ALLAH N’EST PAS OBLIGÉ !
Le Professeur Sankharé représentait un modèle et un exemple d’intellectuel, d’écrivain qui inspire et pousse vers l’humain. Sa passion pour la recherche, sa discipline en toute chose font de lui un personnage à part
En apprenant la nouvelle du décès de mon ami et père, le Pr Oumar Sankharé, j’ai juste eu envie de paraphraser son illustre prédécesseur Ahmadou Kourouma qui titrait qu’«Allah n’est pas obligé». «Allah n’est pas obligé d’être juste dans toutes ces choses ici-bas.» Oui ! Allah n’était vraiment pas obligé de rappeler de sitôt à Lui notre cher professeur. On avait encore besoin de cet intellectuel.
Le monde littéraire avait besoin encore de lui, les universitaires comme les étudiants n’ont pas fini de jouir de son expérience, de son savoir. Le Sénégal avait encore besoin de son exemple d’humanité. J’en suis triste, comme beaucoup d’hommes et de femmes de culture qui reconnaissent la valeur de cet homme. Il pouvait être mon père, mais il me prenait pour son ami. «Mon cher ami», s’exclamait-il, toutes les fois où je l’appelais au téléphone ou le croisait dans les différentes rencontres littéraires.
C’est donc avec douleur que je voudrais rendre hommage à mon cher Professeur qui, à chaque occasion où je l’ai sollicité, m’a été d’une grande utilité dans la réalisation de la page culture de ce canard que vous tenez entre vos mains. Rarement, un homme de son rang m’a autant marqué par son humilité. Jamais, il ne m’a refusé un entretien en douze ans de collaboration. Sauf une fois, où il m’a dit au téléphone : «Arsène, attends pour que j’en discute avec le président Bèye (Ndlr, Alioune Badara Bèye), avant de réagir officiellement.» C’était au sujet de l’affaire de visa qui l’avait opposé aux autorités consulaires de l’ambassade de France. Là encore, dans les heures qui avaient suivi, il m’accordât cet entretien avec la bénédiction de son «Grand ami», le président Alioune Badara Bèye qui, j’en suis persuadé, sentira en ces moments de deuil le vide autour de lui.
Tous les deux, je connais plus ou moins leur proximité. Jamais M. Bèye ne peut convier à une rencontre à Keur Birago (la maison des écrivains) ou ailleurs sans associer son frère Sankharé. J’en profite alors pour lui dire mes condoléances. A lui, et à toute la communauté littéraire du Sénégal.
Ce qu’il incarnait...
Le Professeur Sankharé, au-delà des considérations que les uns et les autres peuvent avoir sur sa personne, sur ses écrits ou sur ses prises de position, représentait à mes yeux un modèle et un exemple d’intellectuel, d’écrivain qui inspire et pousse vers l’humain. A travers lui, je trouvais l’homme, l’un des meilleurs de la terre, d’une grande simplicité et d’une grande bonté.
Sa passion pour l’écriture et pour la recherche, son esprit éclairé, sa discipline en toute chose font de lui un personnage à part. L’écouter échanger sur la littérature française, la littérature sénégalaise, sur la nécessité de rehausser le niveau de langue des jeunes, sur divers sujets de haut niveau intellectuel était pour nous un plaisir irrésistible.
Le professeur dégageait une sagesse qui ne peut être que celle des «Grands Hommes». Mais par moments, sa vulnérabilité affleurait dans le regard. Lorsqu’on l’approche de près, l’on se rend vite compte que derrière son grand charisme se cache une timidité qui frise la maladie. N’est-ce pas aussi là un trait de caractère de certains sages en Afrique ?
Oumar Sankharé, cet homme très attachant, laisse derrière lui un héritage littéraire et historique conséquent. Je ne veux point éluder un devoir que je suis heureux de remplir : ce que je veux à travers cet ultime hommage honorer en lui, c’est justement cet inépuisable dévouement qu’il a montré aux intérêts des écrivains du Sénégal et partout ailleurs.
C’est aussi le grand amour avec lequel il a travaillé pendant de si longues années, devenant esclave de son sacerdoce, au point de ne jamais rien refuser à ces nombreux étudiants à qui il a transmis son savoir. Je suis surtout heureux de saluer en lui un des aînés les plus brillants et le plus loyal, un de ceux qui ont le plus fait pour la vraie dignité des lettres, surtout au Sénégal.
Oumar Sankharé restera comme une figure charmante et bonne, celle-là même qui avait le courage de ses opinions, l’infatigable professeur qui s’est souvent fait oublier pour le bien des autres. Puisse en définitive la jeunesse, ses amis et proches, sa famille biologique, académique et littéraire, semer partout où ils passent un germe de ce que chacun garde de positif chez cet homme d’exception, dont la dernière œuvre a été trop tôt condamnée par des «incompris».
Professeur, si tu n’as pas été prophète chez toi, tu le seras dans l’Au- delà. Repose en paix !