VIDEOSIMONE GBAGBO À LA BARRE
Elle comparaît cette fois pour crimes contre l'humanité

Abidjan, 31 mai 2016 (AFP) - L'ex-Première dame de Côte d'Ivoire Simone Gbagbo a rejeté toutes les charges mardi au premier jour de son procès pour crimes contre l'humanité à Abidjan.
La cour d'assises juge l'épouse de l'ex-président Laurent Gbagbo, âgée de 66 ans, pour crimes contre l'humanité, crimes contre les prisonniers de guerre et crimes contre les populations civiles, commis lors de la crise postélectorale de 2010-2011, qui a fait plus de 3.000 morts en cinq mois.
Plusieurs organisations de défense des droits de l'homme se sont retirées du procès, dénonçant leur marginalisation dans la procédure.
En tunique rose et blanche élégante et longs cheveux tressés, Mme Gbagbo arborait un grand sourire à son arrivée à la cour d'assises mardi midi.
"Bonne fête maman!" ont scandé quelques personnes dans l'assistance, pour lui rappeler l'anniversaire de son époux, qui avait 71 ans ce mardi.
Durant plusieurs heures, ses avocats ont contesté la compétence du tribunal, affirmant que Mme Gbagbo ne pouvait être poursuivie pour "crime contre l'humanité" et "crime de guerre" commis en 2011 puisque ces chefs d'accusation ne figurent dans le code pénal ivoirien que depuis mars 2015.
Après une suspension de séance, l'audience a repris avec la lecture de l'acte d'accusation.
"Je ne reconnais pas les faits", a déclaré Simone Gbagbo.
A la mi-journée, une trentaine de personnes s'étaient rassemblées devant le palais de justice pour manifester leur soutien à l'épouse de Laurent Gbagbo, qui comparaît lui-même depuis le début de l'année devant la Cour pénale internationale (CPI) à La Haye.
Le procès de Simone Gbagbo devrait durer un mois, et verra la participation"de 25 témoins de l'accusation".
L'accusée est actuellement incarcérée à Abidjan où elle purge une première peine de 20 ans de prison pour "atteinte à la sûreté de l'Etat", prononcée l'an dernier.
La Fédération internationale des droits de l'homme, la Ligue ivoirienne des droits de l'homme (LIDHO) et le Mouvement ivoirien des droits de l'homme, qui disent représenter "près de 250 victimes", ont annoncé lundi leur décision de"se tenir à l'écart" du procès, affirmant n'avoir "pas eu accès à toutes les étapes de la procédure"
"Cela ne servira à rien d'aller faire de la figuration", a déclaré à l'AFP Pierre Kouamé Adjoumani, président de la LIDHO.
- 'Moment charnière pour la justice' -
Human Rights Watch a de son côté évoqué "un moment charnière pour la justice" si les "victimes" ont droit à un procès "crédible, équitable et suivi par d'autres procès visant les auteurs de violations des droits de l'homme des deux parties de la crise postélectorale de 2010-2011".
Cette crise avait été provoquée par le refus de M. Gbagbo de reconnaître la victoire de son rival Alassane Ouattara à l'élection présidentielle de novembre 2010.
"Le principal défi pour l'accusation sera d'identifier des preuves la liant(Simone Gbagbo) aux meurtres, aux viols et autres exactions commises par les forces pro-Gbagbo", a poursuivi l'ONG.
"Ces accusations sont créées de toutes pièces pour faire plaisir à une certaine communauté internationale. Trop c'est trop!", a estimé un des avocats de l'ex-Première dame, Me Mathurin Dirabou.
Joël N'Guessan, porte-parole du Rassemblement des républicains (RDR), le parti du président Ouattara, a assuré de son côté que ce deuxième jugement n'était "pas un procès de trop", affirmant que "Mme Gbagbo (...) avait une emprise sur les personnes soupçonnées de crimes".
La tenue de ce procès va prendre de court la CPI, où elle est poursuivie pour "crimes contre l'humanité". Le tribunal international qui juge actuellement M. Gbagbo et Charles Blé Goudé, ex-ministre de la Jeunesse, a toujours réclamé l'ex-Première dame, mais Abidjan refuse son transfèrement à La Haye.
Le président Ouattara a affirmé début février qu'il "n'enverrait plus d'Ivoiriens" à la CPI, estimant que son pays avait désormais une "justice opérationnelle". La CPI a été créée pour intervenir si la justice nationale ne peut ou ne veut jouer son rôle.
Si les deux camps se sont montrés coupables d'exactions pendant la crise de 2010-2011, aucun responsable pro-Ouattara n'a à ce jour été inquiété, ce qui nourrit les accusations par l'opposition de "justice des vainqueurs".
Le procès devait se poursuivre mercredi.
Simone Gbagbo, redoutée "Dame de fer" de Côte d'Ivoire
L'ancienne et redoutée "Dame de fer" de Côte d'Ivoire Simone Gbagbo, qui a connu les sommets du pouvoir puis la chute avec son mari Laurent, s'est forgée une réputation de dureté, d'abord comme opposante dans la rue puis comme très influente épouse de président.
Après une première condamnation en 2015 à 20 ans de prison pour "atteinte à la sureté de l'Etat", confirmée le 26 mai par la Cour suprême, l'ex-Première dame âgée de 66 ans, comparaît à partir de mardi devant les assises d'Abidjan dans un nouveau procès.
Cheveux grisonnants et rasés court, robe marron, Mme Gbagbo, seule accusée non menottée des 13 prévenus de la session d'assises qui s'est ouverte le 9 mai, était alors apparue quelque peu amaigrie.
Acclamée par ses partisans, elle les avait salués de la main en gagnant sa place dans le box. A la fin de l'audience, elle avait même embrassé de nombreux visiteurs.
Des images qui contrastent fortement avec celles de son arrestation mouvementée le 11 avril 2011 au côté de son mari, où elle apparaissait le regard apeuré, les traits tirés et les cheveux en bataille. Une fin de règne piteuse, après plus de dix ans comme Première Dame ivoirienne.
'Escadrons de la mort'
Mme Gbagbo a été autant respectée pour son militantisme que crainte pour son rôle de "présidente" à poigne, souvent accusée d'être liée aux "escadrons de la mort" contre les partisans de M. Ouattara, qu'elle a toujours honni.
Simone Ehivet est née en 1949 près de Grand-Bassam, à l'est d'Abidjan, d'un père gendarme, dans une famille de dix-huit enfants. Elle a fait des études d'histoire et de linguistique.
Mais ses passions sont le syndicalisme et l'engagement politique, passant du marxisme au christianisme évangélique après qu'elle eut échappé "miraculeusement" en 1998 à un accident de voiture.
Plusieurs fois emprisonnée dans les années 1970, puis 1990, pour avoir dénoncé publiquement le "Vieux", l'ancien président Félix Houphouët-Boigny, elle co-fonde en 1982 ce qui deviendra le Front populaire ivoirien (FPI, gauche) dont elle sera députée en 1995.
Le 19 janvier 1989, elle épouse, en secondes noces, le "camarade" Laurent Gbagbo. Elle a cinq filles, dont deux de M. Gbagbo.
Lorsqu'éclate la rébellion du Nord de 2002, Simone Gbagbo défend son mari, dénonce la "sédition" et la partition du pays et sera - plus ou moins publiquement - hostile aux accords de paix successifs.
"Dieu a donné la victoire à Laurent", commente-t-elle huit ans plus tard au lendemain du second tour de la présidentielle contestée du 28 novembre 2010.
Quand le pays plonge dans la crise post-électorale, "Simone" ou "Maman", comme l'appellent ses admirateurs, fustige le "chef bandit" Alassane Ouattara et le "diable" Nicolas Sarkozy, le président français d'alors.
L'ancienne Première dame a également été entendue par la justice française dans la disparition du journaliste franco-canadien Guy-André Kieffer en 2004 à Abidjan.
Si, selon la CPI, elle s'est imposée en "alter ego" politique de son mari, leur union privée s'est étiolée. Il y a quelques années, M. Gbagbo s'est uni à Nady Bamba, une ex-journaliste, au cours d'un mariage coutumier.