmane Thiaré.
LE DÉFI D’UNE RECONSTRUCTION
C’est le début d’une reconstruction d’un campus académique devenu une véritable poudrière. L’objectif est clair : redonner vie à l’université. Une délégation d’experts de la société Sahel Ingénierie a été envoyée par le ministère de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l’Innovation pour évaluer l’état des bâtiments, lit-on sur le site de l’Ugb. En attendant la conclusion de l’évaluation des dégâts et la poursuite du chapitre de Fallou Sène avec la justice, l’Ugb est confrontée au défi de boucler l’année académique 2016/2017. Après une réunion avec le ministère de tutelle, les responsables des Unités de formation et de recherche (Ufr) vont encore organiser des conseils, pour dégager des mesures idoines, sans porter préjudice aux étudiants. Certains Ufr proposent à l’Assemblée de l’université une suspension des activités pédagogiques jusqu’au mois d’octobre 2018