23 JUIN, CE N’ÉTAIT PAS LA RÉVOLUTION
Aucune chapelle politique ne saurait s’approprier un mouvement populaire spontané, où les hommes politiques sont venus à la remorque et font la dissonance cognitive en réécrivant l’histoire, chacun à sa manière, pour tirer le drap politique de son côté
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«Mais c’est une révolte ? - Non, Sire c’est une révolution.» C’est la réponse du Duc de la Rochefoucauld à Louis XVI qu’on a réveillé la nuit du 14 juillet pour lui annoncer la prise de la Bastille.
L’histoire donnera raison au Duc sur le Roi, parce que ce n’était pas une révolte, mais une véritable révolution, qui finira par guillotiner le Roi. Pour le 23 juin 2011, dont on célèbre l’anniversaire aujourd’hui, on peut dire l’inverse. C’était une révolte, pas une révolution. C’était un sursaut politique, une révolte démocratique, mais pas une révolution.
Quand il y a révolution, il y a un changement radical de régime ou même de système politique. Avec la révolution française que Hegel qualifiait de «superbe lever de soleil», les Français ont coupé la tête du Roi, aboli la monarchie et proclamé la République. Les Américains ont fait la même chose en coupant le cordon ombilical avec la monarchie britannique pour proclamer leur République.
En 1979, les Iraniens ferment le cycle ouvert en 1789, quand l’imam Khomeiny proclame à son tour la République après la fuite du Shah. Le Printemps arabe a entraîné une véritable révolution en Tunisie et Egypte, où la parenthèse a été rapidement fermée avec le bonapartisme et la Restauration initiée par Sissi.
Le 23 juin, il n’y a pas de changement de régime ni de système et, contrairement à Louis XVI, Wade ne sera guillotiné que démocratiquement lorsque la Présidentielle de 2012 a été organisée à date échue. Les démocraties sont à l’abri des bourrasques et des furies de la Révolution grâce à l’alternance. La révolution en démocratie se passe toujours dans les urnes. Plus qu’une révolte démocratique, l’alternance de 2000 fut une véritable révolution démocratique, car le Sénégal est passé d’une ère (40 ans de Socialisme) à une autre.
Les démocraties (je parle des vraies démocraties, où l’élection est un véritable mécanisme de remise en jeu du pouvoir) ont dompté et domestiqué les révolutions grâce à l’alternance démocratique au pouvoir. C’est du bon sens. Pourquoi prendre les armes quand on peut changer pacifiquement et démocratiquement les choses et le cours de l’histoire, comme en France en 1981, au Sénégal en 2000 et 2012 ? C’est pourquoi, en démocratie, après alternance il y a toujours des reformes pour prendre en charge le message déposé dans les urnes. Les Anglais ont été le premier Peuple à le comprendre.
Ainsi, depuis la glorieuse révolution de 1688, ils font des réformes pour éviter les révolutions alors que les Français refusent toujours les réformes et attendent la Révolution comme le grand soir, que les alternances enverront toujours aux calendes grecques.
La grande sociologue Theda Skocpol nous dit : «On ne fait pas la révolution, elle finit par arriver.» Même si on ne peut parler de révolution le 23 juin, la grande révolte du 23 juin a fini par arriver et honnêtement, elle a surpris tout le monde, aussi bien le pouvoir que l’opposition, car aucun politique ne s’attendait à l’ampleur prise par cette révolte populaire spontanée. Donc, aucune chapelle politique ou un camp de la société civile ne saurait s’approprier ou utiliser comme une rente ou un tremplin un mouvement populaire spontané, où les hommes politiques sont venus à la remorque et font la dissonance cognitive en réécrivant l’histoire, chacun à sa manière, pour tirer le drap politique de son côté.