AIDE À L'AFRIQUE : CE QUE CACHENT LES MASQUES CHINOIS
« La compétition est ouverte, et Pékin peut affirmer aux Africains "nous connaissons vos besoins", en jouant sur sa double image de pays développé et de pays en développement.»
Ces dernières semaines, des acteurs publics et privés chinois ont livré des millions d’équipements de protection aux 54 pays du continent. Un précieux maillon de la diplomatie sanitaire de Pékin.
Il pleut des masques sur l’Afrique. Six millions offerts par la fondation de Jack Ma, le patron milliardaire de la plateforme chinoise d’e-commerce Alibaba, un million par le groupe Huajian, géant mondial de la fabrication de chaussures, un autre million de la part de Huawei, le mégagroupe des télécommunications… Toutes des entreprises chinoises.
A leur arrivée sur le sol africain, à Addis-Abeba, Alger ou Accra, les palettes de masques, combinaisons de protection, respirateurs ou kits de dépistage sont souvent réceptionnés par l’ambassadeur de la République populaire en personne. Pékin entend prouver qu’en temps de crise planétaire, il est un acteur puissant, solidaire et responsable sur lequel l’Afrique peut compter. A la différence de l’Occident, empêtré dans sa propre faillite sanitaire, signifient implicitement les diplomates chinois.
«Opportunité»
En réalité, «cette aide ne change rien, les volumes sont ridicules», précise Antoine Bondaz, de la Fondation pour la recherche stratégique. A titre de comparaison, les hôpitaux français «consomment» entre 6 et 15 millions de masques par jour. Les dons chinois ne couvrent donc, pour l’instant, qu’une partie infime des besoins. «Ils sont cependant utiles, car les capacités initiales de la plupart des Etats africains, à quelques exceptions près, sont très faibles, note le chercheur. A moindre coût, la Chine peut donc s’offrir une campagne de communication efficace. Avec des arguments solides, puisque les Américains et les Européens sont à la traîne.»
Cette diplomatie du masque, Pékin ne la destine pas exclusivement à l’Afrique. Tous les pays de la planète ont été inondés de matériel sanitaire chinois depuis que l’épidémie a amorcé sa décrue dans le pays où elle a commencé. «La Chine est en train de transformer cette crise en opportunité, estime le chercheur. En Afrique, le terrain est propice : la compétition est ouverte, et Pékin peut affirmer aux Africains "nous connaissons vos besoins", en jouant sur sa double image de pays développé et de pays en développement.»
Avec près de 16 000 cas recensés mercredi et «seulement» 874 morts, le continent n’en est qu’aux prémices de l’épidémie. «Il y a une fenêtre de tir idéale pour la Chine, qui est sortie de sa propre crise alors que les Occidentaux y sont plongés jusqu’au cou, note Jean-Pierre Cabestan, professeur à l’université baptiste de Hongkong. Elle essaye de se placer. Pendant la crise d’Ebola, en 2014-2015, les Chinois avaient participé à la riposte mondiale, mais les Américains restaient les leaders. Pour la première fois, avec le coronavirus, l’ordre sera-t-il inversé ?»
Pour lutter contre la pandémie, la Chine se imbattable sur le plan de la production et du transport. Mais pour le reste ? «La Chine a des atouts : elle peut envoyer des médecins, former des soignants, assure Antoine Bondaz. Elle tient une occasion de s’illustrer et de se distinguer des Occidentaux.»
Créances
Dans un second temps, financer un «plan Marshall» pour l’Afrique, comme le réclament déjà certains chefs d’Etat, sera en revanche infiniment plus coûteux. «Certes, la Chine peut monter des hôpitaux de campagne spectaculaires, mais attention, les grosses agences américaines et l’Union européenne vont se réveiller», estime Jean-Pierre Cabestan. L’UE a annoncé la semaine dernière un «package» d’aide de 15 milliards d’euros, dont 3,25 fléchés vers l’Afrique. Emmanuel Macron a défendu lundi une «annulation massive» de la dette des pays vulnérables. La Chine, qui détient 40 % des créances africaines, peut-elle s’aligner ? Renchérir ? Tirer un trait sur ses 145 milliards de dollars prêtés à l’Afrique ? Financièrement, c’est elle qui a le plus à perdre. Mais aussi le plus à gagner : la crise du coronavirus, partie de chez elle, pourrait constituer un premier test de leadership à l’échelle mondiale.