RÉVÉLATIONS SUR LES CRIMES COLONIAUX FRANÇAIS
Le journaliste Daniel Schneidermann soulève dans son essai "Cinq têtes coupées. Massacres coloniaux : enquête sur la fabrication de l'oubli", les mécanismes de l'amnésie collective qui affecte la France à propos des exactions de la période coloniale
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Dans un court essai intitulé "Cinq têtes coupées. Massacres coloniaux : enquête sur la fabrication de l'oubli", le journaliste Daniel Schneidermann soulève les mécanismes de l'amnésie collective qui affecte la France concernant les crimes commis lors de la conquête coloniale. Publié en extrait par Afrique XXI, cet ouvrage percutant remet en question la conscience collective de la France contemporaine ainsi que la censure exercée dans le passé à l'égard des atrocités de la colonisation.
Dans son livre, publié aux éditions du Seuil le 6 octobre 2023, Daniel Schneidermann, journaliste de 65 ans connu en France pour avoir créé et animé l'émission de critique télévisuelle "Arrêt sur images" dans les années 1990, puis pour avoir fondé le site du même nom, interroge l'inconscient collectif français d'aujourd'hui ainsi que la censure passée concernant les crimes coloniaux. Interrogé par Afrique XXI, il déclare : "Au fil de mes découvertes, je me suis demandé comment ça se faisait que j'ignorais tout cela. Il y a certes eu une omerta organisée à l'époque, et une censure d'État. Mais aujourd'hui, elle est levée. Les archives sont disponibles. Pourtant, alors qu'il y a eu un travail de mémoire sur la traite négrière, il n'y a rien eu sur la conquête coloniale."
Entre la vulgarisation de faits historiques tels que les massacres de la colonne Voulet-Chanoine, la conquête coloniale de Louis Archinard, la censure du rapport Brazza, ainsi que le célèbre débat entre Georges Clemenceau et Jules Ferry à l'Assemblée nationale en 1885, et la réflexion sur son propre parcours, l'auteur se remémore ses lectures d'enfance, notamment Tintin et Macoco, qui l'ont familiarisé avec l'univers colonial. Schneidermann, ancien journaliste du quotidien français Le Monde et chroniqueur dans le journal Libération, pointe du doigt l'amnésie collective qui frappe la France quant à ses crimes coloniaux.
Ironiquement, c'est au musée de l'Armée à Paris, situé dans le quartier où l'auteur a passé son enfance, qu'il a pris conscience de cette réalité. C'était en 2022, et il décrit la scène dès le début de son livre : "Au musée de l'Armée, un Noir assis par terre tient une calebasse. Cinq têtes coupées de Noirs sont posées devant lui. Cette disposition : on dirait qu'il est venu les vendre au marché. La photo est accrochée un peu en hauteur, en retrait. Elle a été prise à Bakel, au Sénégal, et les têtes, explique la légende, sont celles de prisonniers capturés parmi les fuyards des bandes d'Ahmadou Tall. J'aurais tout aussi bien pu la rater. Et même, j'aurais dû. C'était dans l'ordre des choses. Seul le hasard en est responsable."
Cette photographie, publiée dans le magazine français L'Illustration le 11 avril 1891 sans intention de dénoncer ce crime, intrigue et choque profondément le journaliste. Dès lors, il se lance dans une enquête pour retracer l'histoire de cette image, mais aussi pour comprendre pourquoi elle n'a pas suscité de controverse à l'époque, et surtout, pourquoi la barbarie coloniale qu'elle documente est tombée dans l'oubli collectif depuis lors. Il découvrira des faits ignorés jusqu'alors, tels que la répétition des massacres de masse, les crimes impunis, les enfumades et les mutilations.
À travers cet essai percutant, Schneidermann s'adresse à tous ceux qui méconnaissent ce lourd passé, notamment à ses connaissances auxquelles il demandait, au fur et à mesure de ses découvertes, s'ils connaissaient telle ou telle histoire, et qui répondaient invariablement par la négative. Des noms tels que Pierre Savorgnan de Brazza ou les capitaines Voulet et Chanoine leur étaient totalement étrangers.
Afrique XXI publie donc un des chapitres de cet ouvrage marquant, intitulé "Un minimum de formes", dans lequel l'auteur établit le constat suivant : à la fin du XIXe siècle, les crimes commis lors de la conquête coloniale n'étaient pas tous passés sous silence, certains étaient connus, mais ils ne suscitaient guère d'indignation. Comme si ces événements lointains ne relevaient pas de la responsabilité collective des Français.
Avec cette investigation courageuse, Daniel Schneidermann met en lumière une page sombre de l'histoire française qui a été occultée pendant trop longtemps. Son essai nous invite à revisiter notre passé colonial et à questionner notre responsabilité collective dans ces crimes. Il rappelle que la mémoire collective ne peut être sélective et que la vérité historique doit être confrontée, même si cela implique de remettre en cause des représentations et des narrations établies.
"Cinq têtes coupées. Massacres coloniaux : enquête sur la fabrication de l'oubli" est un ouvrage essentiel pour tous ceux et celles qui aspirent à une compréhension approfondie de l'histoire coloniale et de ses conséquences. Il nous rappelle que la véritable réconciliation avec notre passé exige de regarder en face les horreurs commises au nom de la colonisation.
La publication de cet extrait dans Afrique XXI marque une étape importante dans la diffusion de ces connaissances et dans la poursuite d'un dialogue ouvert sur notre histoire commune. Espérons que cette enquête incitera davantage de personnes à explorer les pages longtemps oubliées de notre passé colonial et à réfléchir aux implications de ces atrocités sur notre société contemporaine.