IL NE FAIT PAS TOUJOURS BON D'ÊTRE ARTISTE PRO-BIYA
Parmi les dégâts collatéraux de la présidentielle camerounaise, le boycott par certains membres de la diaspora d'artistes qui ont ouvertement soutenu la candidature de Paul Biya - Illustration
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Diaspora camerounaise vs artistes estampillés pro-Paul Biya. Ce n'est pas l'affiche d'un championnat interquartiers, ces compétitions de football très populaires au Cameroun où les équipes peuvent porter des noms originaux à souhait. Non ! Il s'agit tout simplement de la guéguerre engendrée par l'élection présidentielle, un front ouvert sur le terrain culturel entre artistes pro-Biya et publics hostiles à celui-ci.
Opposition sur fond politique
Et voilà donc que la politique s'immisce dans les débats chez les musiciens camerounais. Qu'ils semblent lointains les moments où le débat culturel camerounais était davantage focalisé sur les contenus artistiques. On ne parle plus des tenues parfois olé-olé de Coco Argentée, célèbre chanteuse de Bikutsi. Ni des clips ou textes jugés « indécents » de certains de ses confrères. Il ne s'agit pas non plus d'un énième mouvement d'humeur pour exprimer le ras-le-bol au sujet des droits d'auteurs « spoliés ».
Le conflit a été déclenché parce que certains artistes-musiciens ont ouvertement affiché ou déclaré leur soutien au président Paul Biya lors de la campagne électorale. D'autres ont pris part aux concerts géants organisés durant la période électorale, voire après lors de la prestation de serment du président. Il n'en fallait pas plus pour irriter une partie de la diaspora camerounaise manifestement plus proche des candidats de l'opposition.
Boycott, liberté d'opinion et droit
Dans une vidéo partagée sur les réseaux sociaux, le « combattant Kemta », du mouvement baptisé « anti-sardinard », habillé en tenue militaire, fustige ce qu'il considère comme le peu de considération du régime actuel pour les artistes. Il soutient ouvertement : « Soit vous êtes avec nous, soit vous êtes contre nous. Personne n'a le droit de supporter Paul Biya. Il n'y a plus de concert pour vous en Europe, en Amérique, au Canada et même en Afrique », déclare-t-il. Une « Fatwa » plus tard traduite dans les faits par le boycott et l'annulation de spectacles dans les pays européens des artistes indexés : Coco Argentée, Ben Decca, K-Tino, etc.
« Face à la liberté d'expression par la Constitution, les actes posés contre les artistes sont une violation indigne », s'insurge Roméo Dika, le président du Syndicat camerounais des musiciens (SYCAMU). Pour lui, « Paul Biya est le seul à faire une offre claire aux artistes, aux arts et à la culture ». Dans sa profession de foi, le président Paul Biya, alors en campagne électorale, s'est engagé notamment à améliorer la condition sociale des artistes, à renforcer la défense et la protection des œuvres et des droits des artistes, à renforcer le soutien, la promotion et la valorisation des industries culturelles locales. Dans un contexte marqué par la crise dite anglophone et les problèmes d'emplois des jeunes, il est vrai que la culture n'était pas le principal souci de tous les candidats.
Des organismes au secours des artistes ?
Les dissidents de la diaspora ont donc choisi de frapper les artistes au portefeuille. En effet, les spectacles organisés à l'étranger constituent l'une des plus grandes sources de revenus pour les artistes camerounais. Ce, dans un contexte où les musiciens peinent encore à récolter le fruit de leur labeur localement, via les droits d'auteurs. Après de nombreuses années de cacophonie dans le secteur, le ministre des Arts et de la Culture a octroyé cette année aux trois structures de gestion des droits d'auteurs des agréments pour exercer. Il s'agit de la Société civile des droits de la littérature et des arts dramatiques (Sociladra), la Société civile des arts audiovisuels et photographiques (Scaap) et la Société civile des droits d'auteur des arts plastiques et graphiques (Socadap). Durant les dix années à venir, elles seront en charge de la gestion des droits d'auteurs et droits voisins des artistes actifs dans leurs domaines respectifs. De fait, les artistes espèrent une nette revalorisation de ces allocations qui, jusqu'ici, se résument à des miettes, alors que le piratage des œuvres leur cause un fort préjudice.
Problème de professionnalisme
Cependant, ce mouvement de la diaspora met aussi en lumière le manque de professionnalisme de certains artistes camerounais, même lorsqu'ils se produisent à l'étranger. Ce qui pourrait expliquer la relative facilité avec laquelle le mouvement « anti-sardinards » arrive à empêcher les spectacles dans les pays européens et en Amérique du Nord. N'empêche, le SYCAMU a initié des démarches auprès notamment du Snam, qui est le syndicat des artistes français, afin d'élargir le champ de protection des artistes camerounais. Mais il réside une difficulté, car la majorité des artistes engagés agissent en marge de la réglementation et de la légalité. « Nous devons faire la différence entre une activité politique et un engagement commercial. Nous discutons avec ceux qui ont lancé le boycott afin qu'ils intègrent le caractère négatif de ces actions contre-productives », explique Roméo Dika. Pour être conforme aux directives européennes, l'artiste sous contrat doit recevoir un permis de travail et l'organisateur doit être détenteur d'une licence d'organisateur de spectacles. Ce qui n'est pas toujours le cas.
Dans l'opinion, le mouvement de boycott est diversement apprécié. Entre soutiens des uns et condamnations des autres, ce curieux affrontement est aussi à l'image d'une certaine fracture de la société tiraillée entre intellectuels, tribus, résidents, diaspora, tout ça sur fond de crise linguistico-politique autour des régions anglophones. De quoi révéler combien la situation critique du pays touche tous les domaines.