VIOLENCES ETHNIQUES EN CÔTE D'IVOIRE
Des affrontements inter-communautaires opposent des Agnis - ethnie locale considérée comme proche de l'opposition - et des Dioulas - musulmans venus du nord et réputés proches du pouvoir
La campagne électorale de la présidentielle du 31 octobre en Côte d'Ivoire a dégénéré à Bongouanou, à 200 km au nord d'Abidjan. Des affrontements inter-communautaires opposent des Agnis - ethnie locale considérée comme proche de l'opposition - et des Dioulas - musulmans venus du Nord et réputés proches du pouvoir.
Les machettes et les gourdins sont de sortie à Bongouanou, à 200 km au nord d'Abidjan. De multiples barrages, tenus par les jeunes agnis (ethnie locale jugée proche de l'opposition), empêchaient la circulation, dimanche 18 octobre, sur les axes menant à ce fief de Pascal Affi N'Guessan, candidat de l'opposition à l'élection présidentielle du 31 octobre et ancien Premier ministre de l'ex-président Laurent Gbagbo.
"Les Dioulas, c'est le problème", crie les yeux exorbités un jeune membre de la communauté agnie à l'AFP, faisant référence à ces musulmans venus du Nord et réputés proches du pouvoir.
Au cours de ces affrontements inter-communautaires, deux personnes sont mortes. Dans la ville, de nombreux commerces et restaurants ont été pillés et incendiés, plusieurs carcasses de voitures et motos calcinées encombrent les rues. Dans certains quartiers, des centaines de cailloux et des bouteilles cassées, ayant servi de projectiles aux deux camps, jonchent le sol. Et ses centaines d'habitants fuyaient à pied le long de la route, sac sur le dos, baluchon sur la tête.
Les craintes d'une nouvelle explosion meurtrière se précisent, alors qu'une quinzaine de personnes sont mortes en août et en septembre, dans des violences liées au scrutin. Ces affrontements interviennent dix ans après la crise post-électorale de 2010-2011, survenant elle-même après une décennie de tensions (2010-2011).
>> À voir : les espoirs d'une élection
Tout a débuté vendredi, quand des jeunes partisans de Pascal Affi N'Guessan ont érigé des barricades sur les routes, après le mot d'ordre de l'opposition de "boycott actif" du "processus électoral" pour "empêcher la tenue de toute opération liée au scrutin". Chaque communauté accuse l'autre d'être à l'origine des violences.
Les Dioulas : "On est derrière Ouattara"
"Ils bloquaient les routes alors que nous, on vit de commerce et transport. Après, ils ont pillé et brûlé nos boutiques, ils ont brûlé nos véhicules", assure dans le quartier musulman Cissé Sekou, surnommé le "Commandant", entouré de centaines de jeunes prêts à en découdre. Il assure que c'est seulement après que les Dioulas ont "répondu", en allant brûler restaurants, kiosques et magasins agnis.
"Nous, on est derrière Ouattara. Pour le troisième mandat", scande-t-il, ce qui engendre des acclamations. Élu en 2010, réélu en 2015, Alassane Ouattara avait renoncé en mars à briguer un troisième mandat, avant de changer d'avis en août après le décès de son dauphin désigné, le Premier ministre Amadou Gon Coulibaly.
La loi ivoirienne prévoit un maximum de deux mandats, mais le Conseil constitutionnel a estimé qu'avec la nouvelle constitution de 2016, le compteur du président a été remis à zéro, ce que conteste farouchement l'opposition.
Une partie de la résidence de N'Guessan incendiée
À 200 m du quartier dioula, sur le flanc de la colline avoisinante, dans le quartier agni, Clémentine Tanoa se désole devant son maquis (restaurant) dévasté : "Les Dioulas sont venus. Ils ont tout pris, les bananes, les assiettes, les appareils... On a fui". Les pillards ont aussi ciblé des sites symboliques : une partie de la résidence de Pascal Affi N'Guessan a ainsi été incendiée.
Des groupes de jeunes agnis sillonnent désormais la ville armés de machettes, couteaux, planches cloutées, haches, barres de fer, frondes... Beaucoup sont éméchés, ayant abusé d'alcool de vin de palme.
"Les Dioulas nous ont attaqués. On a répliqué. On ne veut pas de troisième mandat de Ouattara. La Côte d'Ivoire n'a pas été faite pour une seule ethnie. Ça fait 10 ans que les Dioulas sont au pouvoir, ca suffit", s'exclame Lambert, un chef de barrage.
À l'hôpital, un employé évoque, sous couvert de l'anonymat, un bilan de cinq morts - il ne sait pas combien de personnes ont été blessées. "Les blessés reçoivent des soins mais on les laisse partir aussitôt, parce que les gens de l'autre camp peuvent venir les chercher"...