AU GHANA, LE FRANÇAIS A LE VENT EN POUPE
La langue de Molière était peu parlée dans ce pays anglophone, jusqu’à l’arrivée à sa tête du très francophile président Nana Afuko-Addo
Dans le hall, les dernières traces de travaux rappellent l’été laborieux. Il a fallu faire vite pour que l’établissement s’étoffe en quelques mois d’un troisième étage. Mais il n’en fallait pas moins pour intégrer la longue liste des inscrits au lycée français Jacques-Prévert. Situé à East Legon, un quartier très couru d’Accra, l’institution, présente dans la capitale ghanéenne depuis 1960, est installée dans ses locaux actuels depuis 2010. « 654 élèves sont présents à cette rentrée, contre 603 en 2018 », confirme David Ballieu, le proviseur. Une augmentation de 8 %.
Au début des années 2010, le lycée français s’était pourtant habitué à vivre à chaque rentrée une érosion de son effectif jusqu’à tomber en 2016 à 560 élèves. « C’était sans doute dû à la stabilisation de la situation politique en Côte d’Ivoire avec le départ de nombreux expatriés. Aussi peut-être à un déficit de notoriété. Mais, depuis plusieurs années, nous avons augmenté notre budget communication », poursuit David Ballieu.
Des résultats sont déjà perceptibles puisque les Ghanéens sont de plus en plus nombreux à vouloir envoyer là leurs enfants. « A cette rentrée en maternelle, les nationaux représentent 38 % des effectifs. C’est un pourcentage en hausse par rapport aux années précédentes et une bonne nouvelle car les enfants suivent généralement l’ensemble de leur scolarité au sein de l’établissement », se réjouit David Ballieu. « La bourgeoisie du pays répond à l’appel du chef de l’Etat », ajoute le proviseur de cet établissement, où est inscrite la petite-fille du président ghanéen.
Le président, Nana Akufo-Addo, francophone qui a vécu dans les années 1970 à Paris en tant qu’avocat, pousse à l’enseignement du français. Dans un discours au Sommet de la Francophonie, en 2018, le chef de l’Etat, arrivé un an auparavant au pouvoir, avait déclaré que le « but est de vivre, un jour, dans un Ghana bilingue, avec le français et l’anglais ». Un but lointain, certes, mais la situation géographique du Ghana est singulière.
Coquette somme
Ancienne colonie britannique, ce pays d’Afrique de l’Ouest, est une terre anglophone, entourée de trois pays francophones : Burkina Faso au nord, Côte d’Ivoire à l’ouest et Togo à l’est. Et malgré cette proximité et le fait que l’enseignement du français soit obligatoire jusqu’au collège, seul 3 % de la population ghanéenne parle la langue de Molière, alors que, comme l’observe Patricia Amarteifio, professeure d’anglais qui en est à sa quinzième année au sein de l’institution, « les Ghanéens aiment beaucoup le français, au-delà de la politique. Lorsque je dis que je parle cette langue, les gens me répondent qu’ils aimeraient aussi la maîtriser », témoigne-t-elle.
Mais seuls les plus riches ont les moyens d’offrir à leurs enfants une éducation dans une telle institution puisqu’il faut débourser pour une année de maternelle 4 800 euros et jusqu’à 8 100 euros pour une année de lycée. Une coquette somme quand le salaire mensuel dans le pays se situe autour de 160 euros.
« Le français offre la possibilité de communiquer avec d’autres personnes et de socialiser davantage », témoigne Kwaku, un élève de 16 ans, dans un français parfait. Le jeune Ghanéen, qui a étudié en France pendant dix ans à Puteaux, espère y retourner pour y suivre un cursus d’études supérieures. De son côté Julia, 17 ans, qui a vécu plusieurs années au Togo et en Tanzanie du fait des affectations de son père, est elle aussi inscrite au lycée Jacques-Prévert depuis trois ans. Elle y voit « un avantage », « quelque chose en plus », confie la jeune fille, qui se destine à des études de marketing.
Cet engouement pour la langue française se fait aussi sentir du côté de l’Alliance française. Située non loin de l’Aéroport international d’Accra, cette institution, qui a pour but de « promouvoir la langue française, la diversité culturelle et de favoriser les échanges culturels », voit également ses demandes augmenter au fil des ans. « Nous avions 537 élèves en 2018, nous en avons 642 cette année »,avance Habibatou Cissé de l’Alliance. Et l’intérêt pour la culture française est souvent suscité par l’apprentissage de la langue.