ADAMA DIENG, LAURÉAT DU PRIX TROFEU RAÇA NEGRA
Nous nous sommes physiquement libérés de nos chaines, il nous faut encore nous en libérer définitivement en permettant à l’Afrique et à tous les Afro-descendants de vivre décemment - L'INTÉGRALITÉ DE SON DISCOURS
SenePlus publie ci-dessous, le discours d’Adama Dieng,Conseiller spécial pour la prévention du génocide, aux Nations-Unies, à l’occasion de la réception du prix « Trofeu Raca Negra », le 19 novembre 2018, au Brésil.
« C’est avec une profonde gratitude et un profond plaisir que je me trouve parmi vous ce soir. En effet, lorsque l’occasion qui nous réunit a pour but de rendre hommage aux membres d’une communauté pour leur contribution à la vie publique, à la promotion des idéaux qui lient notre humanité, un tel moment est empreint d’émotion et d’une grande fierté. Permettez-moi de remercier les organisateurs de ce prix, ainsi que tout particulièrement les autres lauréats et sommités qui se sont vu décerner cette récompense par le passé et au rang desquels je me joins aujourd'hui. C’est un privilège que j’accepte avec humilité, gratitude et honneur.
Cet événement est l’occasion d’affirmer notre identité en tant que peuple unique, en raison de nos origines et de notre héritage communs. L'Afrique n’est pas seulement notre continent-mère, mais c’est aussi le berceau de l'humanité. Nous pouvons donc tous dire aujourd'hui avec force et conviction que du sang africain coule dans nos veines et que de ce fait nul ne saurait contester que nous sommes une seule humanité. Nous sommes unis par notre passé commun, façonnés par nos différentes expériences, sollicités par les exigences du présent et inspirés par la volonté de forger un destin collectif.
Je viens de la côte africaine du Sénégal d'où notre peuple a été capturé et expédié de force vers les îles des Caraïbes et les continents Nord et Sud américains. En nous rassemblant ici ce soir, nous rendons hommage à des millions d'hommes et de femmes qui ont été réduits en esclavage et enchaînés contre leur gré, des hommes et des femmes courageux d'Afrique, des Caraïbes et d'ailleurs, qui se sont dressés contre l'esclavage, le racisme et l'oppression. Parmi ces personnes, je peux notamment citer Kwame Nkrumah, Julius Nyerere, Cheikh Anta Diop, Nelson Mandela, Amilcar Cabral, le grand Toussaint Louverture, Marcus Garvey, Alexander Bustamante, ainsi que Jose Marti, Simon Bolivar, Harriet Tubman et bien d'autres. Tous ces héros et héroïnes se sont battus pour la liberté et la conscience noire avec ténacité, avec un courage inébranlable et avec foi en la dignité de la personne africaine. Ils l'ont fait en sachant que ceci serait une modeste contribution à faire du monde un endroit où il fait bon vivre pour les Africains et les autres. Leur sacrifice est inestimable. Ils ont jeté les fondements de ce juste combat pour nous tous. Il nous incombe maintenant de suivre leur exemple afin de réaliser ce qu'ils ont commencé il y a des siècles.
L’Afrique, évidemment sa diaspora ainsi que tous les Afro-descendants font actuellement face à des défis majeurs dont : la lutte contre la discrimination, l'intolérance, la xénophobie, le racisme, la pauvreté et la marginalisation endémiques. Ces problématiques continuent de causer une douleur, des souffrances et une humiliation incommensurables à ses victimes. Nous sommes tous appelés, individuellement et collectivement, à faire tout ce qui est en notre pouvoir afin de promouvoir la justice sociale et la dignité. Comme l'histoire nous l'a à plusieurs reprises rappelé, la lutte contre l'injustice ne s'est pas terminée avec l'accession à l'indépendance. L'indépendance n'a été que le prélude à une lutte nouvelle et plus engagée pour notre émancipation et le droit de conduire nos destinées conformément à nos aspirations, sans être entravés par des contrôles écrasants et des ingérences humiliantes du passé. Nous nous sommes physiquement libérés de nos chaines, il nous faut encore nous en libérer définitivement en permettant à l’Afrique et à tous les Afro-descendants de vivre décemment.
Nos défis ne peuvent être relevés individuellement. Pour reprendre les mots de Fidel Castro, « nous devons mondialiser la solidarité ». Notre force réside dans notre unité et à travers notre unité d'action. Dans le cadre de cette solidarité, nous devons encourager le panafricanisme, le dialogue et l'engagement entre l'Afrique et sa diaspora en tant qu'expression collective de cette solidarité conformément à notre histoire, fidèle à nos traditions - et bien évidemment - liée au bien-être de notre continent mère - et de tous autres espaces marqués par la présence depuis des siècles d’Afro-descendants.
Permettez-moi, une fois encore, de remercier les organisateurs de m'avoir décerné ce prix d’une très haute importance. J'espère qu’il continuera à inspirer et à servir de symbole de reconnaissance à tous ceux qui ont un lien de fierté avec notre mère patrie, l'Afrique, pour leur contribution essentielle au progrès et à l'émancipation de notre peuple.
Je vous remercie ! »