LE POUVOIR DE YAHYA JAMMEH FACE A UN DEFI INEDIT
Présidentielle en Gambie
Banjul (Gambie), 30 nov 2016 (AFP) - Le chef de l'Etat gambien Yahya Jammeh, au pouvoir depuis 22 ans, sera confronté pour la première fois à un véritable défi dans les urnes lors de l'élection présidentielle de jeudi, face à une opposition qui fait bloc autour de son candidat.
Depuis plusieurs mois, les frustrations nées des difficultés économiques et de la répression des voix dissidentes s'expriment de plus en plus ouvertement dans ce pays anglophone d'Afrique de l'Ouest enclavé dans le territoire du Sénégal, hormis sa façade Atlantique.
Les trois candidats en lice - Yahya Jammeh, Adama Barrow, désigné par une coalition de l'opposition, et Mama Kandeh, ancien député du parti au pouvoir qui se présente sous les couleurs d'une nouvelle formation, tous âgés de 51 ans - achevaient leur campagne électorale mardi.
Jeudi, environ 890.000 Gambiens - sur quelque 2 millions d'habitants - sont appelés à choisir leur nouveau président pour cinq ans au cours d'un scrutin à un tour. Yahya Jammeh, porté au pouvoir par un coup d'Etat en 1994, élu pour la première fois en 1996 puis réélu à trois reprises, s'est dans le passé dit prêt à diriger la Gambie pendant un milliard d'années si Dieu le voulait.
Et certains Gambiens n'ayant quasiment connu que son régime peinent à imaginer un autre président. Mais pour les analystes et l'opposition, c'est la première fois que son pouvoir est sérieusement menacé par un scrutin.
Car malgré les risques permanents d'arrestations, la parole se libère depuis des manifestations en avril pour réclamer des réformes politiques, puis contre la mort en détention de l'opposant Solo Sandeng.
Le chef du principal parti d'opposition, Ousainou Darboe, adversaire de M. Jammeh aux précédents scrutins présidentiels, et une trentaine de co-accusés ont été condamnés en juillet à trois ans de prison ferme pour participation à un rassemblement illégal.
Cette répression a favorisé un rare mouvement d'unité de l'opposition autour d'un candidat commun. "Avec le soutien exceptionnel que nous avons reçu, nous sommes sûrs à plus de 100% de gagner, et avec un large écart", a déclaré M. Darboe à l'AFP mardi.
"Si j'avais un conseil à donner à Jammeh, ce serait d'accepter la volonté du peuple s'il perd", a ajouté Adama Barrow.
- Des billes pour bulletins de vote -
Selon des résidents, la campagne a été marquée par des rassemblements de l'opposition d'une ampleur inédite qui ont galvanisé des catégories sociales auparavant indifférentes ou atones, comme la jeunesse.
"Il n'y a aucune raison de protester" car l'élection ne peut pas être truquée, a déclaré mardi lors de son dernier meeting électoral Yahya Jammeh. Il a d'ailleurs dit que toute manifestation sera interdite après la présidentielle. "Ils (l'opposition) ne gagneront pas", a lancé l'actuel président.
A Banjul, beaucoup croient en l'étoile de M. Barrow, relativement neuf en politique et qui pourrait gouverner de manière collégiale, en rupture avec l'exercice solitaire du pouvoir reproché à M. Jammeh.
"Ses chances sont bonnes car les Gambiens ont beaucoup souffert au cours des cinq dernières années", affirme Mbembe Kuyateh, 25 ans, étudiant. "Politiquement, vous ne pouvez pas exprimer votre point de vue" et ceux qui fuient la crise économique "meurent sur la route de l'émigration clandestine".
Les Gambiens sont la première nationalité par rapport à la population parmi les migrants qui traversent la Méditerranée pour atteindre l'Italie. Durant sa campagne, Yahya Jammeh s'est posé en rempart contre cette émigration clandestine.
"Ceux qui ne veulent pas voir nos enfants finir dans des camps de réfugiés savent pour qui voter", a-t-il déclaré. En dépit des critiques qu'il rejette régulièrement - son régime est accusé par des ONG et certaines chancelleries de disparitions forcées et de harcèlement de la presse et des défenseurs des droits de l'Homme -, Yahya Jammeh compte de nombreux partisans.
Beaucoup de Gambiens portent à son crédit la stabilité du pays dans une région secouée par de fréquents troubles civils et coups d'Etat, et certains progrès, notamment en matière d'éducation et de santé.
Le vote - au moyen de billes à déposer dans des bidons de couleurs différentes, une par candidat - doit débuter jeudi à 08H00 (locale et GMT). Les premiers résultats sont attendus dans la nuit de jeudi à vendredi.
Le scrutin sera supervisé par des observateurs de l'Union africaine, mais en l'absence de représentants de l'Union européenne ou de la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (Cédéao).