LA CRISE DES MÉDIAS
Depuis quelques années, la presse écrite fait face à la concurrence de l’Internet, à la chute de la diffusion et de leurs recettes publicitaires - Comment sortir de l'ornière ?
Depuis quelques années, la presse écrite fait face à la concurrence de l’Internet, à la chute de la diffusion et de leurs recettes publicitaires. Confrontés ainsi à un redoutable effet de ciseau, de nombreux journaux sont dans l’impasse économique ou s’y acheminent. Selon le président de l’Association des professionnels de la presse en ligne (Appel), Ibrahima Lissa Faye et le journaliste-formateur, Jean Meïssa Diop, les journaux devront repenser leur stratégie pour sortir de cette crise. Toutefois, il faut dire que cette crise ne concerne pas uniquement la presse écrite. De nos jours, elle est aussi vécue chez bon nombre de musiciens en raison d’un «manque d’organisation», d’une «rareté de spectacles vivants» mais aussi des CD qui sont en voie de disparition sans oublier l’évolution fulgurante des nouvelles technologies qui ont changé la donne. Pour les journalistes culturels Fadel Lo et Alassane Cissé, le moment est venu pour les artistes de trouver des alternatives pour sortir la tête de l’eau.
Entre un déficit d’abonnements, des invendus, une prolifération des médias, la presse écrite au Sénégal traverse une crise conjoncturelle. A cela s’ajoute, la rude concurrence des sites Internet avec l’avènement des réseaux sociaux. Au vu de tous ces paramètres, la presse écrite ne serait-elle pas au point mort ? Tout porte à le croire à moins qu’elle change de fusil d’épaules. Dès lors, un renouvellement et une adaptation au contexte du moment s’imposent pour la survivance de la presse écrite. «C’est surtout ne pas avoir une vive transposition du journal papier en ligne mais travailler sur deux desks à la fois, un desk en ligne et un desk carrément papier où il y’aura beaucoup plus de profondeur parce qu’en fait, c’est là où les gens qui font les journaux vont avoir de la plus-value», a fait savoir le président de l’Association des professionnels de la presse en ligne (Appel), Ibrahima Lissa Faye. Sur cette alternative, le journaliste-formateur, Jean Meïssa Diop lui emboite le pas. «Aujourd’hui, il y’a beaucoup de presse écrite qui tend de plus en plus à avoir des versions électroniques et ça, c’est une alternative», confie le chroniqueur du journal Enquête.
«IL FAUT LAISSER LE FACTUEL AUX SITES D’INFORMATIONS ET AUX RADIOS»
Allant plus loin, Ibrahima Lissa Faye pense que la presse écrite ne peut plus se limiter à l’actualité du jour qui a déjà été relatée par les radios et les sites d’informations. «Il s’agit pour les journaux de faire des enquêtes, des reportages beaucoup plus profonds ou encore du fact-checking pour avoir de la plus-value, c’est-à-dire ne pas faire carrément du factuel parce que le factuel maintenant, il faut le laisser aux sites d’informations et aux radios», a soutenu le président de l’Appel. Autres paramètres favorisant la crise du journal écrit, c’est la «faible couverture» dans les régions mais aussi le «défaut des circuits de distribution». Pour Jean Meïssa Diop, «un journal imprimé à Dakar qui doit être distribué à Ziguinchor n’arrive que le lendemain ou bien en fin de journée et ça, c’est un gros problème. Mais aussi une vente de journal dépend de l’intérêt de l’attractivité de la titraille mais également des vendeurs». Comme solution, il propose de faire des imprimeries relais à l’intérieur du pays. «Peutêtre que ça aurait un coût mais aussi ça aurait représenté une solution», a tenu à préciser Jean Meïssa Diop avant d’ajouter que «l’Europe et les Etats-Unis ont retrouvé cette solution depuis les années 70». Quid de la pléthore de titres? Jean Meïssa Diop pense «qu’on aurait pu par exemple rassembler toutes ces rédactions-là et tous ces titres en 4 à 5 titres forts de leurs ressources humaines, de leurs contenus, de leurs méthodes de travail car, il n’est pas nécessaire d’avoir une vingtaine de journaux en kiosque, des journaux qui vont se concurrencer, les uns vont se vendre très bien, les autres pas du tout».
«LA PRESSE NE VIVRA PAS TANT QU’ELLE SE VENDRA A 100F»
Jean Meïssa Diop est d’avis aussi que les prix des journaux au Sénégal n’aident économiquement pas la presse écrite surtout face aux coûts d’édition, aux frais d’impression, de distribution etc. «Vendre un journal à 100F, ce n’est pas réaliste, c’est de la démagogie. Cela n’existe qu’au Sénégal. On ne fera pas vivre la presse avec un journal à 100 F. La presse ne vivra pas tant qu’elle se vendra à 100F. On n’a pas de publicités et puis on vend à 100F, ce n’est pas réaliste», a-t-il martelé.
«ESSAYER DE FAIRE VOTER LA LOI SUR LE STATUT DE L’ARTISTE»
A l’image de la presse écrite, les musiciens également font face actuellement à de multiples difficultés qui assombrissent leur avenir. Parmi ces facteurs de crise de la musique, on peut citer la mévente des CD, la piraterie, les nouvelles technologies etc. «Il faut vraiment reconnaitre qu’au Sénégal, il n’y a même pas d’embryon d’industrie musicale, tout se faisait à l’informel et depuis que Sandaga a fermé ses portes avec Talla Diagne et Massaer, les gens ont dû mal à écouler les CD qui ne se vendent plus. Les spectacles vivants se font de plus en plus rares, les soirées de gala aussi ont tendance à disparaitre», explique le journaliste culturel Fadel Lo. Pis, ajoutet-il, « il y’a aussi le flou qui existe autour du statut de l’artiste avec la loi qui n’est pas encore votée et tant qu’il y’a cet ancrage dans l’informel, les choses ne vont pas évoluer». Pour sortir de l’ornière, il propose aux artistes de «s’organiser un peu plus, de se rapprocher des autorités pour essayer de faire voter la loi sur le statut de l’artiste mais aussi d’avoir une plus grande solidarité entre eux».
«LES ARTISTES DOIVENT AVOIR DE GROUPES STRUCTURESQUI DEVIENNENT DES ENTREPRISES CULTURELLES»
Selon l’ancien journaliste de Sud Quotidien, Alassane Cissé, «les alternatives des musiciens, c’est de redoubler les spectacles vivants, que les groupes fassent preuve de marketing, cherchent des marchés, des spectacles aussi bien au niveau des institutions, des collectivités, des sociétés privées, faire du marketing digital et nouer des partenariats avec les boites de nuit comme le font Pape et Cheikh qui jouent 5 fois par semaine». Toujours sur le rayonnement des artistes, Alassane Cissé soulignera qu’il faut que les «artistes prennent des initiatives en termes de soirée, organisent de grands festivals de musiques dans leurs localités comme le fait le groupe ivoirien Magic System». A l’en croire, les artistes doivent trouver par eux-mêmes des solutions parce que la musique est un métier libéral. «Les institutions, comme l’Etat, accompagnent, en termes de subvention, les artistes doivent avoir des groupes structurés, un business-plan, un modèle économique, de bons managers avec un bon carnet d’adresse mais aussi les artistes doivent avoir de groupes structurés qui deviennent des entreprises culturelles. Youssou Ndour l’a compris en créant la société africaine de promotion musicale. Ici, il y’a tellement de groupe qui n’ont même pas de papiers», a confié Alassane Cissé. Il faut dire que même si leur futur est parsemé d’embûches, les journaux écrits et les musiciens peuvent sortir de l’ornière en s’adaptant aux différentes mutations.