KANILAI, LE REBELLE
Immersion dans le village mythique de Yahya Jammeh
Redouté par les Gambiens et même les Sénégalais, Kanilai, ce village que l'ancien Président Yaya jammeh a réussi à mythifier et mystifier, reste très hostile à la présence d'un étranger. Toute personne qui met les pieds dans ce village est considérée comme un espion. Elle est aussitôt filée par de jeunes qui étaient tous des agents de la national intelligence Agency (NIA). "L'AS" a dépêché une équipe pour vous faire découvrir le village mystique de l'ancien despote gambien. Situé à plus d'une centaine de kilomètres de Banjul, Kanilai qui signifie en Diola "lieu où on répare des fractures" ne diffère pas beaucoup des autres villages gambiens hormis le palais de jammeh et la Maison du Festival. Sans lotissement, ni assainissement, Kanilai reste toujours fidèle à Yahya jammeh.
Le village mythique de l'ancien dictateur de la Gambie, Yahya Jammeh, n'a rien de particulier par rapport aux autres villages. N'eut été l'imposante et somptueuse résidence de Yahya Jammeh, on traverserait ce patelin situé à la frontière sud entre le Sénégal et la Gambie sans s'en rendre compte.
Ce village qui a vu naître le second Président de la Gambie reste plus que jamais attaché à ce dernier malgré son exil forcé en Guinée Equatoriale. Jammeh qui était toujours hostile à la presse, surtout sénégalaise a contaminé les populations de Kanilai. C'est pourquoi, rares sont les journalistes qui s'aventurent à mettre les pieds à Kanilai. Et cela est valable jusqu'à l'heure actuelle.
De l'origine du nom de Kanilai ?
"L'As" a dépêché une équipe à Kanilai pour faire découvrir ce hameau que certains croient être un paradis sur terre. Car, l'ancien despote gambien a réussi à mystifier et mythifier son patelin qu'il porte dans son coeur. A l'origine, le village qui a vu naître le Président Jammeh s'appelait "Kanilai". Ce qui signifie en Diola : lieu où on soigne les fractures des jambes ou bras. Et les colons qui ne savaient pas prononcer Kanilai lui ont donné le nom de Kanilai. En fait, les Gambiens qui ne se sont jamais rendus à Kanilai pensent qu'il y a tout dans ce village. Ils croient dur comme fer que la localité baigne dans un luxe insolent. Que nenni. Toute personne qui visite pour la première fois le fief de Jammeh est frappée par sa ruralité. La localité est située sur l'axe Banjul-Soma à environ 120 km de la capitale gambienne. C'est à partir du village de Kamfenda situé sur la route nationale qu'on bifurque à droite pour prendre la direction de Kanilai.
Il faut parcourir encore une dizaine de kilomètres pour apercevoir l'hôtel de l'ancien homme fort de Banjul. Le réceptif à deux étages est très banal. Peint en couleur jaune qui a perdu son éclat à cause de la pluie, l'hôtel ressemble plutôt à une grande villa. Il n'est fréquenté que pendant le Festival international de Kanilai que l'ancien dictateur organisait chaque année. Le bâtiment est perdu au milieu des herbes sèches. Et des animaux rodent tout autour. Du côté opposé de l'hôtel, le décor est constitué de cases et bâtiments en banco à l'architecture anglaise.
La caserne des Sapeurs pompiers est implantée à 300 mètres du côté opposé au réceptif, à l'entrée du village. Deux camions citernes et une ambulance sont stationnés. Les soldats du feu vaquent tranquillement à leurs occupations. Les herbes sèches constituent le décor. De part et d'autre de la route bitumée qui divise le village en deux parties, se dressent de vieux bâtiments en banco. Au milieu de Kanilai, sont implantés deux grands panneaux aux posters de Yahya Jammeh. Sur les deux affiches, on peut lire "Welcome to Kanilai" à côté de l'effigie de l'enfant prodige drapé dans un grand boubou blanc, une canne à la main droite et un exemplaire du Coran à la main gauche.
Les commerçants refusent de vendre du béton aux proches de Jammeh pour achever les travaux de la mosquée
A un jet de pierres des affiches, un imposant bâti est en train de sortir de terre. C'est la grande mosquée du village. Le chantier est très avancé, mais les travaux sont présentement à l'arrêt. Les ouvriers sont à l'étape du chaînage et du coffrage. Le changement de régime explique l'arrêt des travaux. L'information est de Moussa Sow conducteur d'un des véhicules 4x4 de "Kanilai Farmers Family", c'est-à-dire les véhicules des fermes de la famille de Yahya Jammeh. En dehors des deux minicar stationnés à la gare routière, seules les voitures au logo ""Kanilai Farmers Family" circulent dans le village. A en croire ce proche de Yahya Jammeh, les travaux de la mosquée sont à l'arrêt, faute de béton et de graviers.
"Depuis le départ du Président Jammeh, les commerçants refusent de nous vendre du béton pour nous permettre de terminer les travaux de la mosquée. Ce n'est pas sérieux. C'est pourquoi, le chantier est aujourd'hui à l'arrêt", se lamente M. Sow qui faisait partie de la garde rapprochée de l'homme fort de Kanilai. Il faudra peut-être attendre que la tension entre Kanilai et le nouveau régime retombe pour espérer avoir du béton afin d'achever la construction de la mosquée. L'ex-dictateur en exil forcé en Guinée Equatoriale doit regretter d'avoir entamé tardivement la construction du lieu de culte.
En attendant que la situation se décante, les populations vont prier dans une mosquée fortuite en zinc. Entre la mosquée et le marché, se dressent cinq grands fromagers qui surplombent le village. C'est un bâtiment en zinc dont les deux faces sont en grilles qui doit servir de marché aux femmes. L'ancien chef de l'Etat de la Gambie n'a pas eu la chance d'inaugurer l'infrastructure prévue pour accueillir les vendeuses de légumes et d'autres condiments. Les travaux sont terminés, mais il reste la peinture. Des enfants jouent dans une école située derrière le marché.
Les visiteurs traqués par les jeunes de Kanilai, tous agents de la défunte NIA
En face du marché, Ibrahima Jammeh tient sa "boutique". Ce jeune natif de Kanilai y vend avec son ami Diédhiou de l'essence et de l'huile moteur. De géants baobabs sont visibles derrière la "station" du jeune Jammeh. Pratiquement tous les jeunes de Kanilai, souffle-t-on, avaient un second métier : le renseignement. Ils sont détenteurs de carte professionnelle de l'Agence nationale de renseignement de la Gambie, la redoutable National Intelligence Agency (NIA) dont le nom a été changé par le Président Adama Barrow. Ici, un étranger ne passe pas inaperçu. Les jeunes sont hostiles à toute présence étrangère. L'équipe de "L'As" a vérifié cela à ses dépens.
En effet, dès sa descente à la gare routière de Kanilai, elle est automatiquement prise en filature par les jeunes du village. Elle est dispersée. Au moment où le reporter photographe capturait, de manière discrète, les images de la devanture du luxueux palais de Yahya Jammeh, votre serviteur échange avec un boutiquier en sirotant une canette de jus de fruit. Très ouvert, le boutiquier, un Mauritanien qui a passé des années au village, raconte : "il y a la paix et la sécurité dans le village, même si le Président Jammeh n'est plus au pouvoir. Les gens vaquent à leurs occupations comme d'habitude".
Seulement, le boutiquier craint des problèmes dans la fourniture d'électricité. "Pendant le règne de Yahya Jammeh, il n'y avait jamais de délestages. Nous avions de l'électricité 24h/24h et gratuitement. Mais depuis quelques jours, nous avons des coupures d'électricité", relève-t-il. Le Mauritanien redoute que le nouveau gouvernement mette fin à la gratuité de l'électricité et de l'eau à Kanilai. Pendant les échanges, un jeune entre dans la boutique et fait semblant d'acheter quelque chose en écoutant la conversation avant de ressortir. Il s'agit d'un élément de la défunte NIA.
Abdou Bodian, militant du parti de Jammeh "Nous allons gagner tous les 5 postes de députés du Fogny aux prochaines législatives"
Contrairement aux jeunes, les vieux sont très accueillants et ouverts. C'est au moment d'échanger avec les vieux Famara Diémé et Abdou Bodian sur l'avenir du parti de l'ancien président Jammeh, que des jeunes furieux arrivent pour interrompe la discussion. Le ton monte immédiatement. Ils nous reprochent d'être entrés dans le village, sans passer par le chef du village. Ce qui est inacceptable à leurs yeux. D'ailleurs, ils en ont voulu à Diémé et Bodian qui nous ont accueillis. Il a fallu qu'on tienne tête pour qu'ils reviennent à de meilleurs sentiments. De loin, d'autres jeunes tendent l'oreille pour écouter les échanges houleux. Auparavant, Abdou Bodian a confié que l'Aprc, le parti de Jammeh, se porte à merveille dans le district de Foni Bondali.
"Aux prochains élections législatives, nous allons rafler les 5 postes de députés du district de Fogny. L'opposition (Ndlr, l'actuelle mouvance présidentielle) n'a jamais existé dans le Fogny. Qu'elle n'espère pas encore avoir un seul député dans le Foni Bondali", avertit Abdou Bodian. Famara Diémé corrobore les propos de son camarade de parti. A l'en croire, à Kanilai comme dans les autres villages du Fogny, les populations restent toujours fidèles au Président Jammeh malgré son exil. Ils ne pensent pas un jour transhumer vers un autre parti.
"Nous restons à l'Aprc jusqu'à la mort, car nous sommes reconnaissants à l'endroit du Président Jammeh qui a tout fait pour nous. Je ne sais pas dans les autres localités, mais dans le Fogny nous sortirons victorieux aux législatives prévues au mois d'avril", ajoute Famara Diamé. Interpellés à leur tour sur la situation de l'Aprc dans le Fogny, les jeunes furieux refusent de se prononcer. "Seuls nos responsables ont le droit d'en parler. Il s'agit de Douada Goudiaby et de Major Sow", répond le jeune Coly. Ils ne veulent non plus donner leurs avis sur le nouveau régime du Président Adama Barrow.
Mayor Sow, Le nouvel homme fort de Kanilai
Nous décidons alors d'aller voir Mayor Sow, un officier de l'armée gambienne qui a démissionné après l'arrivée des troupes de la Cedeao en Gambie. Fidèle à l'homme fort de Kanilai, il a enlevé son uniforme pour rester au service de Jammeh. Aujourd'hui, il assure les arrières de l'ex-despote gambien, comme on le dit dans le jargon militaire. Non seulement l'ex-officier loge dans le palais, contrôle les biens et les fermes de Jammeh, mais aussi reste le leader du parti Aprc dans le Foni. A coté du palais, est construit "Festival House", le village du festival. Il est constitué de six bâtiments R+1. Devant le portail du palais de Kanilai, il n'y a pas l'ombre d'un soldat gambien. Pourtant, c'est un détachement de l'armée qui assurait la sécurité des lieux sous le règne de Jammeh. En témoigne le poste de garde où trois à quatre soldats se postaient en sentinelle.
Plus de militaires à Kanilai, c'est un vigile qui assure la sécurité du palais
L'état-major de la mission de la Cedeao a désarmé tous les soldats qui étaient à Kanilai avant de les redéployer dans les différents camps militaires de la Gambie. Les armes et munitions saisies à Kanilai sont gardées par les troupes de la Cedeao. Idem pour les éléments de la garde présidentielle de "State house" (Palais de Banjul). Ils sont cantonnés au camp militaire de Youndum qui fait face à l'aéroport. Maintenant, c'est un vigile, la quarantaine révolue, qui garde les lieux et accueille les visiteurs à Kanilai. Après que nous avons fini de décliner les raisons de notre mission, le vigile nous demande gentiment de patienter, le temps d'aller voir Major Sow.
Soudain, arrive Aliou Sow, un lieutenant de Mayor Sow, à bord d'un véhicule de "Kanilai Farmers Family". Aliou Sow, qui maîtrise l'agenda du nouvel homme fort de Kanilai, renseigne que ce dernier n'est pas dans les dispositions de nous recevoir. Il nous oriente vers Daouda Goudiaby, un responsable du parti de Jammeh. Mais, avant de quitter le somptueux palais de Kanilai qui altère la ruralité du village, un vieux fidèle à l'ancien Président s'arrête avant de franchir le seuil du portail du palais.
"On ne pardonnera jamais au Sénégal et a sa presse. vous avez eu la chance de venir a Kanilai avec un Bissau-Guinéen, sinon…"
Il revient sur ses pas pour s'enquérir de l'objet de notre présence sur les lieux. Très remonté contre le Sénégal et particulièrement la presse sénégalaise, il déverse sa colère. "On ne parle pas à la presse sénégalaise. On n'oubliera jamais le tort que le Sénégal et sa presse nous ont porté. Vous nous avez fait beaucoup de mal. Vous avez raconté n'importe quoi sur Kanilai et le Président Jammeh pendant la crise post-électorale. On ne vous pardonnera jamais", fulmine-t-il. Avant de proférer des menaces : "vous avez eu la chance de venir avec un Bissau-Guinéen sinon…".
Courtois et disponible, Aliou Sow, vêtu d'un tee-shirt à l'effigie de Jammeh, nous embarque à bord de son véhicule pour aller à la rencontre de Daouda Goudiaby, un responsable de l'Aprc. Quelques centaines de mètres parcourus, le véhicule bifurque dans les herbes sèches, puis contourne un vieux bâtiment en banco et s'arrête sous un arbre. "Voilà chez Goudiaby", indique Aliou Sow. C'est la déception totale. Car, il est inimaginable qu'un responsable et homme de confiance, dit-on, de Jammeh, habite dans une maison pareille. La maison est sans clôture. Des pilons, mortiers, chiens et poules occupent la cour de la demeure. On se demande à quoi a servi leur compagnonnage avec l'ancien dictateur.
"Malgré leur proximité et parenté avec Jammeh, ils n'ont rien. Jammeh leur donnait du riz et de l'huile en plus de la gratuité de l'eau et de l'électricité. Et ils sont très contents et prêts à tout, jusqu'à sacrifier leur vie, pour l'ancien Président. C'est incompréhensible. Ils vont devenir encore plus pauvres avec l'exil de l'ancien Président", confie un Gambien. A l'image du domicile de Goudiaby, à Kanilai, on entre et sort des maisons de tous les côtés, faute de clôture. De rares maisons sont clôturées en paille ou bois.
Daouda Goudiaby, proche de Jammeh "Le régime de barrow commence a nous oppresser"
Le responsable du parti de Jammeh n'a pas non plus voulu commenter l'avènement du régime de Adama Barrow, ni la situation de leur formation politique à Kanilai. "Je ne peux rien dire", précise d'emblée Daouda Goudiaby entouré de jeunes et de femmes. La mine triste, il ajoute : "il faut l'autorisation de Sidy Njie (Ndlr, coordonnateur national de Aprc) pour parler du parti. Et puis, je suis vraiment triste, je ne peux vous parler". Incapable de contenir davantage son amertume, Daouda Goudiaby déverse sa colère sur le régime de Adama Barrow.
Lâchant enfin le morceau, il dit : "j'ai le coeur meurtri. Je suis stressé par les pratiques du régime de Adama Barrow. Nous étions jusque tard dans la nuit à Bwian (localité située à 10km de Kanilai) pour intervenir pour la libération des travailleurs des fermes du Président Jammeh. Finalement, le ministre de l'Intérieur a demandé leur transfert au commissariat de police de Birkama". A l'en croire, c'est à la suite d'une banale histoire entre un militant de Adama Barrow et un partisan de Jammeh que ces derniers sont arrêtés.
"Il n'y a même pas eu de bagarre. Ces travailleurs sont tombés par hasard sur les échanges de propos aigres-doux et la police les arrête en les accusant de détention d'armes blanches et de violence. Ils sont une quinzaine d'ouvriers", dénonce Daouda Goudiaby dépité. Oubliant les pratiques de l'ancien homme fort de Kanilai, il crie à la persécution. "Ils nous montrent qu'ils sont maintenant au pouvoir. Ils nous oppressent et abusent de leur pouvoir. Ce n'est pas normal", dixit Daouda Goudiaby. Nous prenons congé de lui en le laissant ruminer sa colère. Les jeunes continuent de surveiller nos déplacements, jusqu'à ce qu'on embarque pour rejoindre Serekunda.