«POURQUOI LE SENEGAL S’EST MONTRE PLUS RADICAL QUE LES ARABES»
PAUL HIRSCHSON, AMBASSADEUR D’ISRAËL AU SENEGAL SUR LA RESOLUTION ANTI COLONISATION
Fin de la brouille entre Dakar et Tel Aviv née de l'adoption de la résolution des Nations Unies dénonçant la colonisation israélienne dans les territoires palestiniens occupés. Rappelé in extremis en Israël, l'ambassadeur Paul Hirschson est de retour au Sénégal avec une lettre de mission, visiblement plus dense. Dans l'entretien qu'il a accordé à "L'As", le diplomate revient sur l'incident diplomatique pour marquer son étonnement de voir le Sénégal plus radical que même les arabes. Il décline également sa feuille et la grande offensive de l'Etat hébreu sur le contient Africain.
L'As : Sur quelles bases renouez-vous avec le Sénégal après la dernière crise diplomatique?
Ce sera peut-être sur de nouvelles bases. Nous avons des relations officielles qui durent depuis l'accession du Sénégal à la souveraineté internationale. Et cela a été une surprise de voir le Sénégal rejoindre un petit groupe de pays pour proposer une résolution anti-israélienne. La réunion des chefs d'Etat de la Cedeao tenue, il y a dix jours à Monrovia, a permis aux deux pays d'échanger et de se rendre compte que leurs relations sont très capitales pour les deux Etats. Cela a été clair entre Macky Sall et Benyamin Netanyahou. Par ailleurs, il faut relever que les déclarations du Sénégal supportant la candidature de l'Israël au poste de membre d'observateur de l'Union Africaine ont été déterminantes. C'est est un geste qui nous a beaucoup marqué.
C'est cela qui vous a fait changer d'avis ?
Je pense que c'était très important. Le Sénégal a dit en public qu'il nous supporte. Je pense que oui. C'est une déclaration positive. Il faut dire que des deux côtés, chaque pays a besoin d'avoir de bonnes relations avec l'autre.
Qui a fait le premier pas ?
Depuis 60 ans, nous ne cessons de dialoguer avec le Sénégal. Avant de quitter le Sénégal en décembre dernier, il y a eu beaucoup d'officiels qui m'ont approché pour me faire savoir qu'ils n'aimeraient pas que je quitte le Sénégal. Et qu'ils allaient vite trouver des solutions à cette crise. Je ne peux pas dire que c'est moi qui ai fait le premier pas ou le Directeur du département Afrique en Israël ou bien le Secrétaire général ou le ministre. Je ne sais pas qui est derrière. Je pense que des deux côtés, nous nous sommes rendu compte de l'importance de renouer les relations.
En tant que Président en exercice du Comité pour l'exercice des droits inaliénables du Peuple Palestinien depuis sa création en 1975, le Sénégal pouvait-il ne pas soutenir cette initiative ?
Nous n'avons pas de problèmes si le Sénégal décide de soutenir le peuple palestinien. Mais nous ne comprenons pas pourquoi le Sénégal doit être plus extrême sur ce sujet que les arabes. Alors que certains pays arabes sont de plus en plus modérés sur cette question. Aujourd'hui, presque tout le monde arabe ; principalement
les Palestiniens veulent travailler avec Israël. La coopération sécuritaire entre Israéliens et Palestiniens est meilleure que la coopération sécuritaire entre le Sénégal et ses voisins. Chaque jour, on compte de nouvelles coopérations entre Israël et Palestine. Nous ne comprenons pas pourquoi le Sénégal doit être plus extrême que les Palestiniens sur ce sujet. Le Sénégal doit faire ce qui est conforme à ses intérêts. Aujourd'hui, entre nous et l'Egypte, il y a un partenariat stratégique. De même qu'entre nous et la Jordanie. Nous entretenons aussi des relations économiques fructueuses avec beaucoup de pays arabes, y compris ceux avec qui nous n'avons pas de relations diplomatiques. Nous demandons juste au Sénégal de faire ce qui va de son intérêt.
Israël n'a pas été du tout tendre avec le Sénégal en prenant une série de mesures de rétorsion qu'on peut qualifier de sanctions. Est-ce que la situation est revenue à la normale?
La situation est déjà redevenue à la normale depuis la rencontre de Monrovia. Il faut souligner que pendant les cinq derniers mois, 80% des activités économiques entre les deux pays se sont poursuivies normalement. Les hommes d'affaires, de part et d'autre, ont continué à visiter les deux pays ; bien qu'il y ait eu brouille entre les deux gouvernements (…). Aujourd'hui, il est difficile de mesurer les conséquences économiques de cette rupture diplomatique. Nous avons perdu quelques mois avec ce coup de froid. Mais dans les perspectives historiques quelques mois, ce n'est pas beaucoup. L'ambassade a continué de travailler. Nous intervenons aussi dans la sous-région. Nous devons travailler ensemble. Nous pensons qu'il est plus facile d'exporter la stabilité que d'importer l'instabilité.
Qu'en est-il exactement de la coopération sénégalo-israélienne après la période de brouille entre les deux Etats ?
Nous ne voulons plus utiliser le mot coopération. Elle est l'illustration des mauvaises relations entre l'Afrique et les Européens. Quand vous voyez la courbe de développement des pays africains, vous verrez que cela ne marche pas. Nous ne pouvons pas nous comporter comme les Européens. Nous avons beaucoup de similitudes avec les pays africains. Nous avons connu l'expérience de la colonisation, la famine et la guerre. L'année dernière, nous avons formé près de 1300 fermiers. Ils ont eu à bénéficier de formations de qualité. Nous allons renouveler ce programme. Mais, je pense que dans les relations bilatérales, les deux parties doivent sortir gagnantes. Le premier secteur est l'agriculture qui occupe près de 70% de la population sénégalaise. Nos deux pays ne sont pas désertiques, mais vivent à côté de zone désertique. Et nous avons le même type d'agriculture qui est l'agriculture familiale. Des secteurs comme l'agriculture, l'hydraulique, la sécurité, les télécommunications et l'énergie sont des domaines que nous pouvons explorer. Par ailleurs, il est ressorti lors du dernier Sommet de la Cedeao qu'Israël va investir dans le secteur des énergies renouvelables. Nous avons une expertise dans des secteurs dont vous avez de réels besoins. Mais ces efforts doivent être faits en commun pour le bien de nos deux pays.
Qu'est ce que vous attendez réellement du Sénégal ?
Depuis que je suis arrivé au Sénégal, il y a plus de 2 ans, j'ai remarqué que des efforts ont été faits dans l'exportation de produits halieutiques en Israël. Aujourd'hui, dans les restaurants à Tel Aviv, on peut déguster des poissons venant du Sénégal. L'ambassadeur du Sénégal en Israël va bientôt présenter ses lettres de créances. Et il lui reviendra de présenter les opportunités d'affaires qui existent au Sénégal aux investisseurs israéliens. L'économie d'Israël est occupée, à plus de 60%, par le secteur des Technologies. Il y a beaucoup de potentialités à explorer dans les deux pays. Chaque année, près de 500 Sénégalais visitent Israël. Lors de la dernière biennale, une soixantaine d'artistes israéliens sont venus visiter le Sénégal. Les choses sont plus difficiles pour le Sénégal qui n'a pas d'ambassadeur résident en Israël contrairement à nous.
On a noté ces derniers temps une offensive diplomatique israélienne en Afrique. Toutefois, des pays comme le Maroc et le Niger ont refusé d'assister au sommet de la Cedeao en présence du Premier ministre Benyamin Netanyahu. Quel commentaire en faites-vous ?
Tout le monde sait que la participation à ce sommet de la Cedeao à Monrovia (Libéria) n'était pas dans l'agenda du roi du Maroc. J'étais à Monrovia avec 12 des 15 Présidents de la Cedeao. Le Président Mouhamadou Buhari du Nigeria était malade et se trouvait à Londres. Je ne sais pas pourquoi le Président du Benin Patrice Talon et celui du Niger ne sont pas venus. Tout le reste, y compris le Mali qui n'a pas de relations diplomatiques avec Israël, a participé à ce sommet. L'Afrique est constituée de 57 pays et c'est une relation très importante pour nous.
Le Sommet Israël-Afrique est prévu en Octobre prochain à Lomé. Qu'est-ce que le Sénégal peut attendre de cette rencontre ?
C'est l'idée du Président du Togo d'abriter ce sommet. J'espère que dans le futur, le sommet Israël-Afrique va se tenir à Dakar. Je pense que c'était une erreur de ne pas développer des relations avec tous les pays africains. Nous avons des relations étroites avec certains pays africains comme l'Egypte et l'Afrique du Sud. Nous faisons 40% de nos échanges avec ce pays. Notre deuxième partenaire économique est l'Egypte avec près de 30% et le tiers restant est reparti entre les autres pays africains. Nous avons aussi des relations très fortes avec l'Ethiopie, le Kenya et l'Ouganda.
Benjamin Netanyahu a annoncé un plan d'investissements d'un milliard de dollars. Qu'en est-il exactement ?
Le secteur privé israélien veut financer la somme d'un milliard de dollars d'activités dans des secteurs comme l'Energie solaire. Ils ont déjà signé avec le Liberia pendant le sommet de Monrovia. Si le secteur privé en Israël voit le Premier ministre Netanyahu s'intéresser à l'Afrique, ils vont s'impliquer davantage en Afrique. Le Sénégal est un pays stable et très important en Afrique. Et il a un atout indéniable.
Est-ce que le Sénégal va bénéficier de l'expertise israélienne dans le domaine de la sécurité ?
Nous pouvons échanger sans difficulté des deux cotés. Nous avons beaucoup d'expériences dans le domaine de la sécurité. Nous vivons avec la terreur. Sur la carte de l'Afrique, les foyers de tensions sont nombreux. Les groupes terroristes comme El Shebab (Somalie), Daech (Libye) et Boko Haram (Nigeria) sont très actifs. Il n'y a pas de frontières en Afrique. Les sujets de terreur sont nombreux. J'ai visité près de 20 pays africains. Mais je n'y ai pas découvert le discours intellectuel qui existe au Sénégal. Je pense qu'il n'existe pas de futur pour le modèle de coopération qui s'est établi jusque-la en Afrique. Cela dépend du développement économique.