CINQ ANS, C'EST PEU
Le professeur Faustin Aïssi n'est pas emballé par la décision du nouveau président béninois, Patrice Talon, de faire un mandat
Dans la seconde partie de l’entretien accordé à SenePlus, le professeur Faustin Aïssi ne voit pas d’un bon œil la promesse du nouveau Président du Bénin, Patrice Talon, de faire un mandat unique. Il juge la durée de celui-ci trop étriqué pour répondre aux attentes des populations. Sans compter les obstacles juridico-constitutionnels qu’une telle réforme ne manquerait pas de soulever.
SenePlus : Comment jugez-vous les réformes institutionnelles (réformes du mandat, de la cour constitutionnelle, de la Cour suprême, de la HAAC, des partis politiques…) que le nouveau président béninois veut engager en cinq ans seulement ?
Faustin Aïssi : Après la réforme administrative que nous avons connue de 2003 à 2013, il reste à doter les communes, départements et intercommunalités de fiscalités propres pour ne plus dépendre du bon vouloir de l’Etat. Le nouveau président s’attellera à cela en même temps qu’il devra engager les réformes institutionnelles qu’il a préconisées car elles s’avèrent essentielles pour consolider la démocratie béninoise.
Nous avons un régime présidentiel fort où le chef de l’Etat est le chef du gouvernement. De plus, jusqu’en juin 2015 il dispose de la majorité à l’assemblée nationale, ce qui l’amenait non seulement à contrôler la désignation des ¾ des membres des institutions mais en nomme les présidents lui-même. Tant que nous avons des chefs d’Etat responsables, on peut penser qu’il y aurait peu d’abus quand bien même c’est lui qui procèderait aux nominations.
Mais sous l’ère Yayi Boni, quasiment toutes ces institutions étaient sous ordre. Ainsi n’a-t-on pas vu un arrêt de la cour constitutionnelle contraire au texte constitutionnel affirmant que celui qui est dans sa quarantième année même s’il était né le 16 novembre d’une année par exemple peut se présenter à une élection ayant lieu au mois de mars de la même année alors que la constitution parle de « quarante ans révolus » ? Dans le même temps la HAAC (haut autorité de l’audio-visuel) n’a jamais sanctionné les abus de l’occupation permanente quotidienne des mois durant du candidat du pouvoir Lionel Zinsou sur les ondes de l’ORTB (office de radio et télévision béninoise) alors qu’il sanctionne pour fermeture d’antenne une télévision privée pour avoir diffusé une interview du candidat interdit d’antenne d’alors Patrice Talon. Pire, le chef de l’Etat Yayi Boni s’est récemment assis sur une décision de la justice béninoise et son Premier ministre L. Zinsou interpellé par les journalistes a répondu que « sur des affaires que le chef de l’Etat considère comme sensibles, il peut se le permettre » (cf. débat des deux challengers entre le 1er et le 2e tour de l’élection présidentielle).
Dès lors, les réformes politiques institutionnelles telles que :
- Modification de la structure de la Cour constitutionnelle majoritairement constituée de magistrats, avocats, juristes professeur d’université
- Election du président de la Cour suprême par ses membres (non plus nommé), la Chambre des comptes devenant une institution propre appelé Cour des comptes
- Restructuration du CSM (Conseil supérieur de la magistrature) présidé par un président où le chef de l’Etat n’y siègera plus. L’inspection judiciaire sera rattachée au CSM.
- Modification de la composition de la HAAC dont l’un des membres est proposé par le chef de l’Etat, 2 par le parlement et 6 par les professionnels des médias, et le président de l’institution dorénavant élu par ses membres et non plus nommé
- Instauration d’une allocation annuelle de 0.5% minimum des recettes de l’Etat répartie entre les partis politiques représentés à l’Assemblée nationale
Sont pertinentes et peuvent se faire rapidement d’ici à la fin de l’année 2016, au plus tard au 1er trimestre 2016 sauf la réforme du mandat unique qui risque de prendre plus de temps car cela pose un problème constitutionnel.
Professeur, Patrice Talon, lors de sa prestation de serment, a réitéré son engagement à faire un mandat unique. Est-ce réaliste de faire uniquement cinq ans quand on sait les chantiers économiques et institutionnels à mettre œuvre sont énormes ?
Je réponds d’entrée de jeu qu’il ne m’apparaît pas réaliste de s’inscrire dans la logique d’un mandat unique tant les chantiers économiques et institutionnels sont énormes comme vous le dites si bien. J’avais développé en son temps toute une série d’argumentations pour étayer ma thèse (Bénin : Des propositions de Patrice Talon, candidat aux Présidentielles de 2016, concernant la question du mandat unique. Nuances ! 15 Septembre 2015).
Comme développé plus haut, certaines questions institutionnelles peuvent se résoudre d’ici à la fin de l’année. Mais la situation économique du Bénin est à tel point préoccupante que tous les secteurs sont à développer en même temps si le gouvernement veut répondre aux préoccupations existentielles de la jeunesse victime d’un chômage endémique y compris des diplômés de haut niveau. Certes l’équipe du président Talon s’y est préparé mais rien que la mise œuvre au niveau de l’éducation nationale de la politique d’adéquation des enseignements généraux et professionnels de façon à dispenser des formations professionnelles en lien avec les industries et commerces locaux pour favoriser l’insertion professionnelle de ces jeunes non seulement prendra un certain temps mais il faudra sans doute attendre quelques années pour apprécier son efficience.
Par ailleurs le programme du candidat préconise un programme ambitieux de développement de l’artisanat, l’agriculture, l’agroalimentaire à travers 6 pôles régionaux de développement agricole avec des filières phares de façon à accélérer l’intégration sous-régionale et promouvoir l’industrie de transformation pourvoyeuse de milliers d’emplois locaux.
Enfin, l’ambition du candidat d’amener l’eau, l’électricité et le numérique jusqu’au fin fond des communes implique une remise en ordre et surtout une reprise en main opérationnelle des sociétés nationales d’Etat comme bien sûr la SBEE (électricité et énergie), SONEB (eau), SOBEGI (gaz industriel), SONACOP (commercialisation des produits pétroliers) mais aussi celles liées au bâtiment et infrastructures routières SCB (ciment), NOCIBE nouvelle cimenterie) sans oublier dans le domaine du numérique une nouvelle politique s’impose à partir non pas de l’ouverture du capital majoritairement (80 %) à une société étrangère à retour sur investissement rapide mais au contraire une fusion de Bénin Télécom (s’occupant du fixe) et de Libercom SA (pour le mobile) de sorte à maîtriser au niveau de l’Etat à la fois les éléments de l’internet et de la téléphonie mobile par cette nouvelle entité ouverte à un PPP dont l’Etat est majoritaire. Le moins que l’on puisse penser est qu’un mandat unique de cinq années risque d’être un peu court.
Dans les démocraties africaines, un quinquennat unique tel que prôné par le président Talon ne risque-t-il pas de créer plus de problèmes qu’il n’en résout ? Je veux parler des guerres de positionnement successorales dans la mouvance présidentielle et d’une campagne prématurée des partis d’opposition.
Parler de démocraties africaines peut s’apparenter à une blague car depuis les indépendances des années soixante, on a connu beaucoup plus de régimes à plusieurs dizaines d’années qu’à 5 ans. Même les conférences nationales des années quatre-vingt-dix n’y avaient rien fait puisque les habitudes sont revenues au galop avec les tripatouillages constitutionnels. De ce point de vue le président Talon apparaît être un OVNI avec son mandat de cinq ans et pose indiscutablement beaucoup de problèmes aux habitués africains de présidences à vie.
Pour avoir participé à l’élaboration de son projet de société, j’ai cru comprendre que le président Patrice Talon a souhaité faire un mandat unique parce que ses deux objectifs principaux sont de faire rapidement les réformes institutionnelles indispensables à une saine démocratie et de relancer la machine économique. Mais une constitution n’est pas faite pour un individu et doit tenir compte d’un ensemble de réalités permettant à la fois d’avoir des institutions stables, le temps nécessaire pour faire l’état des lieux du pouvoir que le peuple vous a confié, mettre en œuvre la politique pour laquelle vous avez été élu, faire le cas échéant des ajustements et commencer à en avoir les retombées avant son départ. Les « puristes » ajouteront qu’un second mandat permet de rendre compte à ceux qui vous ont élu, lesquels pourront avoir la possibilité de vous donner un quitus positif ou vous sanctionner.
Comme l’environnement n’est pas à un mandat unique de plus très court (5 ans), l’équipe gouvernementale serait à peine installée, aurait fait l’état des lieux et lancer quelques réformes que les ambitions de succession commenceront à se manifester dès la troisième année de gouvernance, la quatrième étant consacrée à se positionner pour une dernière année de campagne y compris au sein de la majorité gouvernementale.
A l’évidence, le mandat unique surtout de cinq ans serait source d’énormes problèmes dont on ne peut maintenant prévoir toutes les conséquences. De plus si les objectifs des promesses de campagne ont du mal à être atteints pour diverses raisons même non imputables au gouvernement, cela ouvrira un boulevard à l’opposition et aux prétendants à la succession de développer des stratégies de déstabilisation indiscutablement néfastes au pouvoir en fin de règne
Le président ne risque-t-il pas d’être désavoué par la Cour constitutionnelle sur l’éventualité de la non-rétroactivité de la loi fixant le mandat présidentiel à deux ?
Le président Patrice Talon est élu sur la base de la constitution post-conférence nationale sur un mandat de 5 ans renouvelable une fois. La seule possibilité pour lui de faire un mandat unique est de ne pas se porter candidat pour un deuxième mandat. Quand bien même arriverait-il à faire une révision constitutionnelle d’ici cinq ans que cela ne peut s’appliquer à lui-même pour cause de non rétroactivité d’une loi votée. Par ailleurs, aura-t-il une majorité automatique pour une telle réforme d’autant qu'il faut une majorité qualifiée des ¾ au moins des députés pour une révision constitutionnelle d'une part et les parlementaires parmi lesquels figurent beaucoup de potentiels candidats aux futures élections présidentielles ne partageront pas forcément cette opinion d'autre part ?
Les articles 154, 155 et 156 précisent très exactement les conditions de révision :
Art 154. –L’initiative de la révision de la Constitution appartient concurremment au Président de la République, après décision prise en Conseil des Ministres et aux membres de l'Assemblée Nationale.
Pour être pris en considération, le projet ou la proposition de révision doit être voté à la majorité des trois quarts des membres composant l'Assemblée Nationale.
Art 155. -La révision n'est acquise qu'après avoir été approuvée par référendum, sauf si le projet ou la proposition en cause a été approuvé à la majorité des quatre cinquièmes des membres composant l'Assemblée Nationale.
Art 156. -Aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie lorsqu’ il est porté atteinte â l’intégrité du territoire.
La forme républicaine et la laïcité de l'Etat ne peuvent faire l'objet d'une révision.
Dès lors, le président Talon est ainsi suffisamment au fait des textes réglementaires de son pays pour ne pas donner l'occasion au conseil constitutionnel de le désavouer.
Si cela s’avère, n’y a-t-il pas risque de plonger le Bénin dans une instabilité polémiste et un juridisme politicien sans fin comme le Sénégal l’a vécu récemment quand le Conseil constitutionnel a stipulé que la réduction du septennat en quinquennat avec application immédiate telle que voulue par le président Macky Sall n’est pas possible ?
Au vu des argumentations que j’ai développées en défaveur d’un mandat unique de cinq ans, je pourrais encore revoir ma position si l’on proposait un septennat, un mandat unique de sept ans apparaissant plus défendable car susceptible de donner un minimum de temps pour la mise en œuvre d’une politique d’Etat avec possibilité d’ajustements si les objectifs prévisionnels n’étaient pas atteints dans les délais pressentis. Mais, question iconoclaste : Que ferait le président Talon si le peuple lui demandait de rester pour un second mandat ?
La préconisation de Macky Sall au Sénégal comportait les éléments conflictuels à un double niveau : le raccourcissement du mandat avec les inconvénients largement commentés pour un mandat de cinq ans susceptible d’entrainer effectivement une instabilité polémiste et l’applicabilité immédiate avec son relent de juridisme non pas politicien mais tout simplement contraire en général à l’esprit des lois fondamentales et aux lois tout court qui sont rarement rétroactives. Seule possibilité pour le président du Bénin : ne pas se présenter à un 2e mandat.
Votre mot de la fin professeur !
René Dumont, né en 1904 et mort en 2001, agronome français connu pour son combat pour le développement rural des pays pauvres, écrivait en 1962 : « L’Afrique Noire est mal partie » qui fit scandale en son temps. Aujourd’hui, je peux me risquer de dire que « l’Afrique Noire n’est pas partie du tout » et régresse d’année en année face à des pays-continents comme la Chine ou l’Inde voire l’Amérique latine qui étaient au même stade de développement qu’elle au début de ces années soixante.
La faute à qui ? Certes d’abord et avant tout au système colonial qui continue de maintenir sa domination passant par toutes les formes, néocolonialisme, libéralisme, mondialisation, etc. en faisant et défaisant les présidents africains les transformant en « préfets » de l’hexagone. Mais osons le dire, la faute principale revient à l’élite africaine elle-même qui n’a jamais pris ses responsabilités. Je me plais souvent à dire que depuis la conférence nationale des forces vives béninoises de 1990, tous les ministres de la santé ont été des médecins-professeurs de la faculté des sciences de la santé et tous les ministres de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique ont été d’éminents professeurs d’université. Pour autant l’état de nos hôpitaux et autres centres de santé est déplorable et s’apparente plus à des mouroirs tandis que nos universités sont dépourvus de tout matériel de technologie minimale pour former des diplômés scientifiques ne serait-ce qu’au niveau licence (Bac+3) pouvant être sérieusement en compétition avec leurs homologues des universités des pays anglophones d’Afrique encore moins avec ceux des universités des pays développés du Nord.
La responsabilité des élites africaines est donc énorme dans le mal développement de nos pays car selon la fameuse phrase du Général de Gaulle, si « la France n’a pas d’ami mais es intérêts », l’élite africaine ne semble pas avoir compris que l’Afrique a aussi des intérêts à défendre pour un meilleur vivre de sa jeunesse. Le Rwanda l’a compris et connait à peine vingt années après sa tragédie un développement sans précédent depuis qu’il est sorti de la tutelle belgo-française. Quelques pays comme le Bénin et le Burkina Faso sont sur la bonne voie parce qu’ils commencent à vaincre la fatalité en se donnant les moyens d’une démocratie de leurs opinions publiques. Néanmoins la route est longue, très longue pour vaincre cette fatalité.
Cliquez ici pour lire la première partie de l'entretien