L'ART DU RATAGE
BIENNALE DE DAKAR 2014
Nommé directeur général de la Biennale de Dakar, en février 2013, Babacar Mbaye Diop avait comme principale ambition de donner à cette fête dédiée à la création artistique contemporaine des couleurs populaires. C’est-à-dire parvenir à la mettre à la portée de la population. A l’arrivée, elle s’est presque tenue dans une grande impopularité et avec des ratages dont le point d’orgue est la démission du même directeur avant qu’il ne revienne à de meilleurs sentiments.
Vingt-quatre (24) ans après le lancement de la première édition, la Biennale de l’Art Africain Contemporain continue son petit bonhomme de chemin. Les lampions de la 11e édition, ouverte le 9 mai et prévue pour durer jusqu’au 9 juin prochain, commencent à s’éteindre puisque les artistes et invités commenceront à faire leurs valises à la fin de cette semaine.
Pour cette édition dont l’exposition internationale, établie sur la Route de Rufisque, a été ouverte aux artistes Occidentaux et de l’Amérique, celle-ci reçoit pour l’heure au compte-goutte un public d’amoureux d’esthétique artistique. La démission-reconduction de son Directeur général le week-end dernier montre encore les insuffisances d’une Biennale qui souffre principalement de moyens financiers.
Autrement dit, l’événement culturel créé par l’Etat du Sénégal endure les difficultés budgétaires de ce même Etat. Pour cette édition, par exemple, des œuvres n’étaient pas encore montées 24 heures après l’ouverture de la Biennale au Grand Théâtre National. Les catalogues souvent disponibles le jour même de l’ouverture sont sortis de presse 72 heures après.
Et ce n’est pas tout ! L’événement n’a pas connu une grande médiatisation à travers des encarts publicitaires ni dans les artères de Dakar, ni dans la presse écrite et audiovisuelle. Même la RTS qui nous avait habitués à un journal de la Biennale a fait faux bond cette année. Tout ceci montre le peu de crédit que les autorités portent singulièrement à la Culture qui semble être réduite à du simple folklore.
Si la France a Cannes, le Burkina Faso le Fespaco, le Maroc la Biennale de Marrakech, le Sénégal doit avoir sa Biennale de Dakar. Et pour une fête qui jadis était très populaire lorsqu’elle avait comme cadre la place de l’Obélisque, elle est devenue confidentielle, au fil des ans, avec ses multiples déménagements.
A la place de l’Obélisque au tout début de son avènement, elle s’est déplacée au Musée de l’IFAN, puis au CICES, au Palais de Justice du Cap Manuel, aux Entrepôts de la Biscuiterie de la Médina sur l’avenue Bourguiba avant de s’installer cette année sur la Route de Rufisque. Conséquence, elle souffre de sa nouvelle position géographique, très loin des quartiers Dakarois.
Il faut aussi ajouter l’accaparement de cette fête de l’art par un groupuscule élitiste qui limite l’événement dans un cercle restreint alors que cela devrait revêtir un caractère beaucoup plus inclusif, participatif. Elle devait être le moment opportun de promotion offert à tous ces jeunes artistes surtout amateurs des quartiers populaires urbains et de la banlieue non encore connus dans le gratin artistique d’exposer leur savoir-faire et leur talent puisqu’on a la ferme conviction que ce n’est pas seulement un cercle ésotérique de créateurs professionnels qui font la culture.
Et pour la première fois dans l’histoire de cette fête de l’Art, le chef de l’Etat a brillé par son absence lors de son ouverture présidée par le Premier ministre. De retour d’Abuja, il ne s’est pas non plus rattrapé pour venir visiter l’exposition internationale. Tout ceci conforte l’idée de ceux qui considèrent cette édition comme un échec, voire un manque de succès populaire. Et cet échec est souligné par l’artiste plasticien Ousmane Sow «Soleil», qui martèle : «C’est un échec total. Le ministère de la Culture et la direction de la biennale ne font que jeter de l’argent par la fenêtre et essayer de dire qu’ils soutiennent l’art alors qu’ils le tuent. Chacun a son mot à dire dans la vie.»
Pour le moment, rares sont les personnes qui sont au courant de cette fête. Ceux qui connaissent le site de leur village ne sont pas aussi nombreux. Ainsi la fête est réduite à sa plus simple expression. Les populations ne collent plus à l’événement. Les étrangers visitant les centres d’exposition sont même plus nombreux que les autochtones. C’est donc dire combien cet événement culturel, autrefois populaire, manque véritablement aujourd’hui d’engouement et de chaleur populaires.
Il est temps de revoir la formule et le mode d’organisation de la Biennale. Sinon à ce rythme de désaffection populaire, cet événement mondial, qui draine de moins en moins de monde au fil des années, risque de n’être qu’une affaire entre quelques esprits élitistes.