L'INTÉGRATION SOUS-RÉGIONALE MENACÉE
En prenant le risque de rompre les liens avec la Cedeao de manière unilatérale et non planifiée, les juntes du Sahel fragilisent l'édifice régional à un moment clef de son histoire, marquée par la montée des périls sécuritaires
Alors que les tensions sont déjà vives au Sahel, marqué par la progression des groupes djihadistes, les régimes militaires issus des coups d'État au Mali, au Burkina Faso et au Niger pourraient mettre en péril plus de trente années de coopération régionale en Afrique de l'Ouest.
En effet, selon une dépêche de l'Agence France Presse (AFP), leur décision conjointe de se retirer de la Communauté économique des États d'Afrique de l'Ouest (Cedeao) "prend le risque de compromettre la libre circulation et repousse le retour des civils au pouvoir" dans ces pays.
Créée en 1975, la Cedeao s'est imposée comme un pilier majeur d'intégration politique, économique et sécuritaire dans la région. Elle garantit notamment aux ressortissants des 15 États membres de circuler librement et de s'établir dans les pays de la communauté.
Or les coups d'État militaires survenus successivement au Mali en 2020 et 2021, au Burkina Faso en janvier 2022, puis au Niger en avril dernier, ont suscité la ferme désapprobation de la Cedeao. Celle-ci a imposé de lourdes sanctions économiques au Mali et au Niger, et menacé même d'une intervention armée dans ce dernier pays.
Le dialogue est aujourd'hui rompu entre l'organisation ouest-africaine et les nouveaux régimes de Bamako, Ouagadougou et Niamey. Ces derniers, qui se sont regroupés au sein de l'Alliance des États du Sahel (AES), accusent la Cedeao d'agir sous l'influence de "puissances étrangères", en premier lieu l'ancienne puissance coloniale française.
Pourtant, les militaires s'étaient engagés à céder le pouvoir aux civils après des périodes de transition courtes, avec des élections prévues au Mali et au Burkina Faso en 2024. Mais ils souhaitent désormais allonger les transitions, arguant de la lutte contre le terrorisme, au risque de "s'éterniser dans les fauteuils présidentiels", selon le quotidien ivoirien Le Patriote.
Au-delà de la remise en cause des échéances électorales, le retrait des trois pays de la Cedeao menace concrètement la liberté de circulation et d'établissement des ressortissants ouest-africains dans la sous-région. Si l'Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa) garantit aussi des échanges fluides, les conséquences seront plus importantes aux frontières du Niger et du Nigeria, géant économique qui n'appartient pas à cette union.
Sur le plan géostratégique, cette fragmentation accrue de l'espace régional "n’est pas une bonne nouvelle pour la stabilité" selon l'expert Fahiraman Rodrigue Koné, alors que les groupes armés progressent au Sahel. Les critiques des trois régimes contre le franc CFA laissent par ailleurs craindre qu'ils ne quittent aussi l'Uemoa, remettant en cause de nombreux acquis de coopération.
En somme, en prenant le risque de rompre les liens avec la Cedeao de manière unilatérale et non planifiée, les juntes du Sahel fragilisent l'édifice régional à un moment clef de son histoire, marquée par la montée des périls sécuritaires. Leurs stratégies divergentes pourraient accélérer le processus de partition de l'espace ouest-africain.