ACCORDER LE BÉNÉFICE DU DOUTE À MACKY
L’opposition aurait tort de ne pas s’engager dans le dialogue prôné par le président - D’autant que, quoi qu’on puisse dire, le rapport de force est en leur défaveur
« Chaque voix qui s’est exprimée le 24 Février, qu’elle soit de la majorité présidentielle ou de l’opposition, mérite d’être entendue et respectée (…) Il n’y a eu ni vainqueur, ni vaincu. Et à présent que la campagne électorale est définitivement terminée, je considère qu’il n’y a plus d’électeurs ou de camps marqués par des couleurs et démarqués par des lignes partisanes. Je vois un seul camp, celui du Sénégal. (…) Je serai par conséquent le Président de tous les Sénégalais. (…) C’est pourquoi, je tends la main à toutes et à tous, pour engager un dialogue ouvert et constructif dans l’intérêt supérieur de la Nation. Je ferai des propositions dans ce sens après ma prestation de serment le 2 avril 2019. Je convie à ce dialogue les forces vives de la Nation, sans exclusive ; dialogue auquel mes prédécesseurs, les présidents Abdou Diouf et Abdoulaye Wade, pourraient apporter leur contribution ».
En quelques mots, le président de la République, réélu le 24 février dernier pour un second mandat, entrouvre d’heureuses perspectives pour notre pays. Une fois n’est pas coutume : J’apprécie positivement ce discours et félicite le président Macky Sall pour sa teneur. Il y a bien longtemps qu’il n’avait pas adopté cette posture de président de la République et d’arbitre au-dessus de la mêlée. Du moins, c’est ce que nous espérons et souhaitons, afin que les fruits tiennent la promesse des fleurs de ce discours annonciateur d’une nouvelle ère dans les relations entre les acteurs de notre système politique. Civiliser enfin les relations entre Pouvoir et Opposition, tenir compte du vote et des opinions des quatre Sénégalais sur 10 qui n’ont pas accordé leurs suffrages au président Macky Sall : peuton rêver à mieux ? Assurément non !
Il reste qu’il serait imprudent — et naïf — de croire sur parole et d’accorder un blanc-seing à un président qui a tant de fois renié ses engagements et trahi ses promesses. Il avait promis de réduire son mandat à cinq ans ? Il s’est bien gardé de le faire une fois arrivé au pouvoir ! Il avait juré de bannir le fléau de la transhumance ? Il l’a encouragé ! Il avait dit qu’il ne prendrait jamais un décret pour nommer son frère à des postes à responsabilités ? Il l’a propulsé à la tête de la société la plus liquide de notre pays ! Mais enfin, il pourra toujours dire que les promesses électorales n’engagent que ceux qui y croient… Il s’y ajoute qu’il est paradoxal et contre-productif de convier l’Opposition à un dialogue au moment où une figure de proue de celle-là — l’ex-maire de Dakar Khalifa Sall — est emprisonné pour des accusations que, pour ma part (et de larges pans de Sénégalais avec moi), j’ai toujours trouvées grotesques. Un homme injustement jeté en prison, humilié, révoqué de ses fonctions de maire et déchu de son mandat de député. Sans compter que celui qui devait être le candidat à la présidentielle du plus grand parti de cette même opposition, en l’occurrence Karim Wade du Pds, a lui aussi été gardé en prison pendant trois ans avant d’être exilé au Qatar avec interdiction absolue de revenir dans son pays. Ne mentionnons pas les multiples autres avanies faites à l’opposition ces sept dernières années. Une opposition qui n’avait qu’un seul droit : recevoir sans broncher des coups judiciaires, policiers et même médiatiques. Pendant ce temps, les membres de la majorité présidentielle avaient tous les droits, y compris celui de détourner à leur profit et les deniers et les ressources de la Nation. Un septennat marqué par une absence totale de dialogue avec l’opposition, le président de la République étant obsédé par l’obtention d’un second mandat.
Tourner la page des conflits et se remettre enfin au travail !
Celui-ci obtenu, on espère que Macky Sall sera ce qu’il n’a jamais été depuis 2012 : le président de tous les Sénégalais. D’ailleurs, en creux, dans son discours de mardi dernier, on sent une reconnaissance de ce qu’il a été durant son premier mandat : un chef de parti en lieu et place d’un chef d’Etat ; un chef de clan au lieu d’être un Président pour tous. Mais puisqu’il prétend revenir à la plénitude de sa fonction, serait-il raisonnable de l’envoyer paître ? Assurément, non ! Bien que la confiance entre les deux camps ait été rompue depuis belle lurette, il convient quand même pour l’opposition de saisir cette main tendue du président Macky Sall. Ne serait-ce que lui offrir le bénéfice du doute et le juger à ses actes. N’ayant plus qu’un mandat à faire, il aura sans doute le souci de sortir par la grande porte en 2024. Si des thuriféraires ne le poussent pas au suicide bien sûr en lui mettant dans la tête qu’il pourrait briguer un troisième mandat qui serait celui de trop. Auquel cas, il ferait bien de s’inspirer de la sagesse de son ami mauritanien Mohamed Ould Abdel Aziz qui a su résister aux pressions de ses courtisans pour passer la main. Surtout, surtout, la classe politique dans son ensemble doit prendre conscience de l’extrême lassitude des Sénégalais qui n’aspirent qu’à deux choses : la paix et la résolution de leurs innombrables problèmes. Pendant sept ans, et du fait de l’emprisonnement d’opposants, le Sénégal a vécu dans un climat de guerre civile avec deux camps antagoniques se faisant face. Il est sans doute temps de baisser les armes, tourner la page et se remettre enfin au travail ! Surtout que toutes les guerres se terminent autour d’une table de négociations. Au-delà, évidemment, l’appréciation s’adresse à tous les pays africains où les contentieux pré et post électoraux empoisonnent l’existence des peuples comme au Gabon, en RDC, au Tchad, au Cameroun, en Côte d’Ivoire, au Zimbabwe et dans d’autres parties de ce pauvre continent.
En Afrique où l’on pense que l’horizon, c’est la prochaine élection présidentielle alors que la compétition ailleurs est économique et scientifique. La Chine vient de poser une navette sur la lune et bat désormais tous les autres fabricants mondiaux de téléphones portables. La Corée, plus pauvre que le Sénégal en 1960, rivalise avec les puissances européennes dans le domaine des technologies. L’Inde et le Pakistan sont des puissances nucléaires et lancent des satellites dans l’espace. Les lycéens ou étudiants asiatiques rivalisent à coups d’algorithmes avec leurs camarades européens. Pendant ce temps, en Afrique, on en est à discuter de transparence des processus électoraux et à s’étriper pour des prébendes ! Mettre le système éducatif sénégalais — au-delà, celui du continent ou en tout cas de la sous-région car individuellement nos pays ne pèsent pas — au niveau des meilleurs sur le plan mondial, quel plus exaltant challenge que celui-là ! S’approprier la digitalisation de l’économie mondiale. Soigner nos populations et construire des hôpitaux dignes de ce nom car aux normes et disposant de ressources humaines de qualité et non de rebut du système éducatif qu’on y case pour des raisons de clientélisme politique : tel doit être le chemin. Nourrir nos populations en produisant nous-mêmes ce que nous consommons, la réalisation de cet objectif passant par le développement d’une agriculture intensive faisant appel aux dernières innovations scientifiques. Voilà les chantiers dans lesquels le Sénégal doit s’engager, loin des combinazione politiciennes dont nos compatriotes n’ont que trop souffert.
Ne pas rater le train du dialogue !
L’opposition aurait tort de ne pas s’engager dans le dialogue prôné par le président de la République. Elle commettrait d’autant plus une faute en refusant de s’y engager que le leader de sa principale composante — Me Abdoulaye Wade du Pds — est déjà en pourparlers avancés avec le président Macky Sall. Ce pour obtenir l’amnistie de son fils, la seule chose qui compte vraiment pour lui. Wade qui ne le dit pas mais en veut à Takhawou Sénégal d’avoir, pour des raisons purement égoïstes, torpillé la liste unique qui aurait pu imposer la cohabitation à l’actuel pouvoir en juillet 2017, lors des législatives. La vengeance étant un plat qui se mange froid, et n’ayant plus confiance à cette opposition-là, il a préféré faire preuve d’un réalisme froid. Pour ne pas dire de cynisme. Pour ne donc pas être victime de ce jeu de dupes, l’Opposition doit dialoguer. Oh certes, il ne s’agit pas de vendre son âme au diable, d’aller à la soupe ou de renoncer à ses principes. Encore moins d’entrer dans un éventuel gouvernement d’union nationale surtout dans ce contexte où il apparaît que la prochaine équipe prendra nécessairement des mesures extrêmement impopulaires qu’impose l’état catastrophique des finances publiques. Il paraît qu’un dicton anglais dit que « If you can’t beat them, join them » (Si vous ne pouvez pas les battre, faites-en des alliés !). Il serait bon pour l’opposition sénégalaise de s’en inspirer ne serait-ce que pour reprendre des forces dans la perspective de 2024.
Et puis, l’un des acquis démocratiques majeurs de notre pays, le défunt code électoral consensuel de 1992 n’avait-il pas été obtenu au terme de larges concertations de la classe politique nationale ? Pour dire, encore une fois, qu’Idrissa Seck — qui apparaît aujourd’hui comme le patron incontestable de cette Opposition — et ses amis auraient tort de rater ce train du dialogue. D’autant que, quoi qu’on puisse dire, le rapport des forces est en leur défaveur. Incapable de mobiliser la rue ou de mener des actions d’éclat depuis deux ans exactement que Khalifa Sall est en prison, lâchée dans cette lutte par des maires qui devaient tout à l’illustre prisonnier comme Moussa Sy, Bamba Fall, Banda Diop et aussi, avant ceux-là, Alioune Ndoye, Jean-Baptiste Diouf, Pape Seck etc., cette opposition doit essayer autre chose pour obtenir la libération du leader de Takhawou Sénégal.
Par-delà, le dialogue devra permettre d’institutionnaliser l’Opposition dans notre pays en la dotant d’un statut et d’un chef avec des privilèges reconnus mais aussi de trouver un mécanisme de financement pour tous les partis sur la base du nombre d’élus. Des pays comme la Côte d’Ivoire et le Mali, entre autres, finançant déjà leurs partis, le Sénégal est impardonnable de ne pas l’avoir encore fait.
Enfin, il faudra veiller à ce que, dorénavant, les représentants de l’Opposition — laquelle, encore une fois, est supportée par 4 Sénégalais sur 10 — puissent être consultés par le Président sur les questions majeures intéressant le pays. Pourra-t-on faire confiance à Macky Sall sur tout cela ? L’avenir nous le dira mais, en attendant, cela vaut la peine d’être essayé !