APRÈS LA CAN, DEVENIR LES CHAMPIONS DE LA DÉMOCRATIE ET DE LA JUSTICE SOCIALE
Le patron de BBY pensait remporter brillamment les locales. Ce qui, combiné à la victoire des Lions, aurait pu donner un second souffle à son régime aux abois et lui ouvrir la voie à cette troisième candidature
Depuis une semaine, grâce au coach Aliou, Koulibaly, Sadio et tous les autres valeureux Lions de la Téranga, la nation entière s’est payée une ivresse halal pour faire oublier aux uns, la fin proche de leur régime et aux autres, leur quotidien morose de jeunes oisifs, de ménagères désespérées et de gorgorlu désenchantés.
Projet avorté d’instrumentalisation de la victoire des Lions
Ainsi, les caravanes footballistiques ont succédé aux caravanes électorales et le peuple, ayant pris possession de la rue a pratiquement érigé des barricades footballistiques, contre lesquelles les forces de défense et de sécurité étaient impuissantes.
Cette victoire des Lions est venue rallumer la flamme de l’espoir, qui était presque éteinte par la faute des désastreuses politiques publiques mises en œuvre par le régime de Macky Sall. Mais sachons tout de même différencier les motivations des uns et des autres ! La frontière est, en effet, ténue entre la joie saine du vainqueur d’une compétition sportive et le chauvinisme infect, apanage des forces de régression sociale.
Reconnaissons-le ! Cette victoire à la Coupe d’Afrique des Nations (CAN) était dans l’ordre du prévisible, au vu du classement très satisfaisant des Lions, classés depuis plusieurs mois, comme première équipe africaine par les institutions sportives internationales.
C’est ce qu’ont compris les joueurs de poker, qui nous gouvernent et qui a fait dire au président de la République, lors de la remise du drapeau national aux Lions, que cette fois-ci, l’objectif devrait être de ramener la Coupe à la maison.
Il n’y a aucun doute qu’il y avait des arrière-pensées politiciennes dans la décision du pouvoir de faire coïncider les élections locales et la CAN. Comme leurs maîtres à penser de l’Occident capitaliste, ils ont compris, que le football, à défaut d’être l’opium du peuple, pouvait, tout au moins être considéré comme un outil majeur de diversion politique, pour occulter les grands enjeux sociopolitiques de l’heure.
Dans son entendement de stratège aux petits pieds, le patron de Benno Bokk Yakaar pensait remporter brillamment les élections locales du 23 janvier 2022, ce qui, combiné à la victoire des Lions, aurait pu donner un second souffle à son régime aux abois et peut-être même lui ouvrir la voie à cette troisième candidature tant convoitée.
Malheureusement pour eux, les électeurs ont préféré aux élégants mannequins de Benno, aux affiches trop belles (pour être vraies), les gavroches intrépides de la République, ayant fait plusieurs séjours dans les prisons de l’APR et pas loin d’être considérés, selon les canons de l’idéologie dominante, comme des ennemis publics.
C’est dire que le deuxième pénalty réussi de Sadio Mané n’a pas seulement provoqué une euphorie générale dans tout le pays, même chez les simples gens, mais a été perçu, par le parti beige-marron et ses satellites, comme une bouée de sauvetage.
C’est ainsi que mêmes les hauts d’en haut se sont joints à la fête, interrompant leurs interminables flâneries internationales, pour venir récolter les gains politiciens des investissements prétendument consentis, pour enfin conquérir un trophée continental.
Le football, ascenseur social
Il faut comprendre que le football est considéré par les couches populaires comme un ascenseur social, comme on peut le constater, au vu de la composition de l’équipe nationale, presqu’entièrement constituée d’émigrés de première ou deuxième génération provenant majoritairement de familles modestes ou des régions les plus déshéritées de notre pays, parfois binationaux, descendants de professionnels du foot ou self-made men. La plupart de ces footballeurs constituent des institutions sociales ambulantes, qui essaient d’atténuer les souffrances populaires dues aux manquements des politiques gouvernementales, en construisant ou équipant hôpitaux et écoles, octroyant même des subventions aux familles démunies. Les financements souscrits dans ce cadre dépassent de loin les récompenses allouées au nom de la République, dans un inextricable imbroglio de culture d’accaparement et de conflit d’intérêts dénoncé, à juste titre par les activistes.
Les excès notés dans la célébration ne font que traduire cette aspiration, voire ce besoin vital des jeunes de notre pays de s’extraire de leur quotidien cauchemardesque.
C’est dire que les fonds colossaux, que le président et son ministre réélu se vantent d’avoir affecté à notre football national n’ont jamais réellement servi à l’élaboration et la mise en œuvre d’une politique cohérente misant sur la décentralisation des ressources humaines et matérielles (infrastructures, équipement) ainsi que sur les petites catégories. Ils ont plutôt servi aux chasseurs de têtes, que sont devenus nos entraîneurs (nationaux ou étrangers) à voyager par monts et par vaux, afin débusquer des talents footballistiques, en vue de monter une sélection de stars internationales qui, à la force du poignet (ou de la cheville) se sont d’eux-mêmes, hissés aux plus hauts rangs du football mondial.
C’est tout cela qui rend indécentes ces entreprises de récupération politicienne des succès engrangés par nos braves footballeurs, qu’on prétend récompenser – en se servant au passage – alors qu’on les avait laissés en rade, au moment où ils en avaient le plus besoin. Pour preuve, nos footballeurs ont dû attendre d’être champions d’Afrique, pour enfin disposer d’un stade digne ce nom, réellement conforme aux normes internationales.
Non à une nouvelle entente cordiale sur le dos du peuple !
Mais heureusement que l’onde de choc de la victoire éclatante des Lions est venue après la fausse victoire des simbkat de Benno Bokk Yakaar, qui ont essuyé un revers cinglant lors des dernières élections locales, rendant sans objet toute velléité de nouvelle entente cordiale sur le dos du peuple.
L’heure de vérité a sonné pour l’ensemble de la classe politique, qui se doit maintenant de poser des actes forts.
Le camp du pouvoir devra diligenter le traitement judiciaire impartial et équitable des nombreux scandales étouffés ou mis sous le coude (présidentiel) et faire face à la problématique de la demande sociale ainsi qu’aux légitimes revendications des travailleurs, surtout ceux de l’Éducation et de la Santé.
Il doit également rétablir la confiance au niveau de l’arène politique et se résoudre à compétir loyalement, ce qui suppose de rebâtir un consensus fort autour du système électoral et du respect scrupuleux de la séparation des pouvoirs.
Une bonne gestion de la fin de son second mandat permettra au président Sall de restructurer son parti, qui devra trouver un nouveau candidat consensuel pour les prochaines présidentielles. Car, il est de plus en plus évident que ce qui plombe le processus de mise aux normes et de modernisation des partis politiques se trouve être la déliquescence du parti de la majorité sortante qui, à la faveur d’une nouvelle alternance, se trouve dans l’incapacité de fonctionner, de manière autonome, dès lors qu’il n’est plus adossé à l’appareil d’État, pour cimenter son unité organisationnelle.
Quant à l’opposition politique, il est temps pour elle, en alliance avec l’ensemble des forces vives de comprendre que la défaite politique du pouvoir de Macky Sall et la victoire électorale au niveau de certaines collectivités territoriales de notre pays ne constituent qu’un premier jalon dans l’œuvre de refondation institutionnelle.
Il ne peut s’agir, tout au plus, que de leviers de mobilisation populaire pour repenser globalement notre système politique, handicapé par une approche hyper-présidentialiste, qui a atteint ses limites historiques et pour construire une alternative politique progressiste en direction des présidentielles de 2024.