"AUCUNE CONTREPARTIE"
Le ministre des Affaires étrangères, Mankeur Ndiaye, assure que le Sénégal a accueilli les deux anciens prisonniers de Guantanamo sans rien demander en retour

La décision du Sénégal d'accueillir deux anciens détenus de Guantanamo est purement humanitaire. Désintéressée. Gratuite. Les États-Unis n'ont rien déboursé.
Le Sénégal a accordé l’asile à deux anciens prisonniers de Guantanamo sans rien demander en retour aux Etats-Unis, qui en avaient exprimé la demande. "Il n'y a aucune contrepartie de quelque nature que ce soit : c'est une action humanitaire et de solidarité africaine", a confié le ministère des Affaires étrangères, Mankeur Ndiaye, contacté ce mardi par SenePlus.
Dans un communiqué publié hier, lundi 4 avril, le Pentagone a donné la nouvelle en premier : le Sénégal, au même titre que 26 autres pays tiers, a accepté d’accueillir deux Libyens incarcérés depuis 14 ans dans le centre de détention situé à Cuba. Les Etats-Unis se disent "reconnaissants à l'égard du gouvernement (sénégalais) pour son geste humanitaire et sa volonté de soutenir les efforts américains de fermer" la prison controversée ouverte en 2002, au lendemain du 11-septembre.
À la suite du ministère américain de la Défense, le ministère sénégalais des Affaires étrangères a confirmé l'information dans un communiqué. Précisant que cette mesure a été prise "conformément aux Conventions pertinentes du droit international humanitaire" et "dans la tradition d’hospitalité sénégalaise et de solidarité islamique envers deux frères Africains ayant exprimé le souhait d’être réinstallés au Sénégal après leur élargissement".
Salem Abdu Salam Ghereby et Omar Khalif Mohammed Abu Baker Mahjour Umar, puisque c’est d’eux qu’il s’agit, sont déjà au Sénégal. Ils ont débarqué en hommes libres et séjourneront au Sénégal en tant que tel, selon Mankeur Ndiaye qui, "pour des raisons évidentes", n’a révélé ni les conditions de leur arrivée encore moins leur lieu de résidence.
Interpellé sur le fait que cette affaire sensible a été traitée à l’insu du peuple sénégalais et de ses représentants à l’Assemblée nationale, le ministre des Affaires étrangères rappelle : "On n'a pas besoin d'autorisation de l'Assemblée pour accorder l'asile humanitaire à un étranger. Hissène Habré et, avant lui, le Président Ahmadou Ahijo (ancien chef de l’État du Cameroun, Ndlr) ont été accueillis au Sénégal. Avait-on sollicité l'autorisation de l'Assemblée ou fait un discours à la Nation ? Cela relève de la compétence de l'Exécutif."
Ouvrir l'œil
Ibrahima Sène du PIT ne partage pas le point de vue de Mankeur Ndiaye. Contacté à son tour par SenePlus, il a estimé que même si la Constitution l’autorise à agir seul en l’occurrence, le Président Macky Sall aurait dû, "par élégance républicaine et démocratique", en parler aux Sénégalais lors de son message à la Nation, la veille du 4-avril, et informer officiellement l’Assemblée nationale.
Mais Ibrahima Sène estime qu’avec l’arrivée des deux Libyens sur son sol, "le Sénégal cesse d’être une cible des Djihadistes. Les terroristes ne vont pas frapper un pays qui a accordé l’asile à deux des leurs". Cela, s’empresse-t-il d’ajouter, ne doit pas pousser les forces de sécurité et de défense à baisser la garde. "Il faut bien surveiller ces deux anciens détenus et s’assurer qu’ils ne sont pas des menaces pour notre pays et pour la sous-région", suggère-t-il.
La présence de ces deux Libyens, dans un contexte de menace terroriste, inquiète même au sommet de l’État. "J’ai été intrigué d’apprendre que d’anciens prisonniers de Guantanamo devaient arriver au Sénégal", a confié sous le couvert de l’anonymat un conseiller de Macky Sall. Un autre, comme pour le rassurer, d’affirmer que le gouvernement sénégalais s’est bien renseigné sur les profils de ses hôtes, "qui sont inoffensifs", avant d’accepter de les accueillir.
Salam Ghereby et Mahjour Umar étaient emprisonnés depuis 14 ans à Guantanamo. Le premier, formé au maniement des explosifs, aurait fréquenté plusieurs camps d'entraînement d'Al-Qaïda. Le second, formateur en armes et en explosifs, aurait aidé à reconstruire des camps de l’organisation de Ben Laden après leur destruction par les Américains en 1998. Autant dire que les deux Libyens ne sont pas des enfants de chœur.
De toute façon, ils hument l’air de la liberté après des années de détention. Ils font partie des derniers prisonniers de la prison de Guantanamo que le Président Obama compte fermer avant la fin de son second mandat, en janvier prochain.