ALIOU SALL, UNE DÉMISSION SALUTAIRE
Alors Aliou Sall met désormais à l’aise son grand-frère de président, mais aussi au camp présidentiel qui a montré une fébrilité insoupçonnée jusqu’ici. Cette affaire a révélé la faiblesse de la réponse gouvernementale qui a été malencontreuse
Avouons-le. La démission d’Aliou Sall de la direction de la très liquide Caisse des dépôts et consignations est salutaire. Elle est même très salutaire. Pour plusieurs raisons. Mais avant d’évoquer celles-ci, il est important d’apprécier l’acte dans son sens premier. Entre être limogé ou démissionner, il y a une grande différence. Le limogeage intègre une dimension de contrainte puisqu’il est imposé à la personne concernée par le supérieur hiérarchique ou le détenteur de l’acte de nomination.
Dans le présent cas, celui de nommer qui a le pouvoir de nommer aux actes civils et militaires — et donc de limoger — n’est autre que le président de la République qui avait nommé son frère à ce poste tellement envié. En démocratie et dans un Etat de droit, pour ne pas dire dans les démocraties modernes, le limogeage d’un ministre ou d’un haut fonctionnaire de l’Etat mouillé dans un scandale par un président de la République procède non seulement d’un acte dicté par l’éthique mais aussi d’une volonté de sauvegarder l’image du régime en question. Mais lorsque le mis en cause prend sur lui de démissionner, l’acte posé prend une autre dimension. Aliou Sall a alors préféré démissionner plutôt que d’être limogé par son grand-frère. Nous utilisons le terme grand-frère à la place de président de la République du fait que ce dont il est question au Sénégal ces dernières semaines c’est d’accusations de mainmise d’une famille, celle du président de la République, sur les ressources pétrolières et gazières appartenant au peuple sénégalais.
La posture du frère au centre de la gestion de ces hydrocarbures a amplifié la rancœur mais surtout l’exigence de transparence réclamée par les populations. Autant dire que si le principal protagoniste, en tout cas l’un des acteurs de ce « scandale à 10 milliards de dollars » n’ »tait pas le propre frère du président de la République, cette affaire n’aurait pas pris l’ampleur qu’elle a eue.
C’est dire que le président Macky Sall, en commettant l’imprudence d’associer sa famille élargie jusqu’à des niveaux élevés de gestion de son pouvoir — et des ressources naturelles de ce pays ! — n’a pas tiré l’exemple de l’échec cuisant de son prédécesseur Me Abdoulaye Wade dans sa tentative de dévolution monarchique pour son fils Karim. Laquelle était passée par la concentration d’importants pouvoirs sous forme de ministères clefs entre les mains de son fils. Une autre considération à apprécier dans le geste de Aliou Sall, c’est qu’il entre dans l’histoire de la culture de démission qui est un acte très rare chez nos dirigeants rattrapés ou impliqués dans des scandales. Pour retrouver un autre geste similaire, il faut remonter à Mamadou Seck, l’ancien président de l’Assemblée nationale qui, bien avant d’occuper le Perchoir, avait démissionné de son poste de ministre de l’Economie et des Finances le 23 mai 2001.
En homme digne, l’ancien maire de Mbao, qui venait juste d’être nommé argentier de l’Etat, avait été accusé de blanchiment dans une affaire qui avait opposé le Commissariat à l’aide alimentaire de l’époque à la Société de manutention et de transit (Somicoa dont il fut le directeur général en 1985) Le président Mamadou Seck nous recevant dans son bureau s’enquit de notre opinion sur son geste qu’il posera sans aviser ni le Premier ministre à l’époque Mame Madior Boye, ni le président de la République. Mamadou Seck par un tel procédé cherchait à éviter tout blocage de sa démission par le président de la République. Il avait déclaré à l’époque vouloir mettre à l’aise le gouvernement parce que c’est « une affaire qui risque de ternir mon image et celle du gouvernement. Il m’est apparu sur la base de l’idée que je me fais de la fonction de ministre, qu’il était nécessaire que je démissionne ». Il se mettra à la disposition de la justice pour être réhabilité. Il reviendra au sein du gouvernement de Me Wade avant de terminer président de l’Assemblée National. Mamadou Seck venait d’entrer dans l’histoire politique du Sénégal. En attendant. Aliou Sall pourrait y prétendre un jour si les faits qui lui sont reprochés seront rejetés par la justice…
Pour le moment nous disions que son geste de démissionner de la CDC est salutaire pour plusieurs raisons. D’abord, les révélations de BBC sur un supposé scandale à 10 milliards de dollars a fini de plonger notre pays dans une situation de confrontation inédite. La cohésion sociale est aujourd’hui mise à rudes épreuves puisqu’une fracture profonde est en train de se dessiner entre le camp présidentiel et le reste de la population comprenant la société civile, les partis de l’opposition, mais surtout des citoyens simples. Cette synergie dynamique d’un peuple révolté pourrait déboucher sur une remise en cause de la récente victoire du président Macky Sall lors de la présidentielle de février dernier. Il faut rappeler que plus de 41% des Sénégalais n’avaient pas voté pour Macky Sall. Alors entre temps et surtout l’éclatement de cette affaire, on peut sans risque dire que ce chiffre pourrait facilement augmenter, ce qui veut dire que sociologiquement le chef de l’Etat aurait perdu sa majorité. Si le vote devait se tenir actuellement, nul ne penserait que Macky Sall pourrait obtenir encore son chiffre de 58,27% qui lui avait permis d’être réélu au 1er tour.
Ensuite l’acte d’Aliou Sall est salutaire pour Macky Sall puisqu’il le met à l’aise au sein de l’opinion nationale et internationale. Il lui était largement loisible de limoger son frère puisque c’est lui qui l’a nommé. Mais un tel geste venant de sa part ne saurait faire taire la réclamation de la transparence par les populations dans ce dossier. Certes cela aurait pu signifier des gages de donner une chance à l’éclatement de la vérité, mais il donnerait l’impression d’une conduite dictée par l’élan populaire de contestation. Alors Aliou Sall met désormais à l’aise son grand-frère de président, mais aussi au camp présidentiel qui a montré une fébrilité insoupçonnée jusqu’ici. Cette affaire a révélé la faiblesse de la réponse gouvernementale qui a été malencontreuse, cahoteuse. Enfin l’acte d’Aliou Sall va sauver le dialogue national surtout sur son pendant politique. Beaucoup d’acteurs politiques avaient clairement indiqué qu’ils allaient poser le préalable à la continuité du dialogue politique au niveau de l’ordre du jour, la question de la gestion des ressources naturelles.
Une manière insidieuse de provoquer un blocage du dialogue qui pourrait alors filer tout droit vers un échec cuisant. La démission d’Aliou Sall ne saurait plus être source de blocage. Dans ce même sillage, il est clair que le mouvement Aar Li Nu Bokk devrait aussi réorienter sa stratégie qui devrait plus s’inscrire dans une sentinelle de pression plus vers la justice que vers le camp présidentiel. Certes, le mouvement a minimisé l’acté posé par le maire de Guédiawaye, il préconise à juste titre la continuation de la mobilisation parce qu’à leur niveau, la question de la gestion des ressources naturelles dépasse largement le cadre de la seule personne d’Aliou Sall. C’est tout un système qu’il faut combattre. Surtout que la démarche de saisine de la justice à travers le procureur Serigne Bassirou Guèye laisse perplexe la majorité du peuple qui ne peut avoir la confiance requise à une magistrature qui n’a pas encore montré la conduite voulue par le peuple dans nombre de dossiers impliquant la famille du président et son entourage. Mais nous restons convaincus que le geste d’Aliou Sall peut participer à faire descendre une tension devenue dangereuse pour l’équilibre de notre pays.