LES ENSEIGNANTS À BRAS RACCOURCIS SUR MAMADOU DIOP DECROIX
Invité de l’émission « Jury du Dimanche » du journaliste Mamadou Ibra Kane, le député Mamadou Diop Decroix a évoqué le faible niveau en français des enseignants et l’urgence d’enseigner à travers nos langues
Le député Mamadou Diop Decroix, qui propose l’utilisation des langues nationales pour une meilleure qualité de l’enseignement au Sénégal, a un peu «critiqué» le niveau de français des enseignants. Près d’une semaine après cette sortie aux allures d’une attaque frontale — c’était dimanche dernier —, les enseignants peinent encore à avaler la pilule.
Invité de l’émission « Jury du Dimanche » du journaliste Mamadou Ibra Kane, le député Mamadou Diop Decroix a évoqué le faible niveau en français des enseignants et l’urgence d’enseigner à travers nos langues. «On ne peut pas avoir la qualité de l’enseignement si on n’a pas une qualité de l’enseignant. On enseigne dans une langue qui s’appelle le français. Aujourd’hui, ceux qui enseignent, je suis désolé, ne maitrisent pas le français. Comment pouvez-vous enseigner une langue, ou dans une langue, que vous ne maitrisez pas? On va enseigner les mathématiques, la physique, la chimie, la médecine... en français. Moi j’ai proposé vraiment qu’on recense et ramène tous les vieux instituteurs, et en contact avec les instituteurs en service, mais qu’on leur fasse faire des visites médicales pour bien s’assurer qu’ils peuvent servir encore. Il faudra qu’on trouve dans l’année, des moments, peut-être les vacances, pour faire ce qu’on appelle de la mise à niveau. Pour cela, on crée des centres dans les différents départements. Au bout de trois à cinq ans, un plan quinquennal, les gens vont « remaitriser » la langue dans laquelle ils enseignent. Je suis un militant des langues nationales, c’est connu, mais si nous continuons comme ça (...), comment pouvons-nous utiliser une langue de travail qui s’appelle le français partout dans notre administration alors que nous ne le maitrisons pas ? Tu (Ndlr; Mamadou Ibra Kane) me poses des questions, je réponds mais je pense que je ne parle plus correctement le français. C’est la maitrise de la langue dans laquelle on enseigne qui est un problème», a longuement expliqué le leader du parti And-Jëf qui, apparemment, se plait bien dans sa posture de militant des langues nationales. Malheureusement pour lui, son message a été très mal perçu par les enseignants.
A part Cheikh Diack qui semble comprendre les propos de Decroix lequel, d’après lui, veut dire qu’on ne peut espérer avoir de bons résultats alors que l’apprentissage s’effectue dans une langue qu’on ne maitrise pas, d’où la nécessité d’usage des langues nationales», dans leurs réactions, on sent parfois une haine viscérale envers Decroix. Les gens de la craie estiment que ce dernier les fatigue avec «ses débats stériles» notamment cette manière de spéculer sur la manière dont parlait l’académicien, le président poète Léopold Sédar Senghor alors que la priorité se trouve ailleurs selon eux.
Le nommé Pape Sène, qui semble donné le «mot d’ordre», considère que «tant qu’on misera sur la compétence linguistique, on n’aura que de beaux parleurs flatteurs». L’enseignant El Bachir Bitèye soutient sans prendre de gants que «ceux qui ont un niveau faible en français, vous les connaissez. Ce sont ceux qui nous gouvernent à l’instar de Cheikh Oumar Hann et tant d’autres qui peinent à conjuguer le futur simple de l’indicatif. «Parlez-en !», a-t-il demandé.
Pour Shamsdine Mbow, «Diop Decroix devrait avoir l’honnêteté intellectuelle, le courage moral et la probité candide de dire que, certes, certains enseignants ont le niveau faible, mais les meilleurs du métier intellectuel sont parmi ceux qui ont embrassé ce noble corps à qui il doit respect et considération». Un autre de ses collègues du nom de Mame Khalifa Sow pense que «ce parlementaire est un complexé de l’école occidentale. Au moment où chaque nation vivifie sa propre langue, on nous parle de niveau de langue. Nous qui professons dans les classes, nous parlons différents registres de langue pour permettre aux apprenants de faire la différence entre le langage soutenu parlé en haut lieu et le langage familier parlé entre amis «. Autrement dit, les enseignants, à l’image de leur collègue Abdou Ndaw, pensent qu’ils n’ont ‘’pas besoin de maîtriser la langue de Molière mieux que Molière.»
Selon Fatima Diallo qui croit que c’est de l’utopie de croire que l’on peut se développer avec le français, «Decroix aurait dû plutôt orienter sa réflexion sur le pourquoi la langue française nous retarde». Et non pas sur le niveau des enseignants en français. A en croire l’enseignant Babacar Seck, il n’y a personne pour tenir la dragée haute aux enseignants en termes de maitrise du français. «Je dis bien qu’il n’y en a pas. Qui qu’il soit et quel que soit le piédestal à partir duquel il semble s’être installé pour les observer «, a-t-il martelé. Des enseignants qui plaident pour la valorisation de nos langues nationales.
A en croire Abdou Fall, l’un d’entre eux, «il est temps de revoir la place de nos langues nationales dans le système éducatif. «Le français est certes très utile, mais nos langues, surtout le wolof, peuvent avoir un impact considérable dans l’éducation et la formation de nos jeunes compatriotes», a-t-il dit.
MAMADOU DIOP DE DECROIX : «MES PROPOS ONT ÉTÉ MAL COMPRIS»
Des acteurs de l'éducation, notamment la cellule pédagogique du ministère de l'Education nationale (MEN), ont vite réagi pour fustiger la sortie de Mamadou Diop de Decroix. Mais, à en croire le député et leader du parti And Jëf, la réaction des membres de cette plateforme a "malencontreusement désorienté les enseignants à propos de ma position sur la langue française comme véhicule par lequel les savoirs sont dispensés dans nos écoles.’’ "Le problème que j'ai abordé est très sérieux. Il s'agit d'une longue histoire d'abandon. Abandon de la formation et de la mise à niveau permanente des enseignants. Abandon ou grave négligence de la formation en français tout en continuant à enseigner en français, c'est-à-dire à dispenser les savoirs dans cette langue. Ce n'est pas seulement à l'école. C'est toute la société qui se trouve dans une impasse en matière de communication", a-t-il tenté de recadrer le débat. Toujours dans sa mise au point, Decroix affirme que, d'une part, "on administre le pays dans une langue (le français) qu'on maitrise de moins en moins, d'autre part, "nos langues maternelles qui sont le véritable levier de communication dans la société ne sont guère mieux loties". Il s'agit là, d'après ses dires, d'une "incohérence et un réel et grave problème qu'il faut avoir le courage de redresser". " Je suis un militant de longue date de la promotion de nos langues maternelles pour dispenser les savoirs à l'école. Mais pour l'instant, ce n'est pas le cas. Que fait-on? Continuer à se lamenter ou trouver une solution?", s'est-il interrogé tout en considérant que tous sont victimes de cet état de fait. Mais il persiste en disant que le phénomène est "plus lancinant chez les enseignants" parce que, dit-il, "ce sont les responsables de la formation dans nos écoles". Comme pour dire, je campe sur ma position mais mes propos ont été mal interprétés. Voulant être plus clair dans ses explications, le parlementaire fait savoir que, dans cette affaire, les enseignants et leurs élèves ne sont que des victimes. D'où sa proposition d'un plan quinquennal de mise à niveau. Lequel programme, dit-il, profitera à la société tout entière, particulièrement aux enseignants et leurs apprenants.