LES JOURNALISTES ENTRE LE MARTEAU DE DAESH ET L’ENCLUME DES ETATS
Traqués par les jihadistes et accusés de complicité par des gouvernements
Les journalistes exercent difficilement leur travail dans un monde où la liberté et l’indépendance de l’information sont devenues des enjeux majeurs. Si les djihadistes les traquent pour éradiquer l’information indépendante dans le but de conquérir les esprits, certains gouvernements les pourchassent pour complicité avec les extrémistes.
Pour les djihadistes, le journaliste doit être soumis ou mort. C’est ce qui ressort du rapport de Reporters sans frontières (Rsf) résumé dans un communiqué. Le document traitant de la guerre des groupes islamistes armés comme Daesh menée contre le journalisme met en lumière des idéologies et systèmes totalitaires qui ne conçoivent les reporters comme soumis ou morts.
Le document met en exergue les «onze commandements» édictés par Daesh en octobre 2014 dans la province de Deir Ez-Zor en Syrie, auxquels les journalistes doivent se soumettre. Le premier consiste à prêter allégeance au calife.
Un autre leur interdit de travailler pour des chaînes «luttant contre les pays islamiques». Les professionnels des médias ne peuvent publier un article sans avoir obtenu d’abord l’assentiment du «service de presse» de l’Etat islamique. «Tout écart de conduite sera sanctionné, le journaliste fautif étant tenu pour responsable», lit-on dans le document.
Les journalistes qui écrivent sur l’Etat islamique avec distance sont aussi considérés comme des «soldats ennemis» et donc, des «cibles à abattre». Le rapport est aussi revenu sur la genèse de la haine des jihadistes à l’encontre de tous les reporters ainsi que «les machines de propagande de l’islam radical et violent» ou encore comment des groupes extrémistes entendent éradiquer l’information indépendante pour conquérir les esprits.
A ce niveau, il évoque les exactions perpétrées par les jihadistes de Daesh, d’Al-Qaïda, des Shebab et de Boko haram comme la tragédie de Charlie Hebdo qui avait coûté la vie à 8 journalistes en janvier 2015.
Dans l’exercice de leurs fonctions, les professionnels subissent des arrestations, kidnappings, exécutions sommaires ou assassinats. Ce fut le cas avec le photo-journaliste irakien Jala’a Adnan Al-Abad qui, sans ressources et avec le sentiment que son devoir était de continuer d’informer sur la façon dont Daesh traitait la population civile, «crucifixions, décapitations, tortures», est revenu à Raqqa après s’être enfui pour se faire arrêter peu de temps après.
«Apparemment, il a été exécuté dès son arrivée dans un centre de détention. Comme Naji Jerf, ce documentariste soutenu par Rsf, assassiné le 27 décembre à Gaziantep au sud de la Turquie alors qu’il s’apprêtait à rejoindre la France avec sa famille», révèle Rsf.
Alors qu’ils sont victimes de répressions de la part des jihadistes, les journalistes sont poursuivis par certains gouvernements qui les accusent parfois de promouvoir l’extrémisme.
«’’Complicité, apologie et même espionnage’’ pour le compte des jihadistes sont autant de crimes qu’on leur impute en Syrie, en Somalie, en Egypte et au Mali au nom de la lutte antiterroriste», souligne le rapport de Rsf.
C’est le cas du journaliste camerounais Simon Ateba qui fut accusé d’espionnage pour le compte de Boko haram au motif qu’il s’était rendu dans le camp de Minawao au nord du pays pour un reportage sur les conditions de vie des réfugiés nigérians. C’est aussi le cas de Can Dündar, le rédacteur en chef du quotidien turc Cumhuriyet, en prison depuis novembre pour avoir révélé les livraisons d’armes turques au nord de la Syrie.
«Aux côtés des plus sombres dictateurs, le jihadisme est devenu l’un des pires prédateurs de la liberté de la presse dans le monde», observe Christophe Deloire. Prenant exemple sur l’attentat contre Charlie Hebdo, le secrétaire général de Rsf estime que «nous entrons dans une période de mondialisation de la menace».
«Les journalistes ne sauraient être protégés, et donc l’ensemble des Peuples non plus, sans une mobilisation générale pour s’opposer aux idéologies haineuses, parfois soutenues par des Etats», estime-t-il. Pour lui, la liberté et l’indépendance de l’information sont très clairement des enjeux majeurs pour l’avenir de l’humanité.