Allemagne: Leipzig a des ailes...
Et Red Bull prit la tête devant le Bayern Munich...! Football-fiction il y quelques mois encore, cet incroyable scénario est devenu réalité samedi en Bundesliga, où le RB Leipzig, créature de la firme autrichienne, est passé en tête du classement.
Fondé, financé et contrôlé par le fabriquant de boissons, cet OVNI footballistique monté en sept ans de la cinquième à la première division rebat les cartes sportives certes, mais aussi économiques et culturelles du foot allemand.
Une prise de pouvoir en deux temps: vendredi soir, Leipzig, nouveau promu toujours invaincu en Bundesliga, s'imposait 3-2 à Leverkusen, à l'issue d'un match solide gagné au mental, après avoir été mené deux fois au score.
Samedi, le Bayern perdait le "Klassiker" à Dortmund (0-1) et se retrouvait deuxième à trois points.
Pas de nature donc à calmer l'hostilité qui accompagne les joueurs aux deux taureaux rouges à chacune de leur sortie. Vendredi soir, leur bus a été bombardé de peinture à son arrivée à Leverkusen, dernier incident d'une longue série qui avait commencé cette saison par la désormais célèbre tête de taureau tranchée lancée sur la pelouse à Dresde, en août.
Il faut dire que certains caciques du foot allemand, tenants de la "tradition", ne craignent pas de jeter de l'huile sur le feu: "Pour la première fois nous avons un cas où rien, mais absolument rien, ne s'est développé de façon historique. On joue au foot pour promouvoir une canette de boisson", a lancé cette semaine le patron du Borussia Dortmund Hans-Joachim Watzke, dans une diatribe très remarquée contre le club de l'ex-Allemagne de l'Est.
Avant d'expliquer la raison de sa colère: "Le supporteur allemand a traditionnellement une relation très intime avec son club. Quand il se dira: +Je ne suis plus un fan, ni un membre, mais un client+, alors nous aurons un problème".
Décryptage, par Jonas Gabler, sociologue expert des supporters de football: "La particularité de la culture du foot en Allemagne, c'est que les clubs ont été fondés comme des associations, dans lesquelles les supporters ont un pouvoir de contrôle et de décision (...) Maintenant, les supporters ont l'impression que cette tradition est dévoyée par les clubs créés par des entreprises."
- Le "Klassiker" du futur ? -
Car si Dortmund compte 145.000 adhérents (et le Bayern 280.000), le RB est possédé à 49% par la firme Red Bull, et à 51% par une association, conformément à la loi certes, mais dont tous les membres sont... employés de Red Bull!
Paradoxalement, le RB suscite le plus grand respect sur le plan sportif, avec un plan de croissance rationnel et maîtrisé:
. Un budget non communiqué encore, mais clairement plus faible que celui des grosses écuries allemandes Bayern et Dortmund.
. Aucune star internationale dans l'effectif, mais un centre de formation réputé, avec des équipes de jeunes qui évoluent toutes au plus haut niveau national. (Joshua Kimmich, la révélation de l'année au Bayern, y a notamment été formé).
. Et une philosophie de jeu volontariste, où le sacrifice au service de l'équipe passe avant les égos. Depuis le début de la saison, les joueurs de Leipzig ont couru en moyenne presque 4 km de plus par match que leurs adversaires. Une force, mais aussi une question: combien de temps tiendront-ils?
Tactiquement, Leipzig joue avec ses moyens: pas de pressing permanent, mais un effort pour jouer les transitions à la vitesse de l'éclair, et une volonté, encore visible vendredi soir à Leverkusen, de jouer en permanence vers l'avant. Le but vainqueur a été inscrit à la 81e minute de la tête par... l'arrière central Willi Orban, en position d'avant-centre à l'issue d'une attaque construite.
La confiance s'est accumulée au fil des matches. "On peut parler d'une tendance, et plus d'un simple passage", estime le directeur sportif Ralf Rangnick après 11 journées sans défaites: "Nous avons fait un très bon début de saison, nous savons que nous sommes sur la bonne voie".
Leipzig se déplace à Munich le 21 décembre. Certains se demandent déjà si ce match ne sera pas le premier des "Klassiker" d'un futur où le "RB" serait devenu l'égal du Bayern, en Allemagne et en Europe.