«L’ETAT N’A PAS DE POLITIQUE D’ORIENTATION DES ELEVES VERS LES SERIES SCIENTIFIQUES»
IBRAHIMA THIAM, PROFESSEUR DE MATH ET PDT DE L’ASSOCIATION SOS MATHEMATIQUE
Depuis plus de 20 ans, Ibrahima Thiam enseigne les mathématiques. ce scientifique a servi à Tivaouane, Bambey, au lycée Mariama Ba de Gorée et à la section industrielle du lycée technique Maurice Delafosse. actuellement, il est le président de l’association SoS mathématiques qui fait la promotion de cette discipline qui n’est pas très prisée par les élèves. Dans cet entretien, il évoque les origines de la régression des séries scientifiques au Sénégal.
l’As : comment expliquez-vous la régression des séries scientifiques au Sénégal ?
Il y a plusieurs facteurs. On parle souvent de la promotion des séries scientifiques, mais il y a plus de bruit que d’actes. En réalité, il n’y a pas de véritable politique d’orientation des élèves vers les séries scientifiques. On doit mettre en place une véritable politique de motivation aussi bien des professeurs scientifiques que des élèves. Surtout au niveau des apprenants. Depuis la maternelle, on doit les pousser vers les mathématiques, leur montrer l’utilité de cette matière et ses débouchés. Cela pousserait les élèves à s’intéresser aux matières scientifiques. Au niveau de l’enseignement de ces filières aussi, il y a de sérieux problèmes. Actuellement, les mathématiques sont plus entre les mains des non experts. Il y a beaucoup e mathématiciens dans les universités sénégalaises, mais ils préfèrent à juste raison s’orienter vers le métier d’ingénieur en télécommunications, en statistiques, informaticien ou autre chose de ce genre, où ils pourront gagner plus de revenus que de rester dans l’enseignement, ce qui est vraiment dommage ! Dans les années 1970-1980, des pays comme la Côte d’Ivoire, le Gabon, plus tard le Kenya et même certains pays arabes ont connu le même problème. Aujourd’hui, grâce à l’adoption d’une politique d’orientation scientifique, ces pays ont pu régler ce problème. Au Sénégal, on est toujours au stade du tâtonnement. On n’a pas mis en place une politique pour résorber ce gap. C’est une catastrophe. Et dans tout cela, ce sont les élèves innocents qui paient les pots cassés. Les parents d’élèves investissent de l’argent avec les répétiteurs et il n’y a pas de bons résultats. En effet, si l’apprenant a un excellent professeur à l’école et un expert comme répétiteur à la maison, à l’examen, pour la plupart, le candidat est corrigé soit par un expert ou un professeur. Ainsi, la solution n’est pas comprise par l’autre et seul le candidat est victime d’une sanction négative.
Le système éducatif favorise-t-il la passion pour les matières scientifiques ?
Actuellement, les mathématiques sont entre des mains inexpertes. L’Etat les embauche, car ils ont des diplômes ailleurs. Or, l’Etat devait veiller à leur formation, à leur encadrement sur le terrain. D’ailleurs, un de ces points fait partie de la plateforme revendicative des syndicats des enseignants. Un enseignant non formé n’est pas qualifié en mathématiques. Si on le prend pour qu’il enseigne cette matière qu’il ne maîtrise pas, l’élève ne comprendra pas la logique de cette discipline et ne comprendra pas son intérêt. Si celui qui dispense les cours de mathématiques ne comprend rien de ce qu’il enseigne, c’est évident que tout devient un mythe pour l’apprenant. Pourtant les mathématiques, c’est un art et un jeu. On doit pouvoir jouer avec. Aujourd’hui, les mathématiques sont devenues au Sénégal comme un mythe. S’il y a un mythe autour de cela, soit l’élève déteste celui qui l’enseigne et dira que les mathématiques sont faites pour les génies. Ainsi, il ne fera aucun effort pour comprendre cette matière scientifique. C’est vraiment dommage que le système éducatif sénégalais soit à ce stade. C’est regrettable pour notre pays, si on se réfère aux grandes puissances économiques comme la Chine, les Etats Unis. Ces pays ont axé leur politique sur la promotion de la science. Mieux encore, dans le domaine des olympiades des mathématiques mondiales, les autres années, c’était la Chine qui était primée et l’année 2015, les Etats-Unis sont placés premiers, la Chine, ainsi de suite. Dans cette compétition, les pays du tiers monde sont toujours absents. Si le Sénégal veut aspirer à l’émergence, l’Etat doit miser sa politique sur la science et avoir un bon soubassement scientifique. Ainsi, nous disposerons d’ingénieurs et techniciens bien qualifiés qui prendront en charge les préoccupations de ce pays. On ne peut pas pour chaque projet faire appel à des experts et techniciens étrangers.
Quelles sont les difficultés pédagogiques que vous rencontrez dans ces disciplines scientifiques ?
Au niveau des matières scientifiques, heureusement les gens sont en train de faire des efforts, parce qu’il y a de jeunes mathématiciens qui commencent à apprendre la gestion, et au niveau supérieur, il y a des bonnes volontés. A la Fastef aussi, il y a des professeurs de maths très disponibles, qui ont de la volonté et je pense que les choses peuvent changer pour les années à venir. Mais les mathématiques telles qu’elles sont enseignées aujourd’hui posent problème. Si vous allez dans les pays développés, l’élève retrouve son environnement dans ce qu’il apprend, fait des expériences et procède à des exemples concrets. Ici les choses sont enseignées de façon trop abstraite de telle sorte que l’apprenant ne comprend rien de ce qu’il fait et ne voit pas de relation entre son environnement immédiat et ce qu’il apprend. Un autre aspect se pose, le programme sénégalais interdit aux élèves l’utilisation des calculatrices. C’est à déplorer. Comment peut-on enseigner les mathématiques en interdisant aux élèves scientifiques l’utilisation des machines programmables modernes ? Alors que dans les pays développés comme la Chine ou l’Europe, les calculatrices sont autorisées. Dans les pays sous développés, cette matière est considérée comme moyens de calcul. Ce ne sont pas les hommes qui calculent, ce sont les logiciels et la machine calculatrice qui calculent. Les mathématiques, il faut les attendre au niveau de l’analyse et de l’interprétation. Si on réduit les mathématiques au niveau des calculs, nous formons des élèves logiciels, calculateurs, mais pas de véritables mathématiciens.
Avec la nouvelle approche technologique, le Sénégal n’aura-t-il pas besoin d’assistance technique au niveau de ces filières scientifiques ?
Le Sénégal dispose de ressources humaines suffisamment qualifiées. Il suffit que les politiques suivent. La Côte d’Ivoire vient de devancer le Sénégal aux Olympiades de mathématiques. Elle s’est classée 3e alors que le Sénégal a occupé la 6e place. Jusqu’à présent, les professeurs de mathématiques sénégalais enseignent les matières scientifiques en Cote d’Ivoire. Ce pays a atteint son objectif, car il a mis en place des politiques de motivation, de telle sorte qu’il a connu une grande affluence. Beaucoup d’enseignants de la sous-région se sont dirigés vers ce pays, pour instruire le peuple ivoirien dans le domaine de la science, aujourd’hui ce pays a comblé son gap. Au Sénégal, les séries scientifiques régressent et même à l’examen du Bfem, on a diminué le coefficient des mathématiques.
Quel appel lancez-vous à l’etat ?
Notre association SOS mathématiques a toujours occupé les médias, on a beaucoup crié, on a tenu des rencontres sous le régime de Me Wade. Mais il n’y a pas de résultat. Maintenant, je ne fais plus appel à l’Etat, mais aux parents d’élèves .Il est grand temps que les parents d’élèves prennent l’avenir de leurs enfants en main. Ils doivent se rapprocher de SOS mathématiques qui s’est fixé pour objectif de promouvoir les mathématiques dans le milieu scolaire. Actuellement, nous lançons un appel collectif pour mener un lobbying afin de faire un pressing sur le gouvernement sénégalais en vue d’éradiquer ce système à problèmes. Poussons la jeune génération vers les séries scientifiques. Je ne peux pas tout dire, mais nous tendons vers un système où il n’y aura plus de professeurs de maths. Il faut revaloriser
la science, mettre les choses au point.