«JE NE ME REPRÉSENTERAI PAS»
Réélu pour un troisième mandat de sept ans, le 5 août 2017, avec 98,8 % des voix, Paul Kagame n’entend plus se représenter à la tête du Rwanda qu’il dirige depuis 2000 en remplacement du Pasteur Bizimungu.
(DOHA, Qatar) – Réélu pour un troisième mandat de sept ans, le 5 août 2017, avec 98,8 % des voix, Paul Kagame n’entend plus se représenter à la tête du Rwanda qu’il dirige depuis 2000 en remplacement du Pasteur Bizimungu. L’homme fort du Rwanda a fait cette déclaration en marge du forum de Doha tenu les 14 et 15 décembre dans la capitale du Qatar.
Monsieur le Président, cela fait 19 ans que vous êtes au pouvoir. Vous n’êtes pas fatigué ?
J’ai encore beaucoup d’énergie pour continuer. Je ne suis pas fatigué de faire ce que je suis en train de faire depuis des années. J’ai envie de continuer pour faire progresser mon peuple.
Pourtant en 2017, vous avez fait voter une loi qui limite les mandats présidentiels. Vous entendez modifier la Constitution ?
Non ! Pas du tout ! Ma réponse est juste relative à votre question. Je pensais que vous parlez de mon mandat, celui qui est en cours. Je parle donc des années qui me restent et non de modifier la Constitution pour postuler à nouveau.
Donc, vous ne pensez pas à faire un 4ème mandat ?
Il est peu probable que j’y pense. Je ne sais pas trop. J’essaie de ne pas avoir les mains liées. Mais je pense que je ne me représenterai pas.
Votre pays est en croissance. On parle d’un taux de 7 %. Est ce que vous vous dites que vous avez accompli votre mission ?
Ma mission ne sera jamais terminée. Elle ne sera jamais accomplie ! Parce que les défis sont multiples. Il ne faut pas se reposer sur ses acquis. Le Rwanda est un microcosme. On y retrouve tout. Il reste beaucoup à faire.
Après le génocide, pour garder le tissu social, vous avez fait voter une loi qui interdit presque qu’on affiche son ethnie.
Nous sommes tous des Rwandais. C’est pourquoi, nous avons estimé qu’il n’est pas bon d’avoir un discours basé sur l’ethnicité. Nous avons un certain nombre de problèmes. Le Rwanda a des problèmes avec son histoire, avec sa géographie. Nous avons effectivement connu un génocide où on a perdu un million de nos concitoyens. Des Rwandais ont tué d’autres Rwandais. Même s’ils ne sont pas les seuls acteurs de ce génocide. Il y a des acteurs étrangers qui sont impliqués. Mais, nous n’allons pas rejeter la faute sur les autres. Il y a un problème de division ethnique qui a poussé certains à croire qu’ils sont différents des autres. La question de la division a créé de l’antagonisme. Par conséquent, il faut des règles pour ne pas retomber dans l’anarchie. On ne peut pas se permettre d’utiliser son identité contre les autres.
Pourtant en Afrique, il y a des présidents qui restent 25 voire plus de 30 ans au pouvoir. Que dites-vous à ces Chefs d’Etat africains ?
Il ne s’agit pas seulement de dirigeants ou de présidents africains. Il faut replacer les choses dans leur contexte. Souvent, ce n’est pas justifié. Toutefois, ces changements dépendent du contexte.
L’ancien Président du Zimbabwe, Robert Mugabe a soutenu que la limitation du mandat est une création de l’Occident qui cherche à l’imposer à l’Afrique ?
Ça n’a pas la même signification partout. Le temps n’est pas une fin en soi. Les limites des mandats sont souvent imposées par les Occidentaux. Pourtant le système occidental n’apporte pas de solutions à tous. Il y a d’autres échelles de valeur. Il y a d’autres systèmes ailleurs. La démocratie pourrait revêtir d’autres formes. Il arrive que les Occidentaux choisissent des dirigeants. Quelques temps après, ils les critiquent alors qu’ils sont choisis par leur peuple à travers les urnes. N’est ce pas paradoxal !
Pourtant vous, Paul Kagamé, vous apparaissez comme le chouchou de l’Occident ?
(Il tranche net) ! Je ne suis le chouchou de personne. S’ils me prennent comme leur chouchou, c’est leur problème. La seule chose que je peux vous dire, c’est que je veux travailler avec tout le monde. Je suis en faveur de la coopération multilatérale. La seule chose que je ne veux pas, c’est qu’on nous dicte ce qu’on doit faire.
Votre pays est producteur de coltan. D’ailleurs, le Rwanda est devenu producteur de smartphones.
J’aurais bien aimé avoir d’autres ressources que ce seul métal qu’est le coltan. Je ne veux pas non plus l’utiliser en forçant la main à qui que ce soit. Même si nous sommes heureux d’avoir ce métal. Mais nous voulons en avoir d’autres pour pouvoir disposer d’usines de raffinage.
En parlant de géographie, quels sont les rapports entre le Rwanda et ses voisins, notamment la RD Congo et l’Ouganda ?
Nous avons connu de nombreux progrès avec la RD Congo. Nous sommes de plus en plus enclins à travailler avec nos voisins. Il faut continuer à entretenir cette coopération. Quant à l’Ouganda, c’est plutôt des querelles de famille qui ne sont d’ailleurs pas raisonnables parce qu’on ne se dispute pas la frontière encore moins le territoire.
Vous êtes presque en guerre ?
Non, nous ne sommes pas en guerre. Nous sommes encore suffisamment réfléchis pour ne pas en arriver là.
Parlons de corruption. En Afrique, on parle de plus de 50 milliards de dollars qui quittent le continent. Comment éradiquer un tel phénomène ?
Nous avons essayé de l’éradiquer au Rwanda. Nous avons mis en place un système pour mieux comprendre comment éradiquer la corruption. Il faut de la transparence et de la redevabilité. Le niveau de corruption a diminué. Pour y arriver, nous avons compris qu’il faut que les populations s’y opposent d’abord.
Le Rwanda est le 4ème pays, le moins corrompu d’Afrique ? Est-ce une question de culture ou bien ?
Ce n’est pas une question de culture. C’est un phénomène qui dure depuis longtemps. C’est à l’échelle mondiale. S’il y a des sommes aussi importantes qui quittent l’Afrique pour aller ailleurs, cela veut dire que ce ne sont pas seulement les Africains qui sont concernés. Il y a aussi ceux qui reçoivent ces sommes. Même si l’absence de développement le favorise aussi. Même sans les Africains, il y aura de la corruption.