LE HADJ, L'AUTRE PÉTROLE DES SAOUD
Pour recevoir un nombre toujours plus important de visiteurs à La Mecque, les dirigeants wahhabites n’hésitent pas à transformer la ville sainte en chantier permanent, quitte à la défigurer
Le pèlerinage à La Mecque, cinquième pilier de l’islam, garantit une manne perpétuelle aux autorités saoudiennes. Pour recevoir un nombre toujours plus important de visiteurs, les dirigeants wahhabites n’hésitent pas à transformer la ville sainte en chantier permanent, quitte à la défigurer. L’ambition d’accueillir toujours plus de pèlerins pose de graves problèmes de sécurité et de santé.
Premier exportateur mondial de pétrole (plus de dix millions de barils par jour), le royaume d’Arabie saoudite est aussi le berceau et le centre névralgique de l’islam. Unique État qui siège aux Nations unies en portant le nom d’une famille (1), il s’attribue l’exclusivité de la chahada, la profession de foi musulmane, qu’il fait figurer sur son propre drapeau pour bien signifier au 1,8 milliard de fidèles recensés à travers le monde que ses souverains sont les « serviteurs des lieux saints ». La Mecque, où naquit le prophète Muhammad (Mahomet) — qibla (direction) des cinq prières quotidiennes — et Médine, où il repose, demeurent du ressort exclusif du monarque.
Les moyens financiers colossaux tirés de la manne pétrolière confortent le leadership religieux du royaume sur l’oumma (communauté des croyants), mais la monarchie sait qu’elle doit veiller à préserver sa légitimité de gardienne des lieux saints. D’où ses énormes efforts pour assurer le bon déroulement et la sécurité des pèlerinages qui ont lieu sur son sol. Le défi logistique, sanitaire et sécuritaire est de taille. Deux à trois millions de pèlerins effectuent chaque année le hadj (ou hajj), qui constitue le cinquième et dernier pilier de l’islam. Obligatoire une fois dans la vie pour tout musulman en bonne santé et qui en a les moyens, il s’effectue chaque année en cinq jours au minimum durant le mois de dhou al-hijja, dernier du calendrier hégirien (lunaire). Il constitue l’apothéose de la vie du croyant et le lave de tous ses péchés. C’est aussi un moment de retrouvailles des musulmans du monde entier, un facteur d’unité et d’échanges.
En moyenne, le hadj rapporte au royaume entre 10 et 15 milliards de dollars par an (2). À cette manne, il faut rajouter 4 à 5 milliards de dollars apportés par les huit millions de pèlerins accomplissant la omra, un pèlerinage, non obligatoire, à La Mecque qui peut s’effectuer à n’importe quelle date de l’année (en dehors du hadj) et qui atteint un pic pendant le ramadan. Selon la chambre de commerce et d’industrie de La Mecque, 25 % à 30 % des revenus du secteur privé des deux villes saintes dépendent du pèlerinage. Au total, les revenus cumulés du hadj et de la omra constituent le deuxième poste de recettes de l’État saoudien après les ventes d’hydrocarbures. En 2018, Riyad prévoyait que ces deux pèlerinages lui rapporteraient 150 milliards de dollars de revenus au cours des cinq prochaines années. Et le royaume veut plus. Selon les experts ayant rédigé « Vision 2030 », le plan de diversification économique du royaume concocté sous l’égide du prince héritier Mohammed Ben Salman, trente millions de personnes devraient effectuer chaque année la omra d’ici à dix ans. Selon ce document, « le tourisme religieux est une option durable pour l’Arabie saoudite » à l’heure où le pays semble avoir perdu les moyens d’être l’unique stabilisateur des prix du brut (3).