«MON RÊVE EST DE VOIR UN DÉPARTEMENT D’ANGLAIS PROFESSIONNEL, COMMERCIAL, JUDICIAIRE À L’UNIVERSITÉ»
Auréolé du titre de « meilleur professeur d’Anglais 2019 », Djibeïrou Tall interprète sa consécration comme un message clair qui l’appelle à maintenir le cap de l’excellence.
Dans cet entretien, ce féru de la langue de Shakespeare rêve de la création d’un département à l’université où serait enseigné l’anglais professionnel, commercial, administratif, judiciaire et des affaires. M. Tall plaide ainsi pour la réactualisation de l’approche par les compétences, la connexion de l’école à la vie pour enfin cultiver chez les apprenants le goût du savoir-faire et susciter l’esprit critique, préalables selon lui à toutes les stratégies et situations de communication.
Le Témoin – M. Tall, pouvez-vous parler un peu de votre cursus scolaire, de votre formation ainsi que de vos activités professionnelles ?
Djibeïrou TALL - Je suis né et ai grandi à Yaféra, un village dans le département de Bakel. Je suis marié et père de six enfants. Je suis professeur d’anglais de formation. Par la grâce d’Allah, je suis titulaire de la maîtrise et de plusieurs diplômes professionnels notamment le Cae.Cem Lettres/Anglais, Caem et Caes anglais. Après le Bfem en poche en 1985 au Cem Waoundé Ndiaye de Bakel, j’ai décroché le baccalauréat A3 en 1990 au lycée Blaise Diagne malgré l’année blanche en 1988 avant de m’inscrire au département d’Anglais de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Titulaire du DUEL II en 1992, je dois faire face aux épreuves dans l’obtention de la Licence et de la spécialisation en littérature africaine du fait de la session unique de 1993 et l’année invalide de 1994 pour voir le bout du tunnel en 1996 et en 1997 le Certificat de Maîtrise. Le lycée Sénégalais de Banjul a été mon premier poste dans l’enseignement de 1998 à 2000 comme vacataire suite au refus du régime socialiste de recruter les sortants de l’Ens. Ce refus avait d’ailleurs amené une trentaine de mes camarades de promotion à observer une grève de la faim de décembre 1997 à janvier 1998. Mbaye Fall Lèye, ex- secrétaire général du Saemss et militant aujourd’hui au Cusems, et Massène Mboup qui vit aux états Unis étaient les grands dirigeants de ce mouvement. Malgré la portée symbolique de la visite du ministre de l’éducation d’alors, André Sonko, aux grévistes « mourants », je retiens toujours cette fameuse phrase d’un baron des socialistes toujours célèbre : « Ce sont là les derniers soubresauts d’un secteur amnésique ». Après cinq ans passés au CEM de Ndondol, le lycée de Khombole m’a accueilli jusqu’en 2014 avant le lycée de Pikine où j’enseigne présentement. Le Département d’état américain m’a aussi octroyé à trois reprises des bourses pour des formations en ligne, E-Teacher Scholarship Program, sanctionnées par des certificats Teaching English to Young Learners en 2010, UMBC, English for Specific Purposes en 2014, Université d’Orégon et en 2018 Using Educational Technology in the English Classroom ave l’Université d’Iowa. J’ai aussi le CiSELT, au British Council et Tkt par le biais de l’Université de Cambridge via le British Council.
Un parcours qui pourrait donc expliquer votre amour à cette langue de Shakespeare ?
Je dois dire que deux raisons expliquent ma passion pour cette belle langue. Depuis la classe de sixième secondaire, mon professeur d’anglais, Farba Seck, m’en a donné le goût. Avec l’âge, j’ai découvert que l’anglais était une langue d’élite par laquelle je devrais réussir et mes prédispositions naturelles ont fait le reste.
Cette année, le titre de meilleur professeur d’anglais vous a été décerné. Quels sont les sentiments qui vous animent après cette distinction ?
Je dois rendre grâce à Allah pour ce titre de « Teacher of the Year 2019 ». Je remercie mes collègues de l’Association of Teachers of English in Senegal (Ates), les formateurs de Dakar Banlieue, Mamadou Kally Diallo, Oumoul Fadly Ndiaye et Madjiguène Samb Dieng. J’en suis heureux et fier. De toutes les façons, le message est clair pour moi : je dois mériter cette reconnaissance et maintenir le cap de l’excellence.
Parlez-nous un peu de cette distinction ; la sélection, les critères, les organisateurs….
Ce prix, qui en est à sa quatrième édition, a été initié en 2016 pour récompenser les enseignants méritants de l’année en cours. Les branches régionales proposent leurs nominés au comité scientifique de l’Association qui, sur la base de critères objectifs tels que l’engagement pour la cause de l’ATES, la régularité aux séminaires de formation et autres rencontres des cellules pédagogiques, l’encadrement des élèves et le développement professionnel, choisit le professeur qui remplit au mieux toutes les conditions d’éligibilité
On constate que de la 6e à la 3e , rares sont les élèves qui arrivent correctement à parler correctement l’Anglais… Est-ce le cas avec vos élèves ou bien ?
Je ne suis pas trop sûr que cette frange constitue une minorité. évidemment, un constat s’impose : l’expression orale n’est pas la tasse de thé des apprenants ni au lycée encore moins au collège. Les élèves au lycée de Pikine n’échappent pas à la règle. La grande équation, justement, réside dans cette propension de nos élèves à rechigner à parler en classe.
Avez-vous une pédagogie spécifique avec les élèves pour les pousser à aimer l’anglais ?
Cette question est très importante car elle pose le débat sur les méthodes d’enseignement-apprentissage ; l’approche par les compétences. C’est tout le défi que nous, professeurs d’anglais, devrions relever : comment motiver les apprenants à s’approprier la langue ? Au quotidien, je m’évertue à développer chez mes élèves des stratégies allant dans ce sens à travers des activités et tâches qui les mettent ces derniers dans des situations de communication et de résolutions de problèmes tout en faisant la part belle à l’esprit critique, à l’authenticité et au sens du partage de l’information.
Comment se porte l’anglais au Sénégal ?
Si je comprends bien la question, je dirais que les perspectives sont prometteuses dans la mesure où les entreprises, les organisations internationales et les recruteurs font de la maîtrise de l’anglais une priorité. Mon passage au British Council en tant que professeur vacataire de 2013 à 2016 m’a permis de jauger l’engouement des travailleurs du secteur privé et des fonctionnaires pour la langue de Shakespeare
Cette année, le thème de la journée nationale de l’anglais était axé sur « la réhabilitation » de la langue de Shakespeare comme « première langue vivante dans le système éducatif »… Pourquoi ce choix et quel apport dans la « bonne santé » de l’anglais au Sénégal ?
C’est là, Madame, une question qui interpelle tous les acteurs du système éducatif. Le choix du thème de cette 22ème édition de la journée de l’Anglais tenue le 13 avril 2019 à l’EBAD n’est pas fortuit. Il découle d’un constat amer qui sonne comme le glas de l’enseignement de l’anglais dans les collèges et lycée de notre pays si on n’y prend garde. En effet, les élèves se tournent de plus en plus vers d’autres langues étrangères au détriment de l’anglais. Apparemment, les mauvaises notes et les performances orales déficientes des apprenants en seraient les raisons fondamentales. De tels manquements irréfutables doivent nous interpeller à plus d’un titre. Il s’agit désormais pour nous, membres de l’Association des Professeurs d’Anglais du Sénégal ATES, de poser les jalons d’une remise à niveau des principes et fondamentaux qui ont été le socle de la formation initiale reçue à l’ex-école Normale Supérieure devenue Fastef (Faculté des Sciences et Technologies de l’éducation et de la Formation).
Cette rencontre a été une invite à revisiter les objectifs des enseignements-apprentissages déclinés dans la charte fondamentale de la Loi d’Orientation de l’éducation au Sénégal et les lignes directrices du Programme National d’Anglais autrement dit English National Syllabus. En définitive, nous sommes appelés à réactualiser l’approche par les compétences, lier l’école à la vie et vice-versa, d’une part, pour enfin cultiver chez les apprenants le goût du savoir-faire et susciter l’esprit critique, préalables à toutes les stratégies et situations de communication. En résumé, en toute modestie, nous devons faire notre introspection à tous les niveaux pour diagnostiquer de façon sélective et intelligente les maux qui gangrènent l’enseignement de l’anglais dans nos classes. En guise de recommandations, je pense que l’état devrait davantage investir dans la didactique de cette langue et motiver les enseignants. L’enseignement de cette langue à l’université se porterait mieux si déjà on y vulgarise ESP, English for Specific Purposes ; en d’autres termes, il faut aller au-delà de l’anglais général. Je rêve d’un département à l’université où serait enseigné l’anglais professionnel, commercial, administratif, judiciaire et des affaires. Les futurs enseignants formés n’en seront que les grands bénéficiaires.