DE CHARLIE AU BATACLAN, LA GUERRE ENTRE FRANÇAIS
Mamadou Seck : victime de la guerre franco-française
Le nouvel essai du journaliste Mamadou Seck s’attaque à la question du terrorisme qui a touché la France en 2015. Se concentrant principalement sur les attentats de Charlie Hebdo, l’auteur surfe sur divers témoignages pour expliquer les attentats. Un livre qui se noie dans ses contradictions et s’asphyxie par ses manquements quand il ne se contente pas de retracer les évènements trait pour trait. Un sauvetage peut pourtant être organisé pour les articles qui font la critique d’un système français pratiquant une exclusion qui est du pain béni pour les organisations terroristes.
«Consciemment ou inconsciemment, ils n’agissent pas au nom de l’islam.» C’est la troisième phrase du livre de Mamadou Seck, De Charlie au Bataclan : La guerre entre Français. Il aurait peut-être dû s’arrêter là. Son nouvel essai, le troisième, retrace la chronologie de l’année 2015 française en matière de terrorisme sous le sceaux de la «guerre entre Français». Le titre est prometteur. «C’est pour que l’histoire ne se répète pas que nous avons voulu, à travers ce livre, apporter notre contribution dans la construction d’un monde de paix.»
La barre est haute. A la fin de l’introduction, le lecteur entrevoit donc un avenir radieux pour les 118 pages à venir. Deux tendances se dégagent. La première, très factuelle, rappelle les évènements, les auteurs des attentats et les mesures qui ont suivi. Les faits sont clairement exposés et l’année terroriste française est retracée avec fidélité et le sens du détail. On salue ici le travail de recherche du journaliste.
Fort heureusement, le livre ne s’en tient pas à une succession de données qu’on aurait pu retrouver aisément sur internet dans un article du Monde, de Libération ou de n’importe quel média. Une partie plus analytique est aussi proposée au lecteur.
Le livre revient sur les attentats de Charlie Hebdo et le terreau du terrorisme français à base de très nombreux témoignages plus ou moins pertinents (on oubliera par exemple assez vite la déclaration de Jacques Attali, «Il faut créer des conditions pour que cela ne se reproduise pas», dont l’absence aurait évité au lecteur une réflexion sur l’inutilité de celle-ci). L’auteur condamne assez clairement les actes terroristes et affirment assez justement qu’«ils ne sont d’aucune religion».
Pourtant à travers les diverses citations, il sert ce discours mi-cuit si souvent entendu depuis le 8 janvier 2015 : je regrette qu’ils soient morts, mais ils sont allés trop loin (les caricaturistes de Charlie Hebdo). Ainsi, son postulat de départ est contredit dans les pages qui suivent en plaçant l’attentat de Charlie Hebdo sous le coup d’une justification par l’islam.
Lorsque «L’Afrique commente Charlie», l’occasion est donnée à un Occidental de s’ouvrir à une nouvelle vision de l’attentat et une nouvelle perception de Charlie Hebdo. Cependant, à côté des «Charlie Hebdo» inscrivant «systématiquement leur ligne éditoriale dans la perspective de la provocation contre l’islam et son Prophète» ou encore des «nous sommes d’avis que toute personne qui offense le Prophète (Psl) ne doit même pas passer 24 heures sur terre», il aurait été honnête de rappeler certaines choses.
Charlie Hebdo ne voue pas une haine à l’islam
Il aurait été honnête de rappeler que Charlie Hebdo a consacré plus de Unes à la religion catholique, ou à la politique qu’au Prophète. Charlie s’en prend à tout le monde, la gauche, la droite, catholiques, juifs et musulmans, même le bon Dieu. Ce n’est pas une campagne anti-islam plutôt anti-religieux. «En tapant sur tout le monde, ils étaient les plus à même de défendre l’humanité», affirmait le dessinateur Jean-Christophe Chauzy. Tout le monde n’est pas d’accord avec les dessins de Charlie, mais ils défendent ce qu’il représente. Il a été honnête de rappeler dans le chapitre sur les victimes que les frères Kouachi n’ont pas fait la différence entre Charlie ou pas... Ahmed, policier a été abattu la tête sur le bitume.
Comment justifier le discours du «ils sont allés trop loin» ou de poser les Kouachi comme des «martyres» en prenant en compte qu’ils ont tué tout ce qui se présentait sur leur route. Leur assassinat n’est pas dû à une caricature, le Prophète Mahomet n’est qu’un prétexte pour des mécréants afin d’attaquer un système français et ses valeurs démocratiques portées par Charlie Hebdo, journal qui n’est pas anti-musulman, mais anti-religion, anti-tout et cela fait une grosse différence.
En affirmant que «la provocation contre les musulmans était aussi à l’ordre du jour [Lors des manifestations du 11 janvier]», il aurait été honnête de rappeler que le 11 janvier, Place de la République, un homme s’est mis à déchirer le Coran et a été hué par les manifestants avant de se faire sortir. On ne peut nier que des actes islamophobes se sont produits en trop grand nombre durant cette période.
Néanmoins, le 11 janvier a fait sortir la majorité silencieuse qui a prouvé qu’elle n’était pas raciste et que le climat islamophobe repris par les médias est l’œuvre de groupes racistes qui font juste plus de bruit que les autres. On passera sur les théories du complot imputées à l’Occident et visant à réprimer l’islam tant les allégations sont absurdes et surtout sans fondement. En effet, s’il s’appuie sur des témoignages de personnes de tous horizons, Mamadou Seck ne justifie pas son discours par des arguments concrets ou des chiffres, considérant que les citations se suffisent à elles-mêmes.
Un système français responsable
Outre cette démarche qui ancre les attentats de Charlie dans la question islamique (chose qu’on était supposé éviter au départ), on pourra retenir les analyses sociologiques de l’écrivain qui sont plus pertinentes. En effet, en parlant de guerre entre Français, il souligne les dérives d’un système construit sous le sceau de la liberté, l’égalité et la fraternité, mais qui a laissé son credo prendre la poussière. Il aborde la question des banlieues et de leur exclusion dans la société française qui sont un terreau fertile pour les organisations terroristes.
En effet, difficile de nier que les banlieues étaient sous représentées lors des marches du 11 janvier. Une frange de la population ne se reconnaissait pas dans ce mouvement. De même, le chapitre sur la responsabilité des parents sonne juste. L’analyse entière demande à être approfondie davantage, car pour construire un «monde de paix», on ne peut pas en rester à de simples constats.
Le contenu très inégal du livre offre une construction générale peu homogène. Ainsi, certains chapitres, bien qu’intéressants comme «La France et ses immigrés», qui constitue un bel appel à l’unité africaine, font figures d’intrus. On y parle de l’Afrique du Sud, des Etats-Unis, loin du problème franco-français. Enfin, notre dernier regret est que dans cette odyssée de 118 pages qu’est De Charlie au Bataclan : la guerre entre Français, on a beau avoir tourné la totalité des rectos et des versos... on a jamais vraiment atteint le Bataclan.
L’auteur rappelle fidèlement les faits du 13 novembre dans le chapitre «La guerre des Français». Cependant, du point de vue de l’analyse, le propos se concentre sur Charlie Hebdo et les inégalités des répartitions de richesses en France. Forcément, il est plus difficile de trouver des témoignages qui justifient l’assassinat de 123 personnes autrement que par l’attaque barbare d’un système démocratique et de liberté. La polémique est plus facile avec Charlie Hebdo.