LE MONDE SALUE LA MÉMOIRE DE MICHEL SERRES
Les hommages affluent dimanche, au lendemain de la mort du philosophe à l'âge de 88 ans, politiques, intellectuels et artistes saluant tant son "savoir" immense, que sa "chaleur" et son "humanisme"
Sur internet, anonymes comme personnalités citent les réflexions de cet intellectuel passionné d'éducation, de communication et d'écologie, apprécié pour son goût de la jeunesse et son optimisme.
"Le monde perd un grand intellectuel, qui fit briller la tradition philosophique française au-delà de nos frontières. Les Français perdent un visage familier qui sut mettre son érudition au service de tous", a salué Emmanuel Macron dans un communiqué.
L'éditrice de Michel Serres aux éditions du Pommier, Sophie Bancquart, invite à jouir de la "magie" qui consiste à se plonger dans ses livres:
"Vous pénétrez soudain dans une musique singulière, une chanson de la langue française, qu'il pratiquait en savant comme en poète. (...) Il construisait ses livres comme il construisait sa pensée, en fouillant toujours plus loin pour faire émerger une idée nouvelle!", écrit-t-elle dans un texte transmis à l'AFP.
Samedi soir, elle a annoncé le décès de Michel Serres, "mort très paisiblement à 19H entouré de sa famille".
Ce membre de l'Académie française s'est intéressé à toutes les formes du savoir, scientifique comme littéraire, anticipant les bouleversements liés aux nouvelles technologies de la communication.
L'un de ses plus grands succès d'édition fut "Petite Poucette", titre clin d'oeil à la maestria avec laquelle certains utilisent leurs pouces pour taper sur leurs portables.
- Voix de radio -
"La voix et les voies ouvertes par Michel Serres vont nous manquer", regrette le ministre de la Transition écologique François de Rugy, saluant dimanche sur Twitter "une philosophie humaniste valorisant les raisonnements scientifiques".
"Sa pensée sur l'éducation continuera à nous influencer", avait souligné samedi le ministre de l'Education nationale Jean-Michel Blanquer, tandis que son collègue de la Culture, Franck Riester, rendait hommage à une pensée "lumineuse et moderne, poétique et accessible".
L'ancien officier de marine, qui a sillonné l'Atlantique et la Méditerranée, s'était tourné vers l'enseignement à la fin des années 50, avec la volonté de s'affranchir des frontières des disciplines universitaires.
La notoriété arrivera dans les années 1980, avec la série intitulée "Hermès", "Les cinq sens", prix Médicis de l'essai en 1985, ou "Eléments d'histoire des sciences" (1989).
En 1990, il est élu à l'Académie française, où il est reçu l'année suivante sans la traditionnelle épée, "en signe de paix" en pleine Guerre du Golfe.
La maison des "immortels" perd "une grande personnalité, un homme, un philosophe, une voix", a déploré l'Institut de France, qui rassemble cinq Académies dont l'Académie française.
"Voyageur infatigable de la pensée", comme le décrit Le Pommier sur son site internet, Michel Serres est l'auteur de quelque 80 ouvrages et continuait de publier régulièrement ces dernières années. Son dernier livre, "Morales espiègles", est paru en février.
Mais le grand public le connaissait aussi grâce à la chronique dominicale à laquelle il a participé pendant 14 ans, "Le sens de l'info", sur France Info.
L'ancien directeur de la radio Michel Polacco, qui présentait cette chronique avec lui, a rendu hommage à l'antenne à sa vision des choses "véritablement originale", sa "fabuleuse culture" et sa "capacité incroyable de se mettre au niveau de tout le monde".
- Homme de mer et de rugby -
"Michel Serres (...) avait le don d'éclairer les esprits et d'éveiller les curiosités. Il avait compris qu'il fallait placer l'humain et la nature au centre de tout. Sa malice et sa voix chaleureuse aux accents gascons nous manquent déjà", a regretté l'ancien président de la République François Hollande
Pour Yannick Jadot (EELV), c'était "un grand humaniste, qui est toujours resté en lien avec son temps et a gardé une confiance formidable dans la jeunesse".
Le député LREM et mathématicien, Cédric Villani, retient l'"infatigable bâtisseur de ponts entre disciplines" et le "conférencier passionné, méridional chaleureux, grand enfant épris de futur".
Plusieurs voix de l'écologie ont souligné cette perte, comme l'ex-ministre de l'Environnement Corinne Lepage, l'ONG Notre affaire à tous ou Jean-François Julliard, directeur général de Greenpeace France, qui a salué "l'engagement d'une vie" et rappelé que "Michel Serres, auteur du +Contrat naturel+ en 1990, soutenait l'idée d'accorder des droits aux écosystèmes et à la nature".
L'économiste et conseiller politique Jacques Attali a lui dit "au revoir" à celui qui avait "le charme des grands marins, la culture des vrais philosophes, l'enthousiasme des passionnés de rugby, la naïveté des amoureux de Tintin, la joie de vivre des enfants, l'enthousiasme jubilatoire des vrais stoïciens".
Même le club de rugby d'Agen, où le philosophe à l'accent rocailleux était né en 1930, a salué sur Twitter le "plus illustre de ses supporteurs".