TROIS AMAZONES DU RENOUVEAU FÉMINISTE À LA PLACE SOWETO
AÏSSATA TALL SALL, AÏDA MBODJ, SOKHNA DIENG MBACKÉ
Dakar, 19 août (APS) - Aïssata Tall Sall, Aïda Mbodj et Sokhna Dieng Mbacké à l’Assemblée nationale, la Place Soweto s’assure un nouveau souffle féministe, au-delà des acquis jusque-là plutôt formels de la loi sur la parité homme-femme dans les fonctions électives, votée en 2010.
La première, avocate en vue, semble désormais en quête d’une audience nationale, lasse de n’être qu’un impossible lien entre deux tendances rivales dans une guerre larvée et fratricide de plusieurs mois, avec comme protagonistes Khalifa Sall, l’actuel maire de Dakar, fortement opposé aux orientations imprimées au Parti socialiste (PS, mouvance présidentielle) par son secrétaire général du moment, Ousmane Tanor Dieng.
Ces deux camps ne vont bientôt plus pouvoir trouver de compromis, s’ils doivent continuer à s’affronter si farouchement autour d’une question à ce point essentielle qu’elle concerne l’orientation future du PS, autrement traduit : faut-il ou non soutenir le pouvoir actuel, pour le cas échéant se réserver une candidature socialiste à la présidentielle de 2019 ?.
Une lutte de pouvoir qui étouffe, laisse peu de place à toute autre perspective, ni à personne, pas même à Me Aïssata Tall Sall, ce que cette dernière a d’ailleurs compris, n’étant pas du genre à se laisser conter. Elle a d’autant plus "osé" l’avenir en lançant son propre mouvement qui l’a portée à l’Assemblée nationale.
Décision bien utile, qui lui a permis de rappeler comme jamais ses ambitions politiques à ceux qui pensent pouvoir l’oublier, de ne pas insulter l’avenir en rompant avec le Parti socialiste et surtout de ménager chèvre et choux en attendant la fin de la tempête.
Deuxième figure majeure de ces femmes du renouveau, Aïda Mbodj est créditée d’un engagement politique déterminé, une trajectoire qui se sublime dans la certitude de se battre pour les femmes en général et son terroir en particulier, à savoir Bambey dont elle fut maire, dans le centre du Sénégal.
"Personne au PDS ne peut me diriger", a déclaré la tête de liste de la coalition "And Saxal Liggey" aux dernières législatives du 30 juillet dernier, en annonçant vendredi au cours d’une conférence de presse des pourparlers avec d’autres entités politiques pour la mise sur pied d’une groupe parlementaire.
Dans des propos rapportés par plusieurs médias sénégalais, elle dit écarter toute éventualité d’intégrer le groupe parlementaire de la "coalition gagnante/Wattu Senegaal" dont le Parti démocratique sénégalais (PDS, opposition) est la principale force, formation à laquelle elle appartient jusque-là.
La volonté de se faire valoir politiquement, ajoutée aux petites mésententes et frustrations internes au PDS, l’ont amenée à concourir sous la bannière d’une autre coalition, bien qu’elle se dit toujours disposée à l’endroit de l’ancien président Abdoulaye Wade, toujours secrétaire général national du PDS.
Une petite rébellion significative de la personnalité de Mme Mbodj, dont le militantisme acharné n’est pas sans faire penser aux querelles de bornes fontaines de femmes, une mémoire de la confrontation recyclée par l’ancienne ministre, pour l’élever à la dignité d’une méthode politique efficace.
Toujours la même adversité impitoyable, les mêmes propos cinglants. "Je n’ai pas été laminée à Bambey" rétorque-t-elle par exemple à ses contempteurs qui se réjouissent trop vite de l’avoir battue dans son fief. "J’ai tenue tête aux courtiers", assène Aïda Mbodj, en écho aux voix accusant le pouvoir d’avoir débauché des militants de certains états majors de l’opposition.
"Certes, ils se consolent, selon leurs propres propos, d’avoir laminé Aïda Mbodj à Bambey. Mais, qu’ils se trompent, puisque mon combat n’était plus et n’aura plus une dimension locale. Je suis au niveau national". Une réponse à des détracteurs, mais une manière de prendre date aussi.
De Sokhna Dieng Mbacké, il faut peut-être attendre un style autre, bien plus feutré, plus dans l’influence, mais qui ne se doute pas que cette femme est la tête pensante du Parti de la vérité et du développement (PVD), façon "spin doctor", moins toute la charge négative des représentations qu’on peut se faire de ces spécialistes du marketing politique plus connus dans le monde anglo-saxon.
Tellement le passé de journaliste vedette de Mme Mbacké autorise à penser qu’elle n’est pas étrangère à la renaissance du PVD, derrière son époux, le marabout et homme politique Serigne Modou Kara Mbacké.
Comme Aïssata Tall Sall, démarquée de la majorité et du contre-pouvoir, pour un troisième pôle en rupture avec les schémas politiques traditionnels, Aïda Mbodj, dans un entre-deux politiques, entre le PDS et sa coalition ("And Saxal Liggey"), fait partie des figures politiques dont on peut attendre beaucoup au sein de la treizième législature.
Au même titre Sokhna Dieng Mbacké, cette dernière davantage dans la recherche de consensus et l’adhésion à la force de la persuasion style "soft power".
Ces trois personnalités emblématiques se présentent potentiellement comme le véhicule naturel de la renaissance féministe à la place Soweto, un féminisme tropicalisé qui se renouvelle dans l’authenticité sociale, en un corps-à-corps intime avec des valeurs sénégalaises partagées, plutôt éloignées de la "guerre des sexes" naguère promue par l’intégrisme féministe.
Un journal de la place ne s’y est pas trompé, qui a titré dernièrement : "Les amazones tiennent le siège à Soweto". Une manchette visant sans doute la quête déterminée et réussie d’un siège à l’Assemblée nationale, autant qu’elle peut suggérer la "résistance" que ces trois femmes députées devrait engager à l’Assemblée nationale, pas seulement sur les sujets intéressant les femmes, mais sur bien d’autres relevant de l’intérêt collectif de la société.
Des mains de fer-gants-de-velours pour un féminisme qui n’en est que plus redoutable, des femmes qui ne se laissent battre que parce qu’elles ont l’assurance de gagner la guerre.