LA JUNTE DECRETE LA «FIN DE L’ACCORD D’ALGER, AVEC EFFET IMMEDIAT»
La méfiance s’accentue entre le Mali et son voisin du Nord, l’Algérie, pays garant de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali, communément appelé «Accord d'Alger»
La méfiance s’accentue entre le Mali et son voisin du Nord, l’Algérie, pays garant de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali, communément appelé «Accord d'Alger». Alors que la relation de confiance entre les deux voisins frontaliers semblait déjà s'être délitée depuis la reprise, en 2023, des attaques contre l'État central et l'Armée malienne par les groupes indépendantistes à dominante touarègue du Nord du pays, la junte au pouvoir a annoncé, avant-hier jeudi «sa fin», «avec effet immédiat». L’Algérie qui «prend acte de cette décision dont elle tient à relever la gravité particulière pour le Mali lui-même, pour toute la région», dit l’avoir appris «avec beaucoup de regrets et une profonde préoccupation». Et de prévenir la junte : «Répéter ces erreurs du passé, c’est prolonger indûment la tragédie et les malheurs pour le Mali et pour le peuple malien frère».
Le régime militaire au pouvoir au Mali a annoncé, jeudi 25 janvier 2024, la «fin, avec effet immédiat», de l'important «Accord d'Alger» signé en 2015 avec les groupes indépendantistes du Nord du pays, longtemps considéré comme essentiel pour stabiliser le pays. La junte a invoqué «le changement de posture de certains groupes signataires», mais aussi «les actes d'hostilité et d'instrumentalisation de l'accord de la part des autorités algériennes, dont le pays est le chef de file de la médiation», indique un communiqué lu à la télévision d'État par le colonel Abdoulaye Maïga, porte-parole du gouvernement installé par les militaires, cité par France24. Le gouvernement «constate l'inapplicabilité absolue de l'Accord pour la paix et la réconciliation au Mali issu du processus d'Alger, signé en 2015, et, par conséquent, annonce sa fin, avec effet immédiat», dit le communiqué lu jeudi soir. Le colonel Maïga a lu jeudi soir un autre communiqué vigoureux, spécifiquement contre l'Algérie. Le gouvernement «constate avec une vive préoccupation une multiplication d'actes inamicaux, de cas d'hostilité et d'ingérence dans les affaires intérieures du Mali par les autorités», algériennes, dit-il. Il dénonce «une perception erronée des autorités algériennes qui considèrent le Mali comme leur arrière-cour ou un État paillasson, sur fond de mépris et de condescendance». Parmi différents griefs, la junte reproche aussi à l'Algérie d'héberger des bureaux de représentation de certains groupes signataires de l'accord de 2015 et devenus «des acteurs terroristes». Le régime malien «exige des autorités algériennes de cesser immédiatement leur hostilité».
ALGERIE PREND ACTE ET PREVIENT CONTRE LA REPETITION DES ERREURS DU PASSE…
En guise de réaction l’Algérie prend acte de la décision des autorités maliennes. «L’Algérie a pris connaissance, avec beaucoup de regrets et une profonde préoccupation, de la dénonciation par les autorités maliennes de l’Accord pour la Paix et la Réconciliation au Mali, issu du processus d’Alger. L’Algérie prend acte de cette décision dont elle tient à relever la gravité particulière pour le Mali lui-même, pour toute la région qui aspire à la paix et à la sécurité, et pour l’ensemble de la communauté internationale qui a mis tout son poids et beaucoup de moyens pour aider le Mali à renouer avec la stabilité par la réconciliation nationale», informe le ministère algérien des Affaires étrangères, à travers un communiqué. Alger rejette tous ces griefs invoqués. «L’Algérie a un devoir d’information envers le peuple malien frère. (…) Le peuple malien doit aussi savoir et doit se convaincre que la longue liste des raisons invoquées à l’appui de la dénonciation de l’Accord ne correspond absolument ni de près ni de loin à la vérité ou à la réalité».
Pour l’Algérie, cette décision et préméditée et préparée depuis longtemps, avec des signes avant-coureurs, depuis deux ans, qui «en ont été leur retrait quasi-total de la mise en œuvre de l’Accord, leur refus quasi-systématique de toute initiative tendant à relancer la mise en œuvre de cet Accord, leur contestation de l’intégrité de la médiation internationale, leur désignation de signataires de l’Accord, dûment reconnus, comme dirigeants terroristes, leur demande de retrait de la MINUSMA, l’intensification récente de leurs programmes d’armement financés par des pays tiers et leur recours à des mercenaires internationaux». Et d’ajouter que «Toutes ces mesures systématiquement mises en œuvre ont soigneusement préparé le terrain à l’abandon de l’option politique au profit de l’option militaire comme moyen de règlement de la crise malienne. Le peuple malien frère doit savoir que des décisions aussi malheureuses et aussi malvenues ont prouvé par le passé que l’option militaire est la première menace à l’unité et à l’intégrité territoriale du Mali, qu’elle porte en elle les germes d’une guerre civile au Mali, qu’elle diffère la réconciliation nationale au lieu de la rapprocher et qu’elle constitue enfin une source de menace réelle pour la paix et la stabilité régionales. Le Mali a toujours besoin de paix et de réconciliation. Il n’a aucun besoin de solutions qui ne lui ont apporté par le passé que déchirements, destructions et désolations. Répéter ces erreurs du passé, c’est prolonger indûment la tragédie et les malheurs pour le Mali et pour le peuple malien frère», met en garde l’Alger.
«TOUS LES CANAUX DE NEGOCIATIONS SONT DESORMAIS FERMES»
"Tous les canaux de négociations sont désormais fermés", a dit à l'AFP Mohamed Elmaouloud Ramadane, porte-parole du Cadre stratégique permanent, alliance de groupes armés qui avaient signé l'accord de 2015, avant de reprendre les armes l'an dernier. «Nous n'avons pas d'autre choix que de livrer cette guerre qui nous est imposée par cette junte illégitime avec qui le dialogue est impossible.» Déjà, l’accord était considéré comme moribond depuis la reprise, en 2023, des hostilités contre l'État central et l'Armée malienne par les groupes indépendantistes à dominante touarègue du Nord, dans le sillage du retrait de la Mission des Nations unies (MINUSMA), poussée vers la sortie par la junte après dix années de présence. Par la suite, la question touarègue constituant un contentieux «inédit» entre le Mali et l’Algérie, l'accord avait reçu un très rude coup supplémentaire en tout début d'année quand le chef de la junte, le colonel Assimi Goïta, avait annoncé lors de ses vœux de Nouvel An la mise en place d'un «dialogue direct inter-malien» pour «privilégier l'appropriation nationale du processus de paix».
DEGRADATION DES RELATIONS ENTRE LE MALI ET L'ALGERIE
Ainsi, la fin de l'accord intervient par ailleurs dans un climat de profonde dégradation des relations entre le Mali et le grand voisin algérien, avec lequel le Mali partage des centaines de kilomètres de frontière. Le Mali est plongé dans la tourmente depuis le déclenchement d'insurrections indépendantiste et salafiste parties du Nord en 2012. Les groupes à dominante touarègue ont alors repris les armes pour l'indépendance ou l'autonomie ; une insurrection ayant ouvert la voie à des groupes armés liés à Al-Qaïda dans le Nord, nécessitant l’intervention militaire de la France. Après un cessez-le-feu en 2014, les groupes armés à dominante touarègue ont signé en 2015 avec le gouvernement et des groupes loyalistes qui combattaient à ses côtés l'accord de paix dit "d'Alger", qui prévoyait plus d'autonomie locale et l'intégration des combattants dans une armée dite "reconstituée", sous l'autorité de l'État. Les jihadistes continuent, quant à eux, de combattre l'État sous la bannière d'AlQaïda ou de l'organisation État islamique. La violence qui a fait des milliers de morts combattants et civils ainsi que des millions de déplacés s'est propagée au centre du Mali et au Burkina Faso et au Niger voisins, à leur tour théâtres de coups d'État militaires en 2022 et 2023.