L'AFRIQUE, ESPACE VITAL POUR LA FRANCE
EXCLUSIF SENEPLUS - La Françafrique, un autre temps - Les possibles conflits d'intérêts au sein du Conseil présidentiel pour l'Afrique - L'indigence du débat sur le FCFA - Les bases militaires, les intérêts économiques - ENTRETIEN AVEC LAURENT BIGOT
Emmanuel Macron était au Sénégal pour une visite officielle de deux jours. À Dakar, le président français a fait de belles promesses. Il s'est engagé à donner 125 milliards de FCFA au Partenariat mondial pour l'éducation. Il a, en outre, promis une aide de 26 milliards de FCFA pour endiguer l'érosion côtière, à Saint-Louis. Le locataire du palais de l'Elysée s'est rendu au collège de Hann-Bel Air, un établissement dont la construction a été financée par la coopération française et un accord a été signé pour la réalisation d'un campus franco-sénégalais.
Emmanuel Macron s'est aussi soucié des entreprises françaises. Il a visité le chantier du Train Express Régional qui va relier Dakar à l'Aéroport international Blaise Diagne de Diass, et dont la mise en œuvre est pilotée par Engie et Thales. En sa présence, Airbus a confirmé la vente de deux A3380 à Air Sénégal. Le chef de l'Etat français n'est pas venu seul. Macron a joué les VRP. Il était accompagné, pour la circonstance, par des entrepreneurs français. Sur le plan culturel, Emmanuel Macron a défendu, à Dakar, la francophonie. "Ce que nous avons en commun, c’est la langue. La francophonie n’appartient pas aux Français. L’épicentre de la francophonie, sa vitalité, sa force à la fois en termes d’inventivité linguistique, mais aussi en termes culturel et artistique, elle se joue en Afrique", a-t-il soutenu.
Rien de nouveau. Rien ne change. La visite d'Emmanuel Macron au Sénégal s'inscrit dans la continuité des relations complexes entre l'Afrique et la France. Une relation qui convient parfaitement aux dirigeants africains, encore incapables de porter, par manque de fonds et d'ambitions, des projets économiques, militaires et culturels d'envergure sans faire appel à la générosité des autres. La France est donc chez elle en Afrique. Par la force des choses.
Quels sont les grands enjeux de la présence française en Afrique ? Comment sont tissés les intérêts mutuels ? Laurent Bigot, ancien diplomate français, aujourd'hui consultant, apporte des éclairages sur les relations qui lient le continent à Paris. Ce dernier a été au cœur de la politique française en Afrique. Il avait été relevé de ses fonctions de chargé de l'Afrique de l'Ouest au ministère français des Affaires étrangères pour avoir, dès 2012, prédit la chute de Blaise Compaoré. Entretien.
SenePlus.com - En novembre dernier, au Burkina Faso, Emmanuel Macron a dit qu'il "n'y a plus de politique africaine de la France". Que vous inspire ces propos ?
De la stupéfaction ! S'il n'y a plus de politique africaine de la France, c'est-à-dire une politique visant à défendre et promouvoir les intérêts de la France en Afrique compte tenu des spécificités de chacun des pays africains, à quoi bon avoir une diplomatie ? Autant fermer toutes nos ambassades en Afrique !
Exit la Françafrique. Emmanuel Macron promet un nouveau départ, comme ses prédécesseurs, Sarkozy et Hollande. Dans les faits, ils n'y arrivent pas. La France, qui a perdu du terrain en Afrique, a-t-elle vraiment les moyens et la volonté de proposer un nouveau partenariat avec les pays africains ?
Exit la Françafrique ? Emmanuel Macron ne l'a jamais dit au contraire de ses deux prédécesseurs. D'ailleurs qu'est-ce que la Françafrique ? Plus personne ne sait à quoi cela correspond, mais on balance ce mot à chaque bout de phrase pour faire un effet. Il y a la dimension historique de la Françafrique incarnée par Foccart. C'était un autre temps, d'autres moeurs. Je ne comprends pas que l'on compare aujourd'hui avec une époque révolue depuis plus de 30 ans. Le monde a changé, cessons de vivre dans les fantasmes historiques. Ce qui pourrait rester de la Françafrique seraient des réseaux affairistes qui interfèrent dans la politique. Il y en a toujours eu et cela existe avec d'autres régions du monde sans que ces mêmes régions soient stigmatisées par un mot péjoratif. Croyez-vous que les contrats d'armement au Proche et Moyen-Orient se passent d'intermédiaires suspects ? La justice française a longuement enquêté sur un marché de vente de frégates à Taïwan. Donc l'Afrique n'échappe pas à la règle, le système capitaliste est ainsi fait. Malheureusement. En revanche, je pose une question concernant le Conseil présidentiel pour l'Afrique créé par Emmanuel Macron. Il est composé d'hommes et de femmes qui ont des entreprises, des intérêts. N'est-ce pas un mélange des genres ? N'y a-t-il pas un risque de confusion voire de conflit d'intérêts ?
Un souverainisme africain voit le jour, qui veut en finir avec le franc CFA et les bases militaires françaises en Afrique. Comment, du côté de Paris, ces questions sont-elles accueillies ?
Le débat sur le franc CFA est indigent. Ceux qui crient le plus fort sont ceux qui connaissent le moins le sujet. Je rappelle que le FCFA est arrimé à l'euro et que la France en garantit de manière illimitée la convertibilité. C'est unique dans le monde ! Cela protège cette monnaie de toute attaque spéculative. En contrepartie, la France demande qu'une partie des avoirs extérieurs des Etats de la zone CFA soient déposés en garantie sur un compte d'opérations. Aujourd'hui, ce sont 50% des avoirs qui y sont déposés. Ces avoirs sont rémunérés au taux directeur européen et les intérêts versés à la BCEAO et la BCEAC. Si les Etats africains avaient leur propre monnaie, ils devraient de toute façon immobiliser l'équivalent de 3 à 6 mois d'importations. Le débat sur cette somme "bloquée" est aberrant. Mais imaginons que cette somme soit débloquée. D'abord, elle ne le serait qu'une seule fois, car c'est un stock et non un flux. Ensuite, quelle garantie auriez-vous que les Etats destinataires utilisent mieux cet argent que les milliards d'euros déjà déversés au titre de l'aide au développement ? La question du CFA est d'abord une question de gouvernance. Toute monnaie a ses avantages et ses inconvénients, le franc CFA y compris. L'enjeu est d'établir une politique économique qui s'appuie sur les avantages de la monnaie et qui minore ses inconvénients. La question que vous pouvez poser aux gouvernements de la zone CFA est donc de savoir ce qu'ils ont fait des avantages du Franc CFA. Quant aux bases militaires françaises, je pense que c'est un anachronisme. La France pourrait les transformer en universités du savoir, car répondre aux aspirations de la jeunesse est la meilleure façon de répondre aux défis sécuritaires.
Quels sont, aujourd'hui, les principaux intérêts de la France en Afrique ?
Les intérêts de la France en Afrique sont multiformes. Il y a des enjeux liés à la présence de communautés françaises, il y a des intérêts économiques, mais aussi le formidable défi de partager des valeurs de tolérance, de respect mutuel et pour cela la culture et les arts sont un vecteur efficace. C'est notamment la mission des Instituts français.
Des opposants politiques sénégalais accusent le chef de l'État, Macky Sall, de favoriser les entreprises françaises. Dakar occupe-t-elle encore une position stratégique et prééminente dans le dispositif diplomatique de Paris ?
Les opposants s'opposent, mais oublient que le Sénégal fait aussi appel à des entreprises turques, chinoises ou indiennes. Les entreprises françaises gagnent des marchés, car elles proposent des prestations de qualité, elles détiennent un savoir-faire reconnu mondialement dans de nombreux domaines. Le Sénégal est un pays important pour la France, car la qualité de la relation est remarquable. À nous tous d'entretenir ce formidable atout.
"L'Afrique est notre avenir", suggérait un rapport du Sénat français en 2013. Orange, Bolloré, Engie, Eiffage, Total, Auchan. Les entreprises françaises sont omniprésentes dans le bassin économique sénégalais. La stratégie de reconquête, face à la Chine, est-elle en train de réussir ?
Les entreprises françaises ont un savoir spécifique qui n'est pas forcément dans les mêmes secteurs que les entreprises chinoises. Il y a de la place pour tout le monde. Que le meilleur gagne !
L'ambassadeur de France au Sénégal est un ancien haut responsable des services secrets français. Est-ce un choix sécuritaire, avec la menace terroriste, ou une volonté de garder un œil sur les intérêts économiques de la France ?
Un ambassadeur est chargé de veiller sur tous les intérêts de la France, qu'ils soient sécuritaires, économiques, politiques ou culturels. C'est la mission de l'actuel ambassadeur comme ce fut celle de ses prédécesseurs et comme ce sera celle de son successeur. Rien de neuf sous le soleil.
Peut-il y avoir un glissement positif et heureux dans les relations entre la France et l'Afrique ?
Votre question suppose que les relations ne seraient pas heureuses ? Pour qu'une relation fonctionne de manière équilibrée et fluide, il revient aux deux acteurs d'y contribuer. Je trouve qu'on attend toujours beaucoup de la France dans cette relation. Pourquoi ne pas s'intéresser dans le même temps à ce que les partenaires africains peuvent faire pour que cette relation soit harmonieuse ?