PARRAIN DE L’EXCELLENCE
Recteur honoraire de l’Ucad, Pr Souleymane Niang, parrain du Concours général 2021, décédé en 2010, était un esprit d’un autre temps. Un brillant mathématicien.
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Recteur honoraire de l’Ucad, Pr Souleymane Niang, parrain du Concours général 2021, décédé en 2010, était un esprit d’un autre temps. Un brillant mathématicien.
Cheikh Anta Diop est le parrain de l’Université de Dakar. Pr Souleymane Niang en est le recteur éternel. Plus de 22 ans après ses adieux à l’Ucad, son ombre écrase toujours les couloirs et les bureaux du rectorat, qui surplombe l’océan Atlantique. Pr Niang était aussi discret que brillant. Autant son profil est rare, autant son parcours force le respect. Autre temps, autre personne… Aujourd’hui, il est sûr que la plupart des étudiants ne connaissant rien de ce brillant mathématicien. Or il est l’un des esprits les plus brillants qui ont écrit les plus beaux chapitres de cette université. Qui a un passé glorieux, un présent agité et un avenir incertain, car elle a perdu au cours de ces 20 dernières années les plus grands hommes qui ont écrit son histoire.
A l’instar de Seydou Madani Sy, il fait partie des personnes qui ont «décolonisé» l’enseignement supérieur. Pr Souleymane Niang est un vrai stakhanoviste. Il a commencé par le creuset pour atteindre le sommet. Les fées ont soufflé sur son berceau. Cette étoile qui a brillé au-dessus de sa tête aurait pu l’orienter sur un autre chemin.
Issu d’une famille d’érudits, il était prédestiné aux études coraniques. Dieu fait bien les choses : A Matam, la maison familiale était à proximité d’une école française. Petit «talibé», il entendit les récitations de ses «amis» scolarisés. Esprit brillant, il répétait les leçons en même temps qu’il mémorisait les versets coraniques. C’était l’appel de l’école et de la providence. Il rejoignit l’école grâce à un instituteur qui a un flair et aussi un oncle progressiste. Il avait 5 ans. Il fallait lui en rajouter 2 pour qu’il soit inscrit au Ci. Il surclasse tout le monde.
Souleymane Niang rejoignit Saint-Louis, ensuite l’Ecole normale William Ponty de Sébikotane et puis rallia Van Vo (actuel lycée Lamine Guèye) pour faire la Terminale dans l’enseignement général. C’était 1949. Il y obtint le prix d’Excellence, le 1er prix de mathématiques, le 1er prix de chimie et le 1er prix de philosophie, et décrocha le Baccalauréat «mathématiques élémentaires» et une bourse pour la France.
En métropole, il s’inscrit parallèlement en classes préparatoires et en licence d’enseignement de mathématiques, et à l’université. A l’Université Paul Sabatier de Toulouse, il obtient les Dea de mathématiques et d’astronomie en 1954. Avec une tête pleine, Souleymane Niang commence sa carrière au lycée Pierre de Fermat à Toulouse en 1955. Il a hâte de rentrer chez lui, mais il n’y a pas de poste vacant. Alors, il est affecté en Côte d’Ivoire.
En escale à Dakar pour rejoindre Abidjan, il reçut son affectation pour William Ponty. L’histoire est en marche. Les échos de son talent arrivent à l’Université de Dakar où il est recruté comme assistant au niveau de la chaire de maths, en continuant à dispenser ses enseignants à William Ponty. Il en est d’ailleurs le denier directeur puisqu’elle sera supprimée après l’accession du Sénégal à la souveraineté internationale. Assistant, puis maître-assistant de mathématiques (1960-1963), il soutient son doctorat d’Etat ès sciences mathématiques en 1964.
Il deviendra Professeur titulaire à la chaire de mécanique rationnelle en 1969. Il est le parrain de l’enseignement des maths modernes dans le moyen-secondaire. En créant en 1968 l’Institut de recherches sur l’enseignement des mathématiques (Irem), devenu l’Institut de recherches sur l’enseignement des mathématiques, de la physique et de la Technologie (IrempT), (il le dirigea de 1970 à 1986), il forme et encadre les professeurs de maths, produit de manuels, d’ouvrages et de brochures didactiques sur l’enseignement de cette matière. Bien sûr, il ne peut pas tomber dans l’oubli.
Parrain du Concours général, qui fête ce matin les 107 meilleurs élèves du pays, il était une lumière. Ce choix n’est que justice pour un homme qui introduit l’enseignement des maths dans les collèges et lycées. Cette reconnaissance est même tardive pour un homme qui a consacré sa vie à l’enseignement, à la recherche. A la science. Et à l’université où elle se produit. En cette période tourneboulée, il serait un marqueur de l’excellence. Souleymane Niang était un Professeur titulaire de classe exceptionnelle de mathématiques-mécanique. D’abord, Pr Niang a inscrit son nom en lettres d’or à la Faculté des sciences. Enseignant de mathématiques-mécanique, il sera promu doyen de la Fst avant d’occuper le poste ultime.
Grand meneur d’hommes, enseignant brillant, il a marqué d’une empreinte indélébile la marche de l’Université au point qu’il lui a été conféré le titre de recteur honoraire de l’Ucad par le décret n° 2006-965 du 26 septembre 2006. Il était aussi, jusqu’à son décès, le président de l’Académie nationale des sciences et techniques du Sénégal (Ansts) dont il fut membre fondateur. A son honneur, elle institue un prix qui porte son nom, en 2016, pour récompenser les meilleurs chercheurs et scientifiques. Comme lui…
Recteur honoraire
Au rectorat, il succède à une icône de l’enseignement supérieur, Seydou Madani Sy (1971- 1986), premier recteur noir de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Dirigeant très ferme, mais flexible, souriant et intrigant, il dirige l’Ucad de 1986 à 1999. Bien sûr, sa longévité au rectorat n’avait choqué personne. Même s’il ne faisait pas l’unanimité, son personnage et son aura lui permettaient de «composer» avec tout le monde. A l’époque, l’Ucad était un champ de bataille, divisé en proportions électoralistes. Durant son combat politique, Me Abdoulaye Wade avait transformé le campus social en terrain électoral pour vider les contentieux avec Abdou Diouf. Il est chargé de réguler cette poudrière où s’opéraient les violentes révoltes contre le régime socialiste, qui était impopulaire au niveau de la population estudiantine. Durant son règne, il gère une année invalide et une autre blanche. Malgré les soubresauts, personne n’a jamais réclamé sa tête. Cela n’a pas terni son parcours. Il sera remplacé par Pr Moustapha Sourang, qui a longtemps supporté le poids de ce prédécesseur dont l’unanimité dépassait l’aire universitaire. Après son départ de l’Ucad, il est nommé ministre-conseiller par Abdou Diouf. Plus tard, il s’installera à Toulouse où il a fait ses études supérieures. Il y décède le lundi 30 août 2010 à l’âge de 79 ans. Il est enterré le 5 septembre au cimetière musulman de Yoff. Aujourd’hui, l’école honore Souleymane Niang. 11 ans après son décès, l’hommage rendu à ce grand mathématicien est mérité. Quoique tardif… En tout cas, les lauréats du Concours général ont de qui tenir pour sacraliser encore l’école publique, qui a enfanté le «recteur» et d’autres modèles inconnus d’une génération dont les héros sont des joueurs de foot. Parmi cette cuvée, il y a probablement un «next Souleymane Niang», créateur essentiel de la «Théorie des systèmes variables de particules». Qui sait !
Pr Babacar Sarr, enseignant à l’Ept : «On n’avait pas envie que son cours se termine»
«Souleymane Niang faisait passer le savoir d’une manière impeccable. On n’avait pas envie que le cours se termine. Ça n’empêchait pas qu’il soit très rigoureux envers ses étudiants. Le côté humain de Souleymane Niang était extraordinaire. Un étudiant qui a des problèmes, si tu lui en parles, il les règle dans la totale discrétion. Après la maîtrise et le début du troisième cycle, le Professeur Souleymane Niang m’a pris dans sa voiture pour m’amener au niveau du ministère de l’Enseignement supérieur pour qu’on m’offre une bourse pour aller faire un doctorat en informatique. Je ne l’oublie jamais dans mes prières. Il était sans faute. Je l’ai vu dans plusieurs actions humaines. Je donnais des cours à un de ses fils du nom de Paul Amadou Niang, chez lui, chaque vendredi. Quand je sortais, je trouvais des personnes chez lui. A un moment donné, je me posais la question de savoir qu’est-ce que tous ces vieux faisaient ici. Alors tenez- vous bien, il leur distribuait des enveloppes de manière très discrète.».
Paul Niang, fils du parrain : «Durant tout son parcours, il n’y a pas d’agenda particulier»
«C’est une fierté évidemment. Nous sommes très reconnaissants. On a trouvé en sa personne un modèle qui puisse inspirer la jeune génération, faire le futur. Durant tout son parcours, il n’y a pas d’agenda particulier. Il rentre à l’école par hasard. Il est dans la rue, il entend les chants d’élèves qui s’échappent de la fenêtre de l’école et très curieux, il y va pour les écouter. C’est comme ça que l’instituteur l’a tiré et fait entrer dans sa salle de classe. Son père qui était détenteur d’une érudition avérée, vecteur de la foi islamique, a d’autres ambitions pour ce fils. L’attention des autorités coloniales est attirée sur cette famille qui n’a pas d’enfants à l’école. Il y a une clé de réparation. Donc il est soutenu par un oncle progressiste qui travaille au chemin de fer du Congo. Et là, il entre à l’école. Il avait une vocation d’instituteur. Ses résultats font qu’indépendamment de sa volonté, il est exfiltré. On l’emmène avant à Van Vo pour passer son Baccalauréat. Les résultats sont tels qu’il obtient une bourse alors qu’il n’avait projeté d’aller en France. Sa simplicité, sa fidélité faisaient que des gens commettaient des impairs parfois. Quel que soit leur tord, il remuait ciel et terre pour les accompagner, essayer d’intervenir. Je rentrais, je le voyais parfois en période de crise à l’université à 21 heures, il ne prenait le temps de manger. Il se change et reprend la voiture pour aller voir un magistrat ou la partie adverse. Il rendait visite dans les prisons. Les gens se demandent pourquoi. Et ça retentissait même sur son image, mais ce n’était pas important pour lui. Il ne cédait pas à ses appréhensions ou à ses tentations. Ma mère a une fois raconté que dans le métro à Paris, quelqu’un s’était fait agresser et il était le seul à intervenir malgré son physique qui n’est pas du tout imposant. Il ne se posait pas de question. Il le fait parce qu’il doit le faire. Il a été le directeur de l’Institut de la recherche de l’enseignement des mathématiques de la physique et des technologies. Il a introduit les mathématiques modernes dans le secondaire au Sénégal. Il a beaucoup contribué à la formation scientifique et pédagogique des maîtres. Des spécialistes ont dit qu’il est le créateur de la théorie des systèmes variables de particules en Afrique que certains qualifient à cette époque comme une doctrine de la science.»