LE FANTASSIN SYNDICAL
TEL QUEL : MAMADOU LAMINE DIANTE (SG DU SAEMS-CUSEMS)
Chasser le naturel, il revient au galop ! Le père a beau repousser l’instinct contestataire chez son fils, il finit par le retrouver une fois adulte. Mamadou Lamine Dianté, coordonnateur du Grand cadre, est un syndicaliste dans l’âme. Doté d’un leadership avéré et véritable adepte de la confrontation, ce fils de maître coranique est peint comme un extrémiste qui manque d’ouverture et d’humilité.
Drapé dans une djellaba marocaine faite de larges bandes verticales vert et beige, l’homme a un ‘’bonnet Fez’’ rouge au-dessus de laquelle est fixée une grappe de fils noirs. On aurait dit le futur imam de cette grande mosquée en construction à quelques dizaines de mètres du siège d’un syndicat d’enseignants. Il s’agit bien pourtant de Mamadou Lamine Dianté, Secrétaire général du Saems-Cusems, par ailleurs coordonnateur de l’autre partie du Grand cadre originel.
Cet adepte de la confrérie Tidiane a le visage couvert de poils, blancs sur les côtés et poivre-sel au dessous du menton. En ce vendredi matin (15 avril 2016), au siège du syndicat à la Patte d’oie, un inconnu lui aurait accordé tous les attributs d’un religieux accompli. Assis dans son bureau au mobilier sommaire, il a les deux mains posées sur la table (comme le veut cette chanson que les maîtres enseignent aux petits enfants).
Mais cet accoutrement n’est en rien en porte-à-faux par rapport à ses relations avec sa religion. Il lui aurait suffi de réorienter légèrement son parcours pour être à la place d’un Iran Ndao ou Oustaz Alioune Sall. Né dans une famille religieuse, le jeune Dianté a grandi aux côtés d’un père ayant une double casquette : maître coranique et ‘’tailleur hors pair’’ à Kolda.
Le grand-père maternel est aussi Imam de Saré Yéba. Il dit : ‘’Nous avons été très tôt abreuvé à la source de l’Islam et du Coran, dans la mesure où l’école coranique de Papa était dans la cour de la maison.’’ C’est d’ailleurs dans ce foyer paternel que Dianté a appris à mémoriser tout le Coran.
Un Livre dont il dit ne plus s’éloigner. Et comme pour corroborer ses propos, un exemplaire de taille moyenne, couleur rouge, est soigneusement rangé à portée de main. ‘’Tous les matins, on s’efforce de lire quelques versets avant de démarrer la journée’’, confie-t-il, le regard avenant.
Cependant, malgré cet attachement à la religion, il n’est pas question de négliger les atouts de ce bas-monde. ‘’Notre papa n’a pas voulu que le sort qui était le sien soit le nôtre. Lui, il avait appris juste le Coran et il est allé embrasser le métier de tailleur, puis de commerçant. A part sa fille aînée, il a demandé que tous ses enfants puissent fréquenter l’école française.’’
Ainsi donc, l’avant-dernier né d’une fratrie d’enseignants de 20 membres va troquer cette éternelle tenue à la propreté douteuse d’un talibé contre celui plus nette et bien soignée d’un élève.
Chaque jour, la famille est réveillée à l’aurore par ce père polygame qui ne badine pas avec l’éducation. Tous se mettent à apprendre le Livre Saint jusqu’à l’heure du petit-déjeuner. Après quoi, on prend le chemin de l’école. A Midi, retour à la maison, mais pas pour se reposer. Car si les deux mamans avaient déjà quelques articles à vendre, il appartient aux jeunes d’aller les écouler rapidement au marché.
Là aussi, pas de temps à perdre ! La cloche va bientôt sonner, il faut se dépêcher de regagner l’école, après avoir prié et bien rempli le ventre. 18h, les classes sont vides. Une heure plus tard, il faut impérativement se retrouver autour du foyer coranique qui ne s’éteint qu’à 21h.
De là, les leçons françaises prennent le relais jusqu’à minuit, l’heure de plier bagages pour aller au lit. Le lendemain, le même cycle reprendra. Il en était ainsi jusqu’à l’obtention du Baccalauréat et la mémorisation du Coran. Le jeune Dianté avait donc une bonne base pour devenir imam ou oustaz. Mais la voie voulue par le père a empêché qu’il soit un exégète du Livre saint.
Une réplique de Castro
Aujourd’hui, si cet homme de teint clair au visage rond devait s’adresser à des fidèles tous les vendredis, sans doute que ses prêches seraient surveillées de très près par les renseignements généraux, surtout dans ce contexte de lutte contre l’intégrisme religieux. L’homme est en effet réputé intraitable.
C’est l’image qu’il renvoie à l’opinion publique. Il est d’ailleurs l’incarnation voire le symbole de ce syndicalisme intransigeant connu au Sénégal depuis 2005/2006. Avec Mamadou Lamine Dianté, la lutte ne cesse jamais. Les grèves sans arrêt restent le principal moyen de lutte. Alors que ses camarades Abdoulaye Ndoye et Abdou Faty concèdent tous les deux au gouvernement un niveau de satisfaction des accords à 25%, lui se dit satisfait à moins de 10%.
‘’Il fait partie des syndicalistes extrémistes. Il n’est pas très souple. Dans le syndicalisme moderne, il faut être ferme et ouvert, savoir allier les deux. Mais lui, il est un peu intransigeant. Il me rappelle Castro’’, souligne un expert du syndicalisme enseignant.
D’après ce dernier, Dianté a le bon profil d’un syndicaliste traditionnel, celui de confrontation. Pour le syndicalisme moderne par contre, fait de dialogue et de consensus, il est plutôt moyen, estime-t-il. ‘’Il doit apprendre à faire preuve d’humilité et d’ouverture, savoir écouter et accepter la différence’’, ajoute un autre acteur majeur du secteur de l’éducation.
Malgré tout, nos interlocuteurs lui reconnaissent son leadership avéré. Le regard toujours grave, ce strabique dégage une forte personnalité et a tendance à s’imposer. Que tu sois d’accord avec lui ou pas, dit-on, il défend sa position.
Cet engagement et cette conviction toujours renouvelée lui a permis de sortir le Saems-Cusems de l’anonymat depuis qu’il en est devenu le Secrétaire général en 2010, en remplacement de Mbaye Fall Lèye.
‘’Il l’a renforcé et a réussi à l’imposer dans le paysage syndical dans le moyen-secondaire’’, admet un interlocuteur. Une affirmation confirmée par les récentes élections des représentants des enseignants aux Commissions administratives paritaires et conseils de discipline.
Les frustrations d’une génération
Le syndicat dont il est le patron est sorti leader du moyen-secondaire à l’issue du scrutin, avec 62,30% des suffrages, largement devant ses rivaux. C’est que Mamadou Lamine Dianté a su capitaliser une frustration. La sienne, mais aussi celle des autres. ‘’Si vous voyez notre parcours, nous sommes une génération martyre. Nous avons subi l’année blanche au lycée (1988), l’année invalide (1993) et la cession unique à l’Université. Nous sortons malgré tout avec notre diplôme de maîtrise.
On veut embrasser la carrière d’enseignant, on nous demande de faire le concours et la formation sans que l’emploi ne soit garanti. Quand nous avons commencé la formation, on nous a fait signer un engagement tri-quinquennal. Nous sortons et on ne recrute que 30% parmi nous. Les 70% autres, on leur dit : vous n’avez pas de place dans le système éducatif. Même si vous n’êtes pas parmi les 70%, cela ne vous laisse pas indifférent’’, se souvient l’actuel Sg du Saems-Cusems.
Ce parcours vécu comme une blessure infligée par l’Etat avait fait germer l’idée de création d’un syndicat alors que lui et ses camarades étaient encore étudiants à l’Ecole normale supérieure (ENS, actuelle Fastef). Le recrutement des 70% restants, en 2000, à la suite de l’alternance au sommet de l’Etat, a précipité en 2004 la naissance du Syndicat autonome des enseignants du moyen secondaire (Saems).
L’attitude des syndicats de l’époque y est aussi pour quelque chose. On sent même dans les propos de Dianté un sentiment de trahison à l’encontre des organisations enseignantes qui ne les avaient pas défendus.
‘’C’est au contact de toutes ces choses que le réflexe contestataire est né. Surtout que quand on menait le combat à l’époque à l’ENS, les syndicats d’alors nous avaient fait croire qu’on avait totalement tort, parce qu’on savait que l’emploi n’était pas garanti. Ils nous ont laissé apprendre à nous battre seuls. On n’a pu compter que sur nous.’’
Ainsi, il suffit de regarder de plus près pour se rendre compte que sa façon de faire traduit plus une mentalité de la base qu’une posture personnelle. ‘’Les gens adhèrent là où c’est dur et intransigeant. Les enseignants fuient les syndicats de tous ceux qui sont réalistes’’, souligne une source.
Une stratégie de lutte qui toutefois n’est pas sans conséquence. Car, il y a eu certes des acquis non négligeables, mais c’est avec eux que l’image de l’enseignant/gréviste a été fortement écornée. Les revendications qui se rapportent beaucoup à l’argent avait fait dire à l’ancien ministre de l’Education Kalidou Diallo que les enseignants font du ‘‘syndikhalisme’’.
‘’Un meneur ne peut pas vivre sous le même toit que moi’’
Mamadou Lamine Dianté est issu de ce qu’il appelle lui-même une famille sénégalaise. Son père est un Mandingue, sa mère, deuxième épouse, est une Peulh et sa tante est de l’ethnie Wolof. Mais quel est son âge ? ‘’Je ne donne pas ma date de naissance’’, rétorque-t-il, non sans ajouter qu’il a ‘’environ 45 ans’’. En militant dans le Saems-Cusems, ce polygame inspiré par son pater (‘’s’il n’y avait pas la polygamie, on ne serait peut-être pas né’’, déclare-t-il) n’a fait que retrouver ses vieilles amours.
Ce n’est pas maintenant qu’il a commencé à diriger des grèves. Au lycée déjà, il était dans le comité de lutte. Mais, en pur produit de l’école coranique, le Papa n’a jamais voulu que ses fils s’activent dans le syndicalisme, parce que pour lui, le statut d’élève est incompatible avec des activités de contestation.
Pendant la lutte de 1988, le vieux l’a clairement apostrophé. ‘’Toi Lamine surtout, je considère que tu es un meneur de grève. Mais sache qu’un meneur ne peut pas vivre sous le même toit que moi.’’
La détermination du père aura finalement raison de la témérité du fils. Enfin, pas totalement ! Puisque cet élève de la première promotion du Lycée Alpha Molo Baldé de Kolda continuait à participer clandestinement aux réunions nocturnes pour planifier les activités.
Quelques années après, il a flirté avec la politique, en étant membre de l’Union de la jeunesse démocratique Alboury Ndiaye (Ujdan) du PIT. Une fois encore le ‘’meneur’’ va se heurter à l’autorité du chef de famille qui tenait à ce qu’un métier précède toute activité politique. Les signes annonciateurs de la vie future de Dianté étaient donc déjà là.
Grâce à un parcours sans faute, il décroche le bac en 1990 et s’inscrit à la Faculté des Sciences et techniques de l’Ucad. 5 ans plus tard, il a la maîtrise et réussit le concours d’entrée à l’Ecole normale supérieure après avoir trompé la diligence d’un grand frère douanier qui ne voulait pas qu’il devienne enseignant.
Pour le consoler, il s’inscrit en troisième cycle en biologie végétale. Les travaux pour le mémoire ne vont pas durer longtemps, puisqu’à la sortie de l’ENS, il a été affecté à Podor comme prof de Science de la vie et de la terre (Svt), en 1997.
Quatre ans plus tard, il revient à Dakar, mais trouve sa thèse déjà soutenue par un autre étudiant qui avait continué les travaux. De guerre lasse, il fait le concours d’entrée à l’Institut des sciences de l’environnement. Certaines ONG lui ouvrent leurs portes. Mais ce costaud de 1,81 m a préféré retourner à ses vieux amours au lycée Seydou Nourou Tall. ‘’Je n’ai pas voulu faire le grand saut vers les professions libérales. La fibre de l’enseignement ne m’a pas encore quitté’’, dit-il.
La grande volte-face de 2015
Lorsque le Cusems formé en 2005 avec les syndicats du moyen-secondaire a volé en éclats en 2009, le Saems est allé de son côté tout en réclamant la paternité du Cusems, d’où le nom Saems-Cusems. Et en 2010, à la faveur de sa nomination à la tête de l’organisation, il devient permanent syndical.
En 2014, le Grand cadre des syndicats d’enseignants a vu le jour et il a été désigné coordinateur. Après une longue grève en 2015, un PV est signé avec le gouvernement le 30 avril 2015 pour la levée du mot d’ordre. Et c’est Dianté lui-même qui donne la nouvelle. Un grand ouf de soulagement se dégage des entrailles d’une communauté à quelques pas d’une année blanche.
Mais le lendemain, coup de tonnerre ! L’enfant de Kolda se dédit et annonce la poursuite de la grève. Une partie des syndicats le désavoue, ce qui a conduit à la scission, une entité qu’il dirige et l’autre managée par Abdou Faty. Dianté accuse une main politique. Certains interlocuteurs assurent qu’il a même du mal à digérer cet épisode. Ce qui le rend plus intransigeant, comparé aux années passées où il était plus doux. Quoi qu’il en soit, le constat demeure.
Figure de proue de la confrontation, il mène la vie dure aux autorités. Et vu les résultats engrangés lors du vote pour les commissions paritaires, rien n’indique qu’il va reculer.
Au contraire, il a trouvé de l’eau à mettre dans son moulin. Et tant pis pour ceux qui ne l’aiment pas. La preuve par cette maxime apprise de Papa via les oncles : ‘’Quand quelqu’un vous hait, vous n’y pouvez rien, mais vous devez vous battre pour qu’il ne vous sous-estime pas.’’