PASSER À PARIS DEVANT LA STATUE DE COLBERT EST UNE MICRO-AGRESSION
Le racisme en France est un héritage de l'histoire du pays. La France a réécrit son passé pour nier ce qu'elle a été. Toutes ces guerres culturelles qui déchirent la France sont typiquement françaises – ENTRETIEN AVEC RAMA YADE
Wokisme, cancel culture, Me too... L'ex-secrétaire d'Etat de Sarkozy expatriée à Washington fait siens ces combats. Et jette sur la France un regard sévère. Surprenant.
A l'heure où les batailles identitaires et culturelles grondent aux Etats-Unis et en France, nous avons voulu interroger celle que les Américains présentent comme la "première femme afro-descendante nommée ministre en France". Rama Yade, aujourd'hui âgée de 44 ans, s'est installée à Washington il y a trois ans. De 2007 à 2010, elle fut successivement secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères et aux droits de l'homme, puis chargée des Sports dans un gouvernement de droite durant le quinquennat de Nicolas Sarkozy. Si les optimistes considèrent encore sa nomination comme une avancée, elle, assure qu'elle était "une licorne, une anomalie". Et tempête : "Dès que j'ai passé la porte, on l'a fermée derrière moi." Rama Yade ne veut plus "rassurer la France sur ce qu'elle est". Désormais, Rama Yade brandit une conscience militante des discriminations raciales et sexuelles et considère que nier qu'en France "le racisme est partout a précipité notre pays dans les graves périls actuels". Elle définit le wokisme comme "un noble combat de justice et de revendication d'égalité dont devrait s'enorgueillir la patrie des droits de l'homme". Entretien musclé.
L'EXPRESS : Vous vivez aux Etats-Unis depuis 3 ans, observez-vous un recul de la liberté de penser, pour reprendre les termes de Yascha Mounk ?
Rama Yade : Oui, j'ai vécu la période qui va de la fin de la présidence Trump à l'arrivée de la présidence Biden, les tensions ont été fortes, à commencer par les tensions raciales symbolisées d'abord par la mort de George Floyd. Actuellement, se tient en Géorgie le procès de trois suprémacistes blancs accusés du meurtre d'un jeune homme noir, Ahmaud Arbery. Je m'installe à Washington à un moment où les obsessions identitaires n'ont jamais été aussi fortes, et où l'opposition républicains contre démocrates n'a jamais été aussi radicale. Des mouvements comme QAnon sont considérés comme potentiellement terroristes par le FBI. Les Proud boys, prêts à en découdre après une élection présidentielle dont ils refusaient le résultat, étaient dans les rues de Washington il y a encore quelques mois à tel point que le consulat français nous demandait de ne pas sortir pendant qu'ils manifestaient. Je n'ai jamais eu peur de marcher dans la rue mais c'est un contexte qu'il faut avoir en tête.
Trois quarts des électeurs de Donald Trump continuent de considérer que Joe Biden n'est pas légitime. Ils ont un esprit de revanche, non seulement contre l'élection de Biden mais aussi - ça remonte à loin - contre l'élection d'Obama.
Au-delà des tensions raciales, c'est aussi la question des libertés qui se pose. La Cour suprême compte six juges conservateurs sur neuf, dont trois nommés par Donald Trump : regardez ce qui se passe au Texas avec la loi anti-avortement... Les lois restrictives se sont multipliées. Nous sommes dans un moment de tensions à tous les étages avec des menaces permanentes sur la première démocratie du monde.
Les batailles identitaires donnent aussi lieu à une forme de censure. On a vu récemment de plus en plus de personnes critiquées, lynchées médiatiquement ou sur les réseaux sociaux, et parfois licenciées à cause d'opinions n'allant pas dans le sens des combats idéologiques de l'époque, d'après leurs détracteurs. La conférence d'un géophysicien a été annulée par le MIT parce qu'il s'était exprimé contre la discrimination positive, la journaliste Bari Weiss a quitté le New York Times en dénonçant "l'auto-censure devenue la norme"... Cela ne vous inquiète pas ?
Ici, je ne fais pas de politique, je ne suis pas démocrate ou républicaine, je suis davantage dans la position d'un chercheur en relations internationales. Mais je ne partage pas du tout ces craintes, ces crispations devant ce qu'on a appelé le mouvement woke ou la cancel culture. Black lives matter est un mouvement salutaire car il a rappelé, pour la déplorer, la persistance des catégorisations raciales aux Etats-Unis. Elles structurent les relations sociales depuis plusieurs siècles et continuent à peser dans le marché du travail, dans la santé où les femmes noires sont encore trop nombreuses à mourir en couches, dans l'incarcération de masse. Comment se fait-il que les hommes noirs qui constituent 8% de la population soient 40 % à occuper les prisons américaines, comme le demande Michelle Alexander dans son best-seller The New Jim Crow ? Un jeune noir sur 3 connaîtra la prison au cours de sa vie contre 1 blanc sur 17. Comment se fait-il qu'ils représentent la majorité des populations infectées par le Covid ? Rien que ces deux exemples justifient #BLM. La mort de George Floyd a été un ultime détonateur dans ce réveil, et ce n'est pas seulement une prise de conscience des Afro-américains, c'est aussi celle du reste de la population. Le nombre de victimes des violences policières est important ici, c'est une réalité quotidienne. Et c'est ce qui provoque l'indignation et des manifestations. Une nouvelle génération veut remettre en cause la manière dont cette société fonctionne.
Le wokisme a été brandi de manière abusive comme un outil de censure. En réalité, c'est juste le refus des discriminations. Ce n'est quand même pas honteux de combattre les inégalités ! Quel que ce soit le nom que vous lui donnez, c'est un noble combat, de justice et de revendication d'égalité dont devrait s'enorgueillir la patrie des droits de l'homme. Car ce mouvement qu'on dénonce comme une importation américaine nous vient bien de France, de la French Theory qui en effet a infusé dans les universités américaines : de Lacan à Foucault, ce sont des penseurs français qui ont inspiré le mouvement woke ! Soyons-en fiers en tant que Français !
Mais ce mouvement ne porte-t-il pas en lui des dérives ? Quand "Alma", le très beau roman de Timothée de Fombelle sur une petite fille noire au temps de l'esclavage est interdit de parution aux Etats-Unis sous prétexte que l'auteur pècherait par "appropriation culturelle", vous trouvez que c'est un progrès ?
Je regrette vraiment ce genre d'abus. Un homme blanc âgé peut tout à fait se mettre dans la peau d'une petite fille noire et en faire le récit. C'est la magie de la littérature, de la création. La revendication d'égalité, ce n'est pas le séparatisme, la sécession, la justice par l'injustice, c'est l'universel, le partage d'humanité.
Vous avez vécu longtemps en France qui a pour modèle - certes, parfois défaillant - l'universalisme républicain. A présent, vous vivez aux Etats-Unis où le multiculturalisme et le communautarisme sont des "way of life". Quel modèle préférez-vous ?
Aucun des deux ! Et je ne ferai pas la réponse qui rassure la France sur ce qu'elle est. Nous sommes à un moment où le risque de basculement est tel qu'il me paraît primordial que nous parvenions à nous dire les choses. Prétendre que les races n'existent pas en France alors que le racisme est partout a précipité notre pays dans les graves périls actuels. Les gens se disent toujours anti-racistes mais les élites sont quasiment toutes blanches.
Le contrôle au faciès existe. Mais on nie. On dit qu'il ne faut pas comparer la France et les Etats-Unis, que ce n'est pas la même histoire, pas le même modèle de société : et l'esclavage alors ? La France a été esclavagiste comme les Etats-Unis. Elle a enlevé et transporté de force des Africains sur son sol. Leurs descendants vivent en métropole et dans les Antilles. La France a réécrit son passé pour nier ce qu'elle a été. Le racisme en France n'a pas été importé des Etats-Unis, c'est un héritage de sa propre histoire. En niant l'évidence, on refuse de voir et donc de résoudre les problèmes. La négation amène à ne proposer comme réponse que la répression. Ici, une enquête parlementaire sur "les dérives dans les universités", là on dénonce la cassure de la République en deux. Mais il va falloir se regarder en face et se demander pourquoi on en est arrivé là.
Regardez le sujet des violences policières. C'est typique ! On dit: "On n'est pas l'Amérique", "ça n'existe pas", "ce sont des faits isolés", et quelle est la réponse qu'on y apporte ? A part dire qu'il ne faut pas stigmatiser la police, on ne fait rien ! En niant le problème, on s'interdit d'agir et la situation empire.
Quant aux Américains, accusés de nos maux, qu'ont-ils fait à la France à part la libérer de l'occupant nazi comme les tirailleurs sénégalais d'ailleurs ? Wokisme, cancel culture... Nous ne pouvons que nous en prendre à nous-mêmes. Plutôt que de nous approprier ces mots pour les revendiquer ou les dénoncer, nous aurions dû développer nos propres outils de pensée, nos propres référentiels. Mais, n'ayant pas voulu voir nos problèmes, nous n'avons même pas nos propres mots pour les dire alors que la langue française est bien plus riche que l'américain.
Toutes ces guerres culturelles qui déchirent la France sont typiquement françaises et, en le disant, je ne suis pas sous influence américaine !
Donc il faut repenser notre modèle universaliste selon vous ? Créer un wokisme à la française, accepter d'essentialiser les individus ?
Parlons enfin de ces sujets. Il faut des Black studies dans les universités françaises pour que nos intellectuels, professeurs, chercheurs puissent développer une réflexion bien française sur ces thématiques-là. On évitera peut-être de condamner le racisme dans les mots mais de rester passifs lorsqu'il vient des institutions. La nature profonde de l'universalisme doit être l'antiracisme. Or, on marche sur la tête : beaucoup de soi-disant républicains français ne manifestent même plus contre le visage de la haine raciale, contre Eric Zemmour comme hier ils manifestaient contre Le Pen qui n'en disait pas tant. Au fond, je trouve qu'il n'y a rien de plus républicain que le mouvement Black lives matter et le mouvement Me too. Quand leurs procureurs, ceux qui prétendent incarner la République dans toute sa rigueur, ne font que critiquer la liberté et l'égalité. Comme hier la trahison des clercs, on assiste désormais à la trahison des Républicains qui n'ont pas conservé l'antiracisme au coeur de leur logiciel. C'est sur cette démission que prospèrent ceux qu'on appelle désormais pudiquement les populistes.
Le privilège blanc existe en France selon vous ?
Il existe, j'aurais tellement voulu dire autre chose... Mais il existe, vous en bénéficiez ! Si un emploi vous échappe, il ne vous viendrait pas à l'esprit de vous demander si c'est à cause de votre couleur. C'est cela le privilège. Sans rien demander, ou même sans le savoir, certaines opportunités vous sont offertes. Moi, sans rien demander, certaines portes me sont fermées. Je ne dis pas que vous êtes responsable de ce privilège blanc. Vous en avez hérité mais vous en devenez responsable à partir du moment où, ayant pris conscience de cela, vous ne faites rien et en bénéficiez tranquillement.
Il faut lire le grand historien afro-américain Ibram X. Kendi qui explique très bien qu'il n'y a rien de plus difficile que d'être antiraciste. Pendant que le raciste lui, nie tout, le coeur de l'antiracisme, c'est l'aveu : reconnaître les inégalités raciales, se dire que si on a plus en tant que blanc, ce n'est pas seulement parce qu'on est plus ou parce qu'on a pu travailler dur mais parce que la société nous a donné des opportunités que d'autres n'avaient pas, et ensuite se mobiliser pour que ces différences d'opportunités cessent. C'est un cheminement difficile à emprunter pour beaucoup de gens. C'est pour cela, oui, qu'il n'y a rien de plus dur qu'être antiraciste.
On pourrait vous rétorquer que vous avez été nommée secrétaire d'Etat en France dans un gouvernement de droite.
Mais j'étais une licorne ! J'étais une anomalie, pas du tout un prototype. Combien depuis ? Et les discriminations, ont-elles disparu ? Dès que j'ai passé la porte, on l'a fermée derrière moi. Certains ont pensé : c'est bon, on a Rama, le problème est réglé. Il est resté entier, plus grand que jamais.
Ici, à Washington, quand on me présente, on dit toujours "première femme afro-descendante nommée ministre en France", et là je comprends que certains Américains ont une vision vraiment terrible de notre pays, ils ne comprennent même pas comment ma nomination a pu être possible. Comme si ce qui se passe tous les jours dans l'administration US était impossible en France. Je suis toujours étonnée et déçue de constater la surprise que crée le récit de mon parcours. Mais je suis bien obligée de constater que depuis mon départ du gouvernement, les Afro-descendants ne courent pas les gouvernements. A l'image d'une élite politique qui s'est incroyablement durcie.
Je sais ce que sont les micro-agressions qui humilient et déshumanisent, je n'en ai pas trop témoigné car j'ai privilégié le travail, une approche universaliste, rassurer le pays sur lui-même, nous encourager collectivement. Avec nous le Front national était à 6% ! Et j'étais si fière de nous représenter sur la scène internationale sans rien sacrifier de mon inquiétude pour ceux qui me ressemblaient, comme lorsque je suis allée soutenir ceux qu'on avait appelé les squatteurs d'Aubervilliers. Il ne s'agit pas ici de faire le procès de la France. L'aimer, c'est toujours lui rappeler son idéal humaniste.
Et le racisme anti-blanc que certains dénoncent, est-ce une réalité ou une construction ?
Il ne s'agit pas de nier quand certaines personnes disent qu'ils se font traiter de "sales blancs" dans certains quartiers. Mais je suis désolée de vous dire que ce n'est pas cela, le racisme anti-blanc. Comme le dit Eric Fassin, il n'y pas de racisme sans domination. Il n'y a jamais eu en France un système de ségrégation raciale envers les Blancs.
Vous évoquiez ensemble la lutte antiraciste et le combat pour le féminisme, vous ne faites donc pas partie de ceux qui considèrent que l'intersectionnalité fragmente les luttes ?
Intersectionnalité, wokisme... C'est tellement dommage, on aurait pu, nous, Français, inventer nos propres concepts et y apporter nos propres réponses. Encore une fois, voilà où le déni nous a conduits : s'appuyer sur des références étrangères pour dire nos réalités. Ce n'est pas si grave : on sait que ces réalités ne sont pas si éloignées ! L'intersectionnalité est une notion qui a émergé à la fin des années 80 grâce à Kimberlé Crenshaw, une juriste américaine. A Washington, j'ai rencontré des femmes américaines blanches très puissantes, je les ai vues être servies au restaurant par des serveurs noirs, tout en se plaignant de leur condition de femme. Cette expérience m'a plongée dans des abîmes de perplexité : au milieu de cette assemblée, devais-je me positionner en tant que femme et être solidaire de ces femmes blanches riches américaines ou m'identifier en tant que Noire aux serveurs ? L'intersectionnalité c'est cela, être dans le cumul des discriminations, ne pas avoir à choisir, embrasser toute la réalité des inégalités et des combats qui vont avec. On avait des mots pour dire cela en France, avant, c'était l'égalité et l'universalisme.
Mais en opposant l'antiracisme et l'universalisme, en enlevant au combat universaliste son coeur antiraciste, certains soi-disant Républicains ont confisqué la République pour eux. Voilà la ligne de fracture sur laquelle on a placé la société française. Elisabeth Badinter et Rokhaya Diallo auraient dû être dans le même camp, mener le même combat, celui de l'universel antiraciste. Aujourd'hui, elles s'invectivent publiquement sous les applaudissements des masculinistes racistes.
Sylvie Kauffmann écrivait dans Le Monde que BLM, Me too, qu'on accuse de nous tirer vers le bas, de nous fragiliser, redonnent en fait vie à un transatlantisme moribond. Entre les USA et la France, c'est politiquement compliqué depuis l'affaire des sous-marins mais une convergence, plus puissante, culturelle cette fois, existe et reprend des couleurs grâce à ces mouvements. Il faut être fiers de ces gamins qui manifestent pour l'égalité au nom des valeurs des Lumières.
Faut-il aussi être fier de ceux qui déboulonnent des statues ?
Passer à Paris devant la figure de Colbert, ce grand ennemi de la liberté, dont la statue est devant l'Assemblée nationale, est une de ces micro-agressions dont je parlais. Pas seulement vis-à-vis de moi mais aussi vis-à-vis de la France et de l'humanité.
Le problème n'est pas de supprimer ces statues, il faut arrêter de les célébrer dans les rues, le métro et les palais de la République, et mieux les connaître ! Je ne suis pas sûre que les Belges savent que Leopold dont la statue est partout dans le pays a causé la mort de 10 millions d'Africains. Et Faidherbe... Ceux qui ont déboulonné ces statues n'ont pas fait de cancel culture, au contraire : ils ont réhabilité l'histoire, la totalité de l'histoire qu'ils connaissent bien, eux, au moins, celle que la mémoire sélective de certains de nos dirigeants a voulu dissimuler. En fait, ce sont eux qui ont fait de la cancel culture en empêchant les Français et les Européens de connaître l'histoire de ces soi-disant héros. Pourquoi avoir fait ces choix, avoir pendant si longtemps préféré Faidherbe à Solitude ? Pourquoi nous obliger à apprendre la vraie histoire dans la clandestinité plutôt qu'à l'école ? Dans les familles, on vit avec deux histoires de France parallèles, il faut faire converger ces deux histoires.
Selon la philosophe Sabine Prokhoris, le néo-féminisme avec son approche victimaire ouvre la voie à un "retour de bâton réactionnaire" incarné par Zemmour....
Derrière ces attaques, on trouve beaucoup d'hommes souvent venus d'un autre temps et nostalgiques de l'époque où ils pouvaient tranquillement dominer les femmes et moquer les Noirs. Ils ne supportent pas que les dominés s'expriment enfin. Tant que les violences faites aux femmes existent, le combat pour l'égalité est légitime.
Ces hommes qui critiquent le mouvement féministe ont des femmes, des soeurs, des mères, ils devraient être les premiers à comprendre. Je ne dis pas que tout le monde est obligé d'être d'accord, mais ces femmes qui se désolidarisent des luttes pour l'égalité, à défaut de soutenir le combat contre les violences, qu'au moins elles ne nous empêchent pas de mener le travail pour l'égalité. On ne leur en voudra pas quand demain elles en bénéficieront...
Que dit Eric Zemmour de la société française, de quoi est-il le symptôme ?
Du néant. Lui-même dit que c'est la baisse du niveau politique qui a permis sa percée médiatique du moment. Je me désole que le pays soit si malheureux. Les débats de société sont brouillons, il y a une absence d'espérance, de manque de maîtrise de la destinée du pays, le spasme est interminable, je pense que notre pays mérite mieux que ce qu'il est devenu. On a eu Donald Trump aux Etats-Unis et on a toujours Donald Trump. Les Républicains viennent de regagner la Virginie. Des Républicains anti-Trump abandonnent car ils savent qu'ils ne pourront pas être réélus sans lui. Ce n'était pas une parenthèse, les Américains savent le prix de ça, c'est l'attaque du 6 janvier sur le Congrès, les menaces sur la démocratie, j'espère que les Français réagiront à temps.
Maintenant, avec les réseaux sociaux, nul besoin d'attendre 10 ans pour que ce qui se passe aux USA traverse l'Atlantique pour arriver en Europe. J'ai envie de dire à la France : regardez comment tout cela va finir si nous ne faisons rien. La Boétie avait dit : "Les tyrans ne sont grands que parce que nous sommes à genoux." Le pouvoir n'est pas chez des gens comme Zemmour, il est en chaque Français.
Avez-vous encore une carte dans un parti politique français ?
Dans mon engagement politique, j'ai passé plus de temps sans carte qu'avec une carte. J'ai été adhérente de l'UMP de 2007 à 2010.
Quel regard portez-vous sur le congrès de votre ancienne famille politique ?
L'époque des grands fauves est révolue, certes... Là aussi, la confusion règne. On a voulu importer les primaires américaines. Sauf qu'ils n'ont pas très bien compris leur fonctionnement. Une vraie primaire, c'est un vote limité à des adhérents qui avaient déjà leur carte, pas ouvert à de nouveaux électeurs qui viennent d'on ne sait où pour troubler le jeu.
Mais je vais vous dire : la crise démocratique et de confiance est telle que si la droite est au second tour, elle a de sérieuses chances de gagner. Mais à condition qu'elle reste unie et qu'elle comprenne que son problème, c'est moins le président sortant que l'extrême droite et donc qu'elle s'en différencie de toute urgence.
J'ai fait partie de cette épopée extraordinaire de 2007, où un candidat mal aimé de sa famille politique au point qu'on lui prêtait un passeport américain - autant dire l'horreur !- mais qui avait 30 ans d'expérience politique et qui avait réussi par la grâce de son "sang mêlé" et sa puissance de conviction à être élu avec plus de 90 % des voix au cours d'un Congrès (limité aux adhérents de l'UMP !) survolté, s'offrant ainsi une entrée en campagne restée dans le annales. Je crois que ça devrait être cela la vraie primaire des LR. Qu'on laisse chacun mener campagne et que le meilleur gagne.
La France vous manque ?
Le pays me manque beaucoup. Être expatriée aux USA, c'est aussi courir les librairies et les boulangeries françaises, on fréquente le marché français de Georgetown où on a le plaisir d'entendre Edith Piaf chanter, c'est décalé et littéralement extraordinaire.
Quand je vais avec ma fille au playground, tant que je passe pour une africaine américaine, l'accueil est poli, mais dès qu'on apprend que je suis française tout change, donc je ne me sens jamais aussi française qu'à Washington ! Mais encore une fois, aimer la France c'est lui rappeler son humanisme. La France continue à rester une référence sur la scène internationale, la déception de nos interlocuteurs est de plus en plus grande mais il reste encore quelque chose de l'idéal français. C'est toutes ces histoires dont on vient de parler qui nous affaiblissent, et je regrette qu'on ne s'en rende pas compte.
Emmanuel Macron a pourtant tenté de faire un travail de pédagogie sur le modèle français notamment auprès de la presse américaine...
S'il n'a pas convaincu, c'est parce que ne s'agissait que de mots, d'explications défensives, là où l'on attendait une vision d'avenir, des solutions opérationnelles. Depuis, la fracture identitaire s'est refermée sur le pays. Avec Twitter et Youtube, la parole politique, fut-elle présidentielle, n'a plus la même force de conviction qu'avant. La réalité est tellement radicalisée : seuls les résultats comptent désormais.